— Par Pierre Alex Marie-Anne —
Beaucoup parmi les partisans de la fusion du Département et de la Région au sein d’une collectivité unique baptisée C.T.M. ne voulaient y voir que des avantages : fin des chevauchements de compétences et des financements croisés entre ces deux collectivités de plein exercice ,économie de moyens humains, matériels et financiers, plus grande cohérence dans la définition et la conduite des politiques suivies ,poids plus important vis-à-vis des représentants de l’ETAT.
Un an après l’entrée en vigueur de la CTM les Martiniquais découvrent ,avec un certain effarement, la réalité du système mis en place par cette réforme statutaire : l’hyper-concentration du pouvoir entre les mains d’une même personne ,qui décide de tout comme il l’entend ,et ravale tous les autres rouages de l’institution au rang de simples exécutants et de figurants.
A la vérité tout était déjà inscrit dans les conditions qui ont présidé à cette réforme.
D’abord la méthode suivie : c’est peu de dire en effet que le processus retenu pour la création de cette nouvelle institution a été totalement biaisé au plan démocratique ( Assemblée Unique devenant Collectivité Unique ,double consultations référendaires au mépris des dispositions formelles de la Constitution et surtout absence de toute consultation préalable de la population citoyenne sur le projet de statut élaboré).
Mais c’est la traduction juridique alambiquée de cet échafaudage institutionnel qui en révèle toute la perversité : en clair un mariage forcé entre les principes antagonistes de singularité et d’identité législative des articles 73 et 74 de la Constitution.
Le système adopté est vicié dans sa conception même qui pousse à la formation de deux blocs antagonistes , hermétique l’un à l’autre, sous la férule d’une tête de liste omnipotente, ce qui condamne l’opposition ( comme la majorité elle-même d’ailleurs ) à un rôle de figuration .
Il faut être d’une naïveté ou d’un aveuglement sans bornes pour s’imaginer que les organes délibératifs et exécutifs de la C.T.M., issus de la même majorité ayant remporté l’élection au scrutin proportionnel de liste , puissent avoir une quelconque autonomie de décision ou d’initiative par rapport à celui qui a conduit cette liste et est devenu, ipso facto, Président du Conseil Exécutif .
C’est faire preuve d’hypocrisie que de prétendre le contraire ; la vérité qu’il faut avoir l’honnêteté de reconnaître c’est que la Loi du 27 juillet 2011, a bel et bien enfanté un Potentat local doté de tous les pouvoirs, sans aucun véritable contrôle, une manière de totalitarisme revisité à la sauce tropicale.
Tout ce qui se passe actuellement était parfaitement prévisible : l’Exécutif hors contrôle et tout- puissant , avec pour tenir en laisse les collectivités secondaires comme le monde associatif, l’arme thermo- nucléaire de la maîtrise des principaux financements publics locaux et même européens, fait ce que bon lui semble et pour le reste… « cause toujours ,tu m’intéresses !».
Ceux qui ont été les complices de cette abomination ( ce ″monstre institutionnel‟ comme le remord les amène à dire , sur le tard) ne sont pas qualifiés pour en dénoncer aujourd’hui les méfaits.
Sur le plan de la Démocratie ,c’est un recul historique sans précédent : tout un peuple à la merci des caprices d’un géronte imbu de son pouvoir personnel.
Comment une chose aussi extravagante peut-elle exister au sein de la République et qui plus est perdurer? peut-être , pour ce qui nous concerne sur place , faut-il aller chercher la réponse dans les travaux du récent colloque sur les traumatismes de l’esclavage .
L’ADN d’un grand nombre de nos compatriotes porterait la trace du fer rouge de l’esclavage ,ils ne peuvent donc s’empêcher inconsciemment de se prosterner devant‟ le Grand maître blanc″ , fut-il‟ bô kay″.
Il n’est que temps de se ressaisir pour renouer avec un fonctionnement démocratique !
Premièrement ,en commençant comme en Guyane à substituer à ce Conseil exécutif, aux ordres, une Commission Permanente élue à la proportionnelle des groupes politiques et par conséquent comprenant des élus vigilants de l’opposition ;
Ensuite en rétablissant l’Assemblée délibérative dans ses droits et prérogatives : seuls ses membres ont qualité pour présenter devant elle les rapports issus de l’examen de ses commissions, lesquelles devraient être moins nombreuses pour gagner en efficacité ; c’est la règle en vigueur à l’Assemblée Nationale où les députés délibèrent non pas sur les projets du Gouvernement mais sur les rapports et amendements de ses commissions ; Bien sûr, elle doit disposer également des moyens de son indépendance et pouvoir effectivement contrôler l’exécutif.
Une mention particulière doit être réservée à l’obligation de communication , qui doit être inscrite dans la loi , par tous les moyens techniques modernes notamment informatiques , de tous les actes et délibérations des dirigeants de l’institution ( le C.G.de l’époque le faisait déjà, de sa propre initiative ), afin de permettre à l’opinion publique de jouer pleinement son rôle.
Ensuite et surtout en réformant le mode de scrutin responsable, au premier chef ,de la dérive constatée.
Il convient , à minima, de mettre un terme à la Prime majoritaire de onze sièges, pourvoyeuse de majorité de complaisance , pour limiter ce bonus électoral, si bonus il y a, à cinq sièges maximum.
Le mieux serait cependant de réactiver la proposition de loi du SENAT qui initialement avait retenu le principe d’un scrutin mixte uninominal majoritaire et proportionnel permettant la représentation effective des territoires ( ce pourrait être les communautés d’agglos ) et de la population.
Quoiqu’il en soit ,l’urgence est de sortir de la situation délétère actuelle qui nous conduit tout droit, si nous n’y prenons garde, à un″ scénario à la Haïtienne‟ avec toutes les conséquences néfastes qu’on imagine.
Pierre Alex MARIE-ANNE