— par Daniella Coursil —
Une salle pleine avec plus de deux cent cinquante amateurs de théâtre, a applaudi les performances des comédiens du « Théâtre de l’Histoire » qui racontaient justement l’histoire du syndicalisme en Martinique, que la Cie Téatlari présentait en clôture des Journées des Comédiens et des métiers du Théâtre, le samedi 11 octobre dernier, à la Maison de la culture de Trinité.
A entendre les enseignants, les chefs d’établissement scolaires, les représentants des associations culturelles et sportives de la Trinité ainsi que les nombreux amateurs du spectacle vivant invités par l’Académie de la Martinique, la Région Martinique et la municipalité de Trinité, il y a bien longtemps que le Nord atlantique n’avait connu pareil rassemblement autour du Théâtre épique joué avec les ressorts de la Comédie créole. Et surtout « quelle puissance de jeux, de chants et de conviction assurée par des amateurs », précisait unanimement l’auditoire.
Dès l’apparition des 35 comédiens sur la scène du théâtre municipal de Trinité, résolument plantés devant les spectateurs, avec un écran rouge de feu dans le dos où seront projetés durant le spectacle, au dessus des têtes, les mémoires et témoignages, le ton de la pièce était donné.
L’enchainement dynamique des évènements qui caractérisent l’histoire des luttes ouvrières dans les Antilles françaises et singulièrement en Martinique, s’impose tout naturellement aux spectateurs par le rythme soutenu des images théâtrales des « combats » menés par les syndicats mais aussi par le choix des postures, des physionomies et des rythmes corporels qui témoignent autant des souffrances que des allégresses des victoires obtenues. Des victoires oubliées, cachées comme l’application de lois qui établissent la Sécurité sociale, les allocations familiales, la semaine des 8h de travail, la retraite des vieux travailleurs, les 40% de vie chère, l’égalité des chances … « qu’il faut restituer à la jeunesse martiniquaise qui ne sait pas d’où elle vient, madame, parce que ce sont les travailleurs martiniquais, notamment les ouvriers agricoles qui les ont arrachées ; et non l’Etat français qui les a octroyées par générosité et complaisance comme on veut le faire croire » lâche une dame visiblement émue à la sortie de la salle.
La chronologie des évènements qui constituent la fresque documentaire que le metteur en scène a choisi habilement de montrer, s’ouvre avec le vrombissement du moteur de l’avion qui largue à basse altitude les produits toxiques dénoncés par les comités de vigilance contre l’épandage aérien de pesticides sur les bananeraies. Est-ce le rappel des pilonnages aériens au napalm des populations vietnamiennes ? Est ce la métaphore très réussie de la puissance coloniale qui, d’en haut, décide de vie et de mort des populations dépendantes ?
En tout cas, les populations se dressent, se mobilisent contre les plaidoiries des pollueurs auprès du « préfet » qui, de dérogation en dérogation, cédait à la pression des exploitants et patrons de la filière, jusqu’à ce que le ministère concerné décide d’arrêter net toute utilisation de pulvérisation aérienne de pesticides. Des générations qui marchent, crient et pleurent la jeunesse fauchée par les balles et les discours politiques de bonne conscience.
Rivés au déroulé des évènements, les spectateurs réalisent par la dynamique du Théâtre de l’Histoire rythmée par les chants de Flora Germain et de Victor Trefle, les forces antagonistes qui déploient, pour les uns, les stratégies de manipulation mentales et de provocation souvent orchestrées avec les violences des forces de l’ordre ; et pour les autres, des actes d’indignation, de colère, de résistance et de violence mis en œuvre « face à la surdité et au mépris des patrons ».
La profitation exercée sur les plus vulnérables, le harcèlement sexuel, la précarité des conditions de travail, l’augmentation récurrente des coûts des produits dits de première nécessité, la dégradation de la santé, l’absence de justice sociale, l’insignifiances du discours politique, sont autant de thèmes qui sont développés tout le long de la fresque documentaire conçue et dirigée par José Alpha à partir des travaux des historiens Cécile Celma, Edouard Delépine et Camille Chauvet, de la sociologue du travail Danielle Laport et des syndicalistes Jean-Jacques Maggi, Louis Maugée, Marie Christine Permal, Ghislaine Joachim-Arnaud, Daniel Gromat, Marie Hélène dite Surrely, Paul Alcindor et Guy Dufond.
Si l’unité des travailleurs qui constitue leur force (liniité lé travayè, sé fos lé travayè), est bien de nature à ébranler l’hégémonie des « profiteurs», à procurer la victoire sociale aux « masses exploitées », on s’aperçoit que la comédie créole sert très favorablement le dialogue populaire avec les spectateurs.
Ceux ci retrouvent avec bonheur la gouaille des manifestants, la solidarité des grèves marchantes de l’Insurrection du Sud en 1870 notamment avec « Lumina Sophie et sa bande de pétroleuses », les caricatures patronales et politiques raillées par les manifestants qu’ils soient de 1900 ou 2009, les situations ubuesques et cocasses entre l’autorité municipale et les agents communaux, entre les pouvoirs établis et le Syndicat.
Un texte extrait de la pièce mérité d’être ici repris :
« Il est un groupement unique
Où les travailleurs sont chez eux,
Où, sans discuter politique,
on ne combat que pour les gueux.
Il est redouté de la clique
Des capitalistes hargneux
Encensant notre République
Qui fusille les Miséreux !
Ce groupement par excellence,
Dont la formidable puissance
Les oblige à faire grand cas
C’est la voix du peuple en furie,
Ne voulant ni Maitre, ni Patrie
C’est…. Citoyens… le Syndicat !!! »
(extrait de Le Prolétaire Martinique – 9 octobre 1907)
“Un siècle de mémoires et de luttes ouvrières en Martinique; de l’insurrection du Sud à aujourd’hui”
Le reportage photos de Peggy Fargues à la Maison de la culture de Trinité le 11 oct. 2014
Conception et Mise en scène de José Alpha, assisté de Jean Claude Lamorandière, Eric Bonnegrace, Annie Colot, Casimir Bréna, Henri Joséphine
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