— Par Sylvère Farraudière —
A cette question, posée à Monsieur Alfred MARIE-JEANNE, Président du Conseil Exécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique, il m’a été fait une réponse évasive, le 22 juillet 2019. Je réitère donc ma demande à Monsieur Alfred MARIE-JEANNE, en sa qualité de Président du Conseil Exécutif de la CTM, selon l’article 72-1 de la Constitution, et souhaite avoir en même temps les réponses aux questions que sa réponse du 22 juillet 2019 soulève.
Pourquoi ce musée n’existe-t-il pas déjà, même à l’état de projet, alors que la Martinique affiche une activité muséale prospère et de qualité, à raison d’un musée par semestre ; alors que la CTM annonce avec vigueur et véhémence la création imminente à Fort-de-France, d’un musée déjà financé, dédié aux Arts contemporains ? Qui refuse le Musée dédié à l’Esclavage colonial en Martinique ? La Martinique a supporté l’Esclavage colonial, sur son sol pendant plus de deux siècles sans discontinuer ; et le colonialisme, un siècle de plus ; pourquoi la Martinique ne serait-elle pas capable de supporter, sur son sol, aujourd’hui, un Musée nommément dédié à l’Esclavage ?
Pendant plus de deux siècles, des Nègres et des Négresses ont été arrachés à leur terre d’Afrique, entassés comme du bétail dans les cales des bateaux négriers, puis vendus comme tels dans les colonies d’Amérique dont la Martinique. Là, ils ont été réduits en esclavage, avec comme statut celui d’être meubles. Pourtant, qui que nous soyons, aujourd’hui, en Martinique, nous leur devons ce que nous sommes devenus, par leur travail et leurs sacrifices.
Depuis très longtemps les chercheurs savent à peu près tout sur le huis clos de l’Esclavage colonial. Ils savent que cette épreuve de l’Esclavage colonial a laissé dans notre population des séquelles importantes, toujours actives, préjudiciables à l’équilibre individuel et collectif. Tous ces savoirs se trouvent dans des livres et des archives, qui sont connus par une partie de la population, mais, qui sont tenus concrètement hors de portée sensible du plus grand nombre. Le problème est là : Pour quelles raisons ? Nécessité d’un délai suffisant pour passer de la sidération à la raison ! Oui, mais pendant combien de temps encore ?
Qui a intérêt à encourager la population martiniquaise à se désintéresser de ses propres racines et de son passé ?
La barque-Martinique, « désencayée », mais larguée sans boussole, comme une bulle de savon au gré des courants dominants du grand large ne risque-t-elle pas de revenir tout naturellement à son point de départ, l’Esclavage, par habitude, guidée par l’Ignorance, cette fille adulée de l’Obscurantisme ?
Pourquoi devrions-nous laisser nos jeunes, que nous formons de mieux en mieux, et qui sont de plus en plus talentueux et ambitieux, ignorer cette réalité ou se contenter de connaissances lacunaires, anecdotiques, lointaines, voire fausses sur l’Esclavage ?
La fonction du Musée dédié à l’Esclavage est, d’abord, de permettre le transfert complet, mais, ordonné, maîtrisé et apaisé de ces savoirs sensibles des sachants vers la masse populaire, vers nos visiteurs et nos touristes, mais aussi, et surtout, de permettre, enfin, un enseignement méthodique de l’histoire, en Martinique, gage d’un meilleur vivre ensemble.
Bref, il s’agit, avec ce Musée que nous réclamons, d’utiliser une de ces « armes miraculeuses » libératrices d’énergie dont parle Aimé CÉSAIRE, pour l’égale dignité des Martiniquais.
La République, système institutionnel va de paire avec la démocratie. Par définition elle responsabilise, donne des possibilités aux citoyens quant à l’exercice de la liberté. Curieusement, la marginalisation est utilisée pour affaiblir, humilier malgré cette ouverture. Marcel Luccin
C’est bien à vous, Alfred Marie-Jeanne, que ce type de demande doit être présenté, comme Président du Conseil Exécutif de la CTM, conformément à l’article 721 de la Constitution ; mais, plus encore, comme leader politique dont les efforts pour « désenkayer la Martinique » sont soutenus par le plus grand nombre, et de qui nous attendons qu’il comprenne notre demande. Car, cette barqueMartinique larguée sans boussole, comme une bulle de savon au gré des courants dominants du grand large ne risque-t-elle pas de revenir tout naturellement à son point de départ, l’Esclavage, par habitude, guidée par l’Ignorance, cette fille adulée de l’Obscurantisme ?
Penseriez-vous qu’il soit possible de bâtir le Pays, ou Péy-A, voire, pour certains, la Nation Martinique, sans récit fondateur partagé ; et qu’en conséquence, cet outil serait inutile et qu’il vaudrait mieux laisser nos jeunes, que nous formons de mieux en mieux, et qui sont de plus en plus talentueux et ambitieux, ignorer cette réalité ou se contenter de connaissances lacunaires, anecdotiques, lointaines, voire fausses sur l’Esclavage ? Ne vaudrait-il pas mieux prendre le parti d’être honnête avec l’ensemble de notre population en organisant son éducation systématique et méthodique sur ce thème majeur pour son équilibre actuel et sa survie ? La fonction du Musée dédié à l’Esclavage est, d’abord, de permettre le transfert complet, mais, ordonné, maîtrisé et apaisé de ces savoirs sensibles des sachants vers la masse populaire, vers nos visiteurs et nos touristes, mais aussi, et surtout, de permettre, enfin, un enseignement méthodique de l’histoire, en Martinique, gage d’un meilleur vivre ensemble. La connaissance raisonnée et partagée de nos origines, aussi dramatiques que soient celles-ci, ne peut constituer une entrave au progrès collectif, mais, bien au contraire, elle est une de ces « armes miraculeuses » libératrices d’énergie dont parle Aimé Césaire. L’esclavage colonial, cet univers carcéral, si particulier a été pensé, créé et animé dans tous ses compartiments par des êtres humains, que ceux-ci aient été dominants ou dominés, indignés ou indifférents.
Il en va de la construction de notre identité commune
Les humains restant des humains, le risque que cet univers ne se reproduise jamais, même sous d’autres formes, n’est pas nul. D’ailleurs, est-on sûr d’en être vraiment sorti, quand on observe la nature des difficultés qui nous assaillent (population en baisse et vieillissante ; désœuvrement, chômage et exode des jeunes ; violences meurtrières, trafic et consommation de drogues ; empoisonnement général au chlordécone …) et surtout, la manière dont ces problèmes sont abordés (Tout tourisme, acculturation agressive, hyperconsommation, assistanat, irresponsabilité des décideurs …) ?
Nous pensons, qu’il y a obligation et urgence à éduquer, enfin, notre population, plus de toute autre, à discerner, ne serait-ce que par ses prémices, l’ombre d’un retour de cet univers. Et cela passe par l’éducation du plus grand nombre, dès l’enfance, sur la réalité de ce qui a produit cet univers, de ce qui lui a permis de prospérer, de ce qui l’a fait reculer et qui pourrait le vaincre, en définitive. Il en va de la construction de notre identité commune. En effet, ce système, comme tout système, et du fait même de sa longue durée, a sécrété et installé durablement, les moyens de sa propre survie. En sont sortis une population métissée qui se cherche encore, des préjugés raciaux, le racisme anti-noir et une hiérarchie ethno économique et sociale effective. Le devoir de vigilance que nous promouvons, n’est ni partisan, ni attardé, ni rétrograde, ni retardataire, ni retardatrice.
Cette vigilance concerne aussi bien l’avenir que le passé. Il est grand temps de l’installer, car, on ne peut pas faire reposer le projet d’éduquer l’ensemble de notre population martiniquaise contre l’esclavage colonial et ses méfaits, sur les seules manifestations organisées avec plus ou moins de succès, autour de la commémoration du 22 mai 1848 ; même si ces manifestations sont de la plus grande importance. Le travail patient, méthodique et apaisé des éducateurs au sein de l’espace muséal dédié à l’Esclavage, dont nous vous demandons la création, est la meilleure garantie contre les débordements et les velléités de négationnisme ; il donnera leur pleine signification à ces gestes populaires autour du 22 mai, en termes d’adhésion au devoir de mémoire et d’exploration de voies nouvelles pour la réparation, gage de réconciliation.