Ce Samedi 30 janvier 2021 : « Le roi s’amuse », d’après Victor Hugo. Par la promotion 2019-2020 de l’Académie de la Comédie-Française
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Le roi s’amuse est un drame romantique en cinq actes et en vers de Victor Hugo, représenté pour la première fois à Paris, le 22 novembre 1832 à la Comédie-Française.
Le héros principal en est le bouffon Triboulet, personnage historique sous le règne de Louis XII et François Ier. À travers la bouche de Triboulet, Hugo dénonce la société de l’époque.
Sur l’adaptation et la mise en scène : entretien avec Aurélien Hamard-Padis
Laurent Muhleisen : Le roi s’amuse est une pièce assez peu montée de Victor Hugo. Quel regard portes-tu sur ce texte et d’où est venu le projet de le mettre en scène ?
Aurélien Hamard-Padis : C’est une pièce assez peu montée mais, je crois, fondamentale dans les ambitions dramatiques de Victor Hugo. Le personnage du bouffon est une racine très profonde de son imaginaire de la scène, et c’était pour lui l’occasion de pousser la radicalité de son projet théâtral très loin avec Le roi s’amuse, en témoigne l’accueil plutôt froid que lui ont réservé ses contemporains bourgeois, même libéraux. Travailler là-dessus, sur du très laid et du très noir d’Hugo dramaturge, sur ses alexandrins, pendant cette année d’immersion à la Comédie-Française, me semblait un défi intéressant pour toute l’Académie. Un défi de jeu, de parcours de comédien et de comédienne, une gageure aussi pour la scénographie, les costumes, la dramaturgie et la mise en scène. Cette pièce relève d’un grand frisson. Tenter d’en trouver ensemble au plateau les rouages, reconstituer les émotions et s’interroger sur ce qui résonne encore ou autrement chez nous, pour donner à un public d’aujourd’hui Le roi s’amuse mélangeant les genres, immoral et terrible, c’était un projet qui me paraissait enthousiasmant. Je trouve que cette fable cruelle, de jalousie paternaliste, d’impunité des crimes royaux, de retournement du sort sur les tentatives individuelles de révolte contre l’ordre établi, de représentations de soi et de carcan patriarcal a des échos très forts, et douloureux, aujourd’hui. Il me semble qu’Hugo parvient à être dans une démesure qui ne renie aucune nuance, laisse une grande part d’intelligence au spectateur, et qu’il y a là une matière à jouer formidable, difficile, parce qu’elle est très sauvage et que les personnages sont souvent d’une duplicité extrêmement riche.
Laurent Muhleisen : Quels ont été les critères qui ont guidé ton adaptation du texte ? S’agit-il simplement d’en faire une version pour six ou sept comédiens ?
Aurélien Hamard-Padis : L’adaptation a forcément été influencée par cette contrainte d’équilibre de distribution que je me suis donnée parce qu’elle me semblait féconde. La pierre angulaire de l’adaptation est sans doute la scission du personnage de Triboulet¹ en deux. Au sujet de Triboulet, il n’était pas question de diviser le sublime et le grotesque si magistralement liés en un seul personnage par Hugo, mais de jouer sur la distinction des espaces. Triboulet est bouffon à la cour comme nous sommes en représentation en société et sur Internet. C’est cette disjonction que nous vivons, l’impression de vivre dans des mondes imperméables les uns aux autres, que je cherchais à mettre en lumière ici. Pour le reste, il s’est agi de tirer certains fils importants qu’une version intégrale avec peu d’interprètes aurait vu être trop dilués. Par exemple, je tenais beaucoup à ce que Saltabadil et Maguelonne aient une présence plus forte dans l’adaptation que dans la pièce originale. La nécessité de jouer clairement la relation entre le roi et son bouffon, de montrer la noire influence de Triboulet sur le jeune François Ier, celle de ménager pour Blanche des espaces plus denses d’expression, ou celle de donner une cohérence aux courtisans désormais peu nombreux ont guidé mes choix. Évidemment, même si j’ai opéré des coupes et changé l’ordre de quelques passages pour les besoins dont je vous parle ici, l’adaptation est uniquement constituée par les vers d’Hugo, c’était un critère extrêmement important pour moi. La réduction du nombre de rôles dessert sans doute un peu l’impression d’être face à un système que souhaitait donner Hugo par la multiplication des courtisans. Je crois que nous n’avons pas besoin de ce nombre pour éprouver l’implacable fatalité qui a cours dans les lieux du pouvoir dont le dramaturge nous parle.
Laurent Muhleisen : Peux-tu nous décrire le processus de travail de répétition de ton spectacle avec tes camarades ?
Aurélien Hamard-Padis : Le processus de travail ensemble est, lui aussi, nécessairement en réinvention permanente face à des contraintes sanitaires et logistique fortes. Dans une maison aussi bouillonnante que la Comédie-Française, nous avons eu la chance rare de voir notre première phase de répétitions se dérouler directement au plateau, avec le décor. L’espace a donc énormément compté d’emblée dans le travail : il fallait profiter de sa présence éphémère et construire le squelette de la pièce.
Avec la mémoire de ces premiers jours, nous nous sommes attachés ensuite à un travail scène par scène, à l’élaboration du parcours de chacun. Nous avons tenté de rester au plus proche de ce que nous semblaient être les enjeux et les rapports proposés par Hugo, et au plus loin les uns des autres, pour préserver la santé de tous. Nous avons essayé de rendre féconde cette contrainte-ci également : les corps éloignés restent chargés, en tension les uns avec les autres, et les enjeux des gestes les uns vers les autres doivent être débattus un à un pour décider des contacts signifiants susceptibles de servir le projet. Comme c’était dans l’ADN du défi qu’on se proposait avec Le roi s’amuse, il a beaucoup été question d’écoute entre interprètes, de trouver comment se construisent les relations entre les personnages dans les scènes et les parcours de chaque interprète sur l’intégralité de la pièce. En prise avec l’effervescence de ce mois d’octobre, nous n’aurons sans doute que peu de temps de répétition tous ensemble pour éprouver le souffle global, j’espère néanmoins que vous y verrez un geste artistique commun, une proposition que nous voulons enthousiaste et généreuse.
Sur la scénographie, par Chloé Bellemère
Dans cette pièce de Victor Hugo, la dramaturgie navigue constamment entre espaces intérieurs, extérieurs, et hors-champ. Les personnages d’un espace à l’autre y font la fête, s’espionnent, complotent, préparent enlèvement et meurtre. Il était important de transmettre cette dynamique. La scénographie permet de signifier ces différents espaces rythmant la pièce tout en offrant à la mise en scène un véritable terrain de jeu. Ses mouvements participent à l’aspect comique de certaines situations, ou à l’inverse donnent un ton plus dramatique.
À la lecture de la pièce, j’ai retrouvé l’univers pictural de Victor Hugo, ses lavis, ses dessins à l’encre tachés de café, ses eaux fortes, ses gravures. J’ai voulu garder dans le décor ce ressenti de textures singulières et jouer avec le dessin des silhouettes pour mettre en valeur les costumes.
L’atmosphère dégagée par la lumière est très présente dans l’écriture de l’auteur. De nombreuses scènes ont lieu dans l’obscurité, d’autres à la lueur du matin, ou à celle d’un orage. La scénographie épurée modèle l’éclairage comme un matériau plastique, et plonge le spectateur dans un environnement sensoriel, favorisant l’imprégnation des émotions.
- Triboulet est tout le contraire d’un héros ordinaire : c’est un bouffon de cour, difforme, un être cruel qui encourage François Ier aux pires débauches. Il est ridicule, narcissique et veut tuer le roi. Il présente des qualités anti héroïques. Il est à la fois un monstre mais aussi un homme aux sentiments admirables. En effet, le choix de la mise en scène, notamment une atmosphère inquiétante, révèle les sentiments de désespoir et de colère de Triboulet : il veut venger sa fille ; il fait preuve d’amour paternel. Triboulet est un être double, comme le souligne cette exclamation paradoxale : « Jouis, vil bouffon, dans ta fierté profonde ». Victor Hugo donne naissance à un héros tragique, loin du héros traditionnel et qui allie en un seul personnage les deux aspects du drame romantique : le grotesque et le sublime.