Après avoir « laissé la lumière allumée » dans le théâtre pendant toute la durée de ce deuxième confinement, toute l’équipe s’apprêtait dans la fièvre à faire que le rideau se lève, que la salle à nouveau s’emplisse dans le respect strict des mesures sanitaires. Hélas, il n’en fut rien ! Mais d’autres « Directs » maintiendront le lien, et ils seront d’aussi grande qualité que les précédents, n’en doutons pas !
Il me reste, indélébile, le souvenir de Nicole Garcia interprétant de façon magistrale le texte de Marie Ndiaye, Royan, la professeure de français, l’actrice entrant dans les replis les plus secrets de son personnage. Ou celui, vivace, d’un week-end enchanté aux côtés de la danseuse sénégalaise Germaine Acogny !
Oui, d’autres moments viendront pour que ne soit pas rompu le charme, que ne meure pas la culture, Emmanuel Demarcy-Mota nous l’a d’ores et déjà promis, alors que très ému mais non démotivé par la triste nouvelle, il nous présentait en ligne le dernier spectacle en date, Louder is not always clearer. Un moment intense, Jonny Cotsen interprétant sur scène sa propre vie… Un voyage singulier dans le quotidien des sourds, une mise en scène pleine d’esprit et d’humour, qui me fit osciller entre sourires, rires et larmes discrètes : « Jonny Cotsen est papa, consultant et Gallois. Et il dessine. Presque un “monsieur tout-le-monde”. Mais il est né sourd. Parmi ces talents, il possède celui de coacher les entendants pour mieux intégrer les sourds. Depuis peu, il monte sur scène, où il interprète un personnage qui lui ressemble beaucoup, qui nous parle de ses expériences en matière d’éducation, de foot, de sexe, de clubbing et de relations avec les entendants. Oui, il parle! Comme tant d’enfants sourds, on l’a forcé à apprendre la parole, mais il utilise également l’écriture en direct et la langue des signes. Avec son accent, son style et son humour si british et caustique, Cotsen nous fait comprendre le quotidien d’un sourd. Il n’hésite pas non plus à nous livrer son regard sur ces entendants qui ont tendance à le prendre pour un “demeuré”. Ce one-man-show facétieux, émouvant et instructif a de quoi encourager les publics sourds et entendants, ici réunis : on peut faire d’un handicap un atout ! »
Outre les spectacles à venir — déjà s’annonce un alléchant Alice à travers le miroir —, ne manquons pas L’Urgence des Arts, le 2e volet de L’Urgence des Alliances, ces cinq jours de débats réalisés avec Télérama à la sortie du premier confinement. Aujourd’hui, les débats doivent se poursuivre, en une suite indispensable pour imaginer l’avenir.(Janine Bailly)
Fabienne Pascaud, directrice de la rédaction de Télérama, Emmanuel Demarcy-Mota, directeur du Théâtre de la Ville, Marc Dondey, directeur de la Scène de recherche de l’ENS Paris-Saclay :
Comment imaginer l’avenir ? Comment le mettre en scène, en mots et en images ? Comment en faire un récit qui nous porte et nous guide ? L’Urgence des arts prend la forme de 4 jours de débats en direct pour donner la parole aux artistes du spectacle vivant, des littératures et du cinéma. Oui, il y a urgence à voir, lire et ressentir. Donner la parole aux artistes pour faire sens dans l’incertitude. Figurer, fut-ce dans le brouillard, notre dessein commun. Trouver des repères et relever avec audace et générosité le défi de la pensée critique.
Notre priorité est de réaffirmer le rôle essentiel de l’art pour être un porteur de lumière et d’émancipation. Pour tous. Quel que soit son âge, son métier, son parcours, sa connaissance des codes et sa fréquentation – ou non – des salles de spectacles, de cinéma ou des musées. Il sera forcément question dans nos débats de la précarité des artistes et professionnels de la culture de toutes disciplines, longtemps impactés par les fermetures des lieux de cultures…. Mais le but de nos rendez-vous n’est pas seulement de plaider la cause d’un secteur qui souffre de la pandémie comme beaucoup d’autres. Il est de penser à demain, à la nécessité de construire dès aujourd’hui le demain et l’avenirs des arts.
La sidération provoquée par la première vague de la pandémie nous avait fait engager au mois de juin, très vite, L’Urgence des alliances, un grand chantier de construction de passerelles entre culture, santé, environnement, économie, sciences et éducation. Les 20 propositions qui en sont sorties restent entièrement d’actualité. Mais nous sommes entrés dans un autre temps, tissé de désarroi et de défiance, comme privé d’avenir. La seconde vague de la pandémie a entraîné la suspicion et la démonétisation de la parole publique au bénéfice toxique de la rumeur, du relativisme et du complotisme.
La manipulation du bon sens et de l’opinion fait rage. Avec la tentation du repli dans la pensée magique et du refus de la complexité. Avec la pandémie, une brèche s’est élargie, encore, par où se déverse le flot puissant des vérités alternatives. Un post sur Twitter ou Facebook pèse dans la seconde plus lourd que le long travail de l’enquête, de la recherche et de la création. Il y a holdup sur le débat démocratique.
Faire récit, dans ce contexte, devient un combat. Nos débats du mois de juin l’avaient bien repéré. La parole des artistes nous est ici plus nécessaire que jamais. Ils sont nos décodeurs et nos lanceurs d’alertes. Nos phares et nos balises. A eux de faire ce qu’ils font le mieux, ce qui est leur raison d’être : penser l’impensable, éclairer les zones d’ombres et les angles morts. Imaginer des mondes alternatifs, oui, mais tissés dans la vérité sensible de notre vécu.
Le format de l’Urgence des arts est concentré et concis, programmé pour une diffusion en ligne à une heure de grande écoute. Rendez-vous donc sur les sites de Télérama, du Théâtre de la Ville, de l’ENS Paris-Saclay et de l’Institut Français du 14 au 17 décembre de 18h à 19h30. Le 14 avec les Scènes (théâtre, musique et danse), le 15 avec les Livres, le 17 avec le Cinéma. Des échanges le 16 décembre avec trois ministres de la culture permettront d’évoquer la dimension forcément politique de toute réflexion culturelle et artistique.
Face aux menaces de la pandémie, du changement climatique, de la déconsidération de la science et des pulsions illibérales qui minent l’Europe et la démocratie… Deux groupes d’étudiants transmettront aussi leurs questions aux artistes et aux ministres, un groupe d’élèves en médecine auprès de l’AP-HP Hôpital de la Pitié Salpêtrière, un groupe d’élèves en sciences de l’ENS Paris-Saclay et de l’Université Paris-Saclay. L’avenir se construit d’abord dans le débat et le partage des savoirs.