— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Les communes de Guadeloupe et de Martinique sont dans une très mauvaise passe financière, puisque près de 2/3 sont situées dans la zone d’alerte du réseau d’alerte des finances locales. La dette fournisseurs, fiscale et sociale des communes se creuse également depuis 2019. Début 2023, elle avoisinait les 100 millions d’euros .
De nombreux petits signaux devraient nous pousser à la réflexion sur le dessein secret de la chambre régionale des comptes Antilles Guyane de durcir le ton et de renforcer tout azimut les contrôles sur les finances publiques de toutes les collectivités locales de Guadeloupe et Martinique
Ainsi , ce n’est pas un hasard si le nouveau préfet nommé récemment en Guadeloupe Xavier LEFORT, était précédemment conseiller maître à la Cour des comptes , et que trois nouveaux magistrats viennent d’être nommés à la chambre régionale des comptes Antilles – Guyane.
La Guadeloupe du fait du caractère très insuffisant de l’assainissement de ses finances publiques, ne dispose que de peu de marges budgétaires pour faire face à un retournement conjoncturel ou à la situation de crise de la spirale inflationniste actuellement en cours . On notera la pudeur de l’expression « caractère incomplet de l’assainissement » de nos finances ! Disons plutôt que la côte d’alerte est déjà atteinte ,et pourtant les collectivités locales continuent de creuser leur déficit abyssal .
A cause du ralentissement de la croissance et de la dégradation de la conjoncture nationale, les magistrats financiers ne croient plus aux capacités de certaines communes à redresser une situation financière qui ne cesse de se dégrader sans mesures fortes et coupes drastiques dans les dépenses de fonctionnement . Ils jugent que la Guadeloupe est « en décalage croissant avec les autres collectivités de la France haxagonale , avec un déficit structurel de certaines collectivités qui rejoint celui des deux plus mauvais élèves que sont Mayotte et la Guyane .
Bref, la Guadeloupe sera très bientôt le dos au mur : elle est particulièrement vulnérable ,car elle est actuellement confrontée à un retournement conjoncturel et à une situation de crise des recettes et dépenses . C’est le fameux effet de ciseaux . Face à « un scénario de finances publiques préoccupant » et « affecté de multiples fragilités », la Cour des comptes au niveau national juge « impérative » « la réduction soutenue des déficits » notamment grâce à une gestion enfin rigoureuse des dépenses et à des efforts sur « l’efficience » des services publics notamment dans la section de fonctionnement notamment le personnel et le domaine social. Rappelons que le gouvernement a promis de réduire la dépense publique de trois points de PIB d’ici 2025 .
La Chambre régionale des comptes donnera bientôt de façon impérative des pistes d’économie aux collectivités locales : lutte contre les abus de recrutement ( personnel communal en surnombre et très peu productif ), lutte contre l’absentéisme dans les services municipaux , suppression de l’ avantage de la surrémunération de 40% de vie chère , augmentation forcée des impôts locaux , mise sous tutelle automatique avec application forcée des recommandations des magistrats de la chambre régionale .
La participation des collectivités territoriales au redressement des finances publiques de la France restant à définir.
A se demander ce qui a été vraiment fait par les maires de la Guadeloupe depuis vingt ans . Jocelyn Sapotille, (maire du Lamentin et président de l’Association des maires de Guadeloupe), a réitéré son incapacité globale à faire confiance aux mairies qui sont actuellement dans le rouge pour un redressement de la situation financière … Il a été beaucoup question de la perte d’autonomie financière des collectivités, car dans le contexte ultramarin, comme ailleurs mais plus qu’ailleurs, s’exercent des pressions multiples sur les finances locales, s’agissant aussi bien de l’inflation des dépenses que de l’amenuisement des recettes. Ces éléments apparaissent clairement dans un document clé fraîchement publié par l’AMF : l’analyse des comptes de gestion des communes et EPCI de Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et La Réunion. A se demander ce qui a été vraiment fait de tangible par les maires de la Guadeloupe depuis vingt ans pour reprendre la main sur les déficits.
Ah si, le président de l’association des maires a ouvert un grand débat local sur l’éventualité de la baisse des recettes notamment à partir des taxes sur l’essence et de l’éventualité d’une révision du régime de l’octroi de mer , où il se dépense sans compter , mais n’est-ce pas déjà trop tard au vu des velléités de l’État de reprendre la main !
« Ce que nous savons est une goutte d’eau, ce que nous ignorons est un océan « ….Isaac Newton
Ce que les maires ultramarins ont confirmé et étayé d’exemples au cours des débats qui s’en sont suivis dans un colloque intitulé : « Les maires en première ligne face aux crises ». À partir de témoignages pratiques et concrets, ils ont dressé un certain nombre de constats : sur la gestion centralisée de l’État, son manque de concertation avec les élus locaux (au mieux réduit à de « l’information )
Le danger d’une situation hors de contrôle est plus que jamais prégnant en Guadeloupe et Martinique. Et ne nous y trompons pas, ce n’est autre que la classe moyenne qui va finir par payer l’addition, sachant que les couches populaires sont déjà à genoux en raison de la stagflation.
Les chiffres de l’appauvrissement de la partie la plus fragile de la population Guadeloupéenne sont déjà très inquiétants : plus d’un tiers des Guadeloupéens disent ne pas manger trois repas par jour, 70 % ne peuvent plus épargner… Et même si les cadres et les fonctionnaires arrivent à remplir leur frigo, leurs salaires sont ceux qui ont le plus baissé en euros constants », depuis la crise . « Le pouvoir d’achat, c’est le problème actuel … il faudrait attendre 2024 pour se rendre compte de l’accélération du montant des impôts et taxes diverses. Il y a beaucoup de gesticulations médiatiques de la part du gouvernement . Alors que des mesures simples pourraient être prises : bloquer les prix des produits de première nécessité, baisser leur TVA, taxer les profits , notamment dans l’industrie alimentaire », tranche Sophie Binet secrétaire générale de la CGT.
Les chiffres de l’appauvrissement de la population sont très inquiétants : plus d’un tiers des Français disent ne pas manger trois repas par jour, 50 % ne peuvent plus épargner… Et même si les cadres arrivent à remplir leur frigo, leurs salaires sont ceux qui ont le plus baissé en euros constants »,et les retraités ne sont pas en reste concernant la baisse de pouvoir d’achat avec la spirale inflationniste actuelle. En dénote les propos récents de Michel-Édouard Leclerc pour qui l’inflation est amené à durer : « Nous sentons une vraie tension sociale chez nos clients »
Jean Marie Nol, économiste et diplômé en droit et gestion des collectivités locales.