V.O. Madiana le mercredi 20 et le Vendredi 29 Avril à 19h30
Synopsis
À Bucarest, Costi est un jeune père de famille accompli. Le soir, il aime lire les aventures de Robin des Bois à son fils de 6 ans pour l’aider à s’endormir. Un jour, son voisin lui confie qu’il est certain qu’un trésor est enterré dans le jardin de ses grands-parents ! Et si Costi accepte de louer un détecteur de métaux et de l’accompagner pendant une journée, il serait prêt à partager le butin avec lui. D’abord sceptique, et en dépit de tous les obstacles, Costi se laisse finalement entraîner dans l’aventure…
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Entretien avec Corneliu Poromboiu
Quel fut le point de départ du film ?
Initialement, j’avais le projet de faire un documentaire sur un ami acteur et réalisateur, Adrian Purcarescu, qui n’a jamais pu terminer son film entamé il y a 10 ans, faute de financement. J’ai donc filmé une interview de lui où il me racontait les séquences manquantes de son film. Je pensais qu’ensemble, nous allions réussir à compléter ce film inachevé, mais je n’étais pas satisfait du résultat. Lui seul aurait pu le terminer.
Mais je voulais poursuivre ce projet autrement. Je suis tombé alors sur une autre histoire, qu’Adrian m’avait racontée… une légende locale.
…l’histoire d’un trésor ?
L’arrière-grand-père d’Adrian aurait enterré sa fortune dans son jardin, avant que les communistes n’arrivent au pouvoir. Je me suis dit qu’il y avait là matière à enrichir mon documentaire. Nous sommes partis, lui et moi, à la recherche du trésor avec une équipe de tournage et un spécialiste en détection de métaux. Dans le jardin de son arrière-grand-père, nous avons commencé à prospecter à l’aide de deux détecteurs de métaux, l’un sonore et l’autre avec des images 3D. Au cours de notre recherche, j’ai écouté mon ami et je me suis rendu compte que nous n’étions pas seulement à la recherche d’un trésor mais aussi en quête du souvenir de ces quelques vies humaines qui composent sa famille. Malgré nos efforts, nous n’avons pas trouvé la trace du fameux trésor. J’ai donc décidé de transformer cette mésaventure en fiction, de me venger en quelque sorte de cette histoire d’échec, de lui donner la forme d’une farce car c’était la seule façon de la rendre supportable !
Quelle est la part documentaire de votre film ?
Pendant le montage du projet initial, j’ai été intrigué par l’étrangeté de ce jardin et de la maison où nous cherchions le trésor. Notre situation me posait plein de
questions : quel est notre présent, comment le vit-on, quel est notre rapport à l’Histoire ?
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, cette maison avait hébergé deux officiers de l’armée allemande. Puis, en 1947, les communistes l’ont nationalisé. L’arrière-grandpère, le grand-père, la grand-mère et la mère de mon ami ont alors été déportés à Caracal, dans le sud du pays. Quatre ans plus tard, ils sont revenus au village mais n’ont plus jamais habité la maison. Ils en ont bâti une autre. La première maison a ensuite servi de pharmacie, d’écurie et d’école maternelle jusqu’à la Révolution. Après 1989, elle avait été transformée en bar à strip-tease. En 1997, après des années de procès, la famille de mon ami a enfin récupéré la propriété mais les derniers « locataires » l’avaient laissée en ruine. J’aime travailler sur les histoires enfouies que le cinéma peut révéler. Je filme au présent : en surface, on a accès au monde tel qu’il est mais derrière les apparences se cachent plusieurs niveaux surprenants, un terrain idéal pour construire une fiction.
Pour nourrir votre fiction, vous servez-vous du vécu de vos acteurs?
Pour écrire mon scénario j’ai organisé mon matériel documentaire autour d’un personnage fictif, Costi, jeune père de famille vivant à Bucarest dans un équilibre fragile. Pour l’interpréter, j’ai choisi Toma Cuzin, qui a été mineur avant de devenir acteur. J’ai aussi voulu qu’il joue avec son propre fils de 6 ans et avec sa femme
qui est peintre. Chez lui, j’aimais sa façon très libre de se déplacer dans le jardin à la recherche du trésor. Il a de l’instinct, une grande force vitale. Dans ce film, je voulais aussi capter son rapport à son fils qui est très différent de lui. L’autre acteur est mon ami Adrian Purcarescu, et le troisième rôle est joué par un acteur non professionnel, Corneliu Cozmei, ancien militaire, qui travaille maintenant dans une entreprise de détecteurs de métal – je le trouve à la fois à l’aise et dépassé par ses machines.
Le titre du film joue-t-il avec les attentes du public ?
Le titre évoque notre fascination pour l’or. Symboliquement, c’est comme un soleil qu’on cherche dans la terre. On découvre plus tard dans le film que la lumière y joue un rôle central.
Mais finalement, que cherchent les deux hommes si différents au fond de ce jardin mystérieux ?
Pour Adrian, la première motivation est immédiate car il doit trouver de l’argent pour ne pas perdre sa maison. Mais il veut aussi faire face à l’histoire et à l’héritage de sa famille. Costi, jeune père et fonctionnaire, n’a pas un mobile très clair pour s’embarquer si spontanément avec son voisin Adrian dans cette aventure.
Tout au long de ses pérégrinations dans le jardin, Costi découvre l’histoire de la famille d’Adrian qui petit à petit deviendra sienne. Il finira par se perdre, lui aussi, dans cet «abîme de l’histoire ». Au fond, il est dans la recherche d’une liberté car il se sent prisonnier de sa vie, de son couple, de son travail. Il est motivé par une sorte de foi, et il entame cette quête symbolique et « héroïque » pour confirmer et prouver quelque chose à son fils. En somme, les deux héros creusent un trou et finissent par se libérer de l’abîme.
Des chercheurs d’or creusent un trou et risquent de tomber dans leur propre piège. Vous amusez-vous avec la dimension burlesque de cette mission ?
Pour moi tout ce jardin ressemble à un trou dans l’histoire. Dans des longs plans, je donne le sentiment qu’ils sont perdus, leurs trajets sont labyrinthiques.
On n’arrive jamais vraiment à les situer. Ils tournent autour de l’arbre foudroyé, coupé en deux par la lumière en quelque sorte. Trois personnages qui cherchent quelque chose dans la terre : c’est désespéré et comique à fois. L’« expert » en détection de métaux est dépassé par la technique, l’attente est si longue et la tension entre les trois hommes monte…
Vous placez au coeur du film la recherche du trésor et vous jouez sur l’étirement du temps et les aspects tragi-comiques. Comment avez-vous pensé le rythme de ce film, composé en tableaux ?
Dans la première partie du film, en ville, j’ai cadré serré avec des champs / contrechamps pour montrer l’échange entre les personnages et leurs limites : dans la deuxième partie, la recherche du trésor, je voulais me concentrer sur le point de vue de Costi. Le spectateur entre dans le jardin avec lui et le suit tout au long de ses pérégrinations. Je voulais donner l’impression que Costi est perdu dans un jardin infini et entraîne avec lui, je l’espère, le spectateur.
Pourquoi l’enfant joue-t-il un rôle si central dans ce film, ce qui peut lui donner la dimension d’un conte?
La relation entre Costi et son fils de 6 ans, et l’histoire de Robin des Bois qu’il lui lit le soir, nous permet de mieux comprendre la tension qui l’habite, et son rapport au monde. La présence de l’enfant aide à faire avancer le récit par chapitres, tout en menant à la révélation finale. En Roumanie, les enfants occupent une place très spéciale dans la société car les gens projettent trop sur eux, espérant qu’ils feront bien mieux que leurs parents et que la prochaine génération aura la belle vie.
C’est pourquoi chaque génération se considère comme celle du compromis et du sacrifice. Mes grands – parents ont fait la guerre, mes parents ont vécu sous le communisme et ma génération doit trouver sa place dans une société après la Révolution…
Avez-vous voulu jouer avec les éléments d’un western pour mieux déployer d’autres pistes narratives ?
J’aime beaucoup les westerns de John Ford et surtout certains films comme LE TRÉSOR DE LA SIERRA MADRE de John Huston, qui lui aussi raconte une chasse au trésor ! Mais je me suis plutôt inspiré des NUITS DE LA PLEINE LUNE d’Éric Rohmer pour raconter avant tout une aventure très particulière, entre les personnages et leur passé.
Pourquoi le thème de la violence traverse-t-il autant le film ?
Le film circule autour de la notion de propriété : ce que l’on trouve ou pas dans le jardin de ses grands- parents, ce que l’on transmet à ses enfants, la peur d’être accusé de vol etc. Le conte de Robin des Bois que le père lit à son fils ne raconte rien d’autre au fond. Ce jardin et cette maison dans le film ont souvent changé de propriétaire, jardin d’enfant à l’époque du communisme, bars à strip-tease après la Révolution avant de revenir à la famille d’Adrian. Je traduis cette violence très particulière en Roumanie autour de la propriété par une allusion aux westerns où les hommes se disputent sans cesse la propriété de la terre, des êtres, des objets.
Vos personnages se retrouvent souvent dans des situations qui les dépassent. Aimez-vous ces histoires (de familles) ancrées dans l’Histoire ?
J’essaie de développer mon récit souvent à partir de faits réels – comme dans ce film les aléas de la famille d’Adrian et la relation de Costi à son fils. J’aime superposer ces petites histoires qui finalement reflètent une partie de notre société. En quelque sorte nous sommes tous des « produits » de l’Histoire. Nous avons tourné la chasse au trésor à Islaz, le village où on a déclaré la Révolution de 1848. C’est un symbole car l’Histoire de la Roumanie a connu tant de changements ! Qu’aurait été la vie d’Adrian si le communisme n’avait pas existé ? Si on trouve le trésor de ses grandsparents à la fin du film, l’histoire aurait-elle un sens ? La réalité est souvent plus absurde. Mes personnages trouvent quelque chose d’autre : une surprise, de l’inattendu.
Mettez-vous en scène les sons et les images du détecteur de métal pour montrer l’absurdité d’un dialogue entre l’homme et la machine ?
Pour moi, l’expert qui jongle avec les détecteurs sonore et 3D est un peu comme mon alter ego en tant que réalisateur : tu avances sur un terrain inconnu en essayant de maîtriser à la fois l’image et le son !
Dans votre film MÉTABOLISME ( OU QUAND LE SOIR TOMBE SUR BUCAREST), votre alter ego, le réalisateur, préconisait la fin de la pellicule et d’un certain cinéma. Pourquoi avez-vous tourné pour la première fois en numérique ?
J’avais fait plusieurs essais et j’ai fini par tourner en Cinémascope, plus adapté pour filmer à la fois trois personnages dans la nature. J’ai aimé travailler en numérique à cause de l’esthétique : je pouvais plus précisément contrôler la lumière, mieux mettre en scène les détails du décor. Le numérique me permettait également de passer plus de temps avec les acteurs surtout avec les non-professionnels comme l’enfant, Cornel ou la femme de Costi. Pendant très longtemps, je n’ai juré que par la pellicule mais désormais je vais tout tourner en numérique.
Qu’est-ce qui vous attire chez des personnages comme Costi et Adrian dans LE TRÉSOR, qui essaient d’échapper à la loi ?
Dans tous mes films, les personnages se confrontent à la loi et se posent la question de la liberté. Mais c’est un peu comme le foot dans mon précédant film, MATCH RETOUR : il y toujours les règles et le jeu. Chacun est son propre arbitre.
Voulez-vous échapper aux règles ?
J’ai toujours peur de suivre les recettes. Quand j’écris un scénario, j’aime beaucoup changer, au casting et au tournage, etc. Mes films ont l’air d’être assez conceptuels mais je veux avoir le temps et la liberté d’improviser. Pour moi un film se fait uniquement sur le plateau de tournage. Pour ce film, le défi était de trouver le bon « ton ». En filmant la recherche du trésor d’une façon trop réaliste, j’aurais pu tomber dans la comédie de situation ou dans la caricature. Mais je me suis libéré en travaillant. Maintenant, mes personnages sont assez épurés, presque comme des archétypes, avec des visages assez forts pour, je l’espère, incarner leurs histoires sans trop l’expliquer.