par Roland Sabra.
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Le succès des Rencontres Cinémas Martinique ( RCM) tient à la programmation. Parmi les pépites de celle-ci on retiendra tout d’abord » Take shelter » de Jeff Nichols, jeune étasunien de 33 ans, avec Michael Shannon, Jessica Chastain, Tova Stewart, Shea Wigham (2 heures). c’est la famille comme lors de son premier film, Shotgun Stories, dont il est encore question. De la famille et de sa fragilité à fleur de peau. Tout parait pourtant bien tranquille et paisible dans ce coin de l »Ohio pour Curtis Laforche , son épouse Samntha et leur fillette Hannah qui souffre d’une surdité dont la mutuelle de Curtis, ouvrier dans les fondations de bâtiments, devrait financer l’opération qui lui rendra l’audition. L’épouse est un modèle étatsunien du genre. Tout semble donc baigner dans la félicité. Pourtant se tapit sous le bonheur une sourde angoisse, un danger imminent, que Curtiss pressent lors de visions, de cauchemars récurrents qui épargnent son entourage mais qu’il partage avec le spectateur. Agressions canines, accidents de la route, monstrueuses tornades dévastatrices semblent menacer le héros et sa famille. Curtis va progressivement sombrer dans un délire « paranoïde » (?). Quelques pistes explicatives notamment du coté de la mère de Curtis, sont lancées, sans jamais épuiser le pourquoi de la chose. Tout l’intérêt du film repose sur la possibilité très réelle de réalisation dans la vie de tous les jours de ces délires visuels. Curtis est-il un voyant? Ce qu’il perçoit ne relève-t-il pas de prémonitions? Le questionnement est d’autant plus légitime que la télévision rapporte complaisamment des évènements de cette nature. Curtis va alors décider seul, contre tous et au delà de toute raison, d’agrandir et de transformer un abri contre les tempêtes en abri antiatomique. Cette transformation s’accompagne d’un désir de transformation personnelle, puisqu’il cherche à entamer une thérapie personnelle. Mais la fonctionnarisation de la prise en charge de la souffrance individuelle aux États-Unis n’a rien à envier à celle que l’on connait ici. A peine a-t-il débuté que le traitement s’arrête. La Psy a été mutée dans un autre service!
Toute l’ambivalence de la famille étasunienne est présente à l’écran. En voulant à tout prix sauver sa famille Curtis la précipite dans la catastrophe. A cette ambivalence le film entretien comme en miroir le doute et l’ambigüité sur le caractère prédictif ou non des visions de Curtss. La tempête finale semble lui donner raison en étayant la thèse de la prémonition. Elle s’avèrera anodine basculant l’interprétation du coté du délire avant le coup de théâtre final au cours duquel on voit Samantha recueillir dans ses mains des goutes d’une pluie huileuse identique en tout point à celle des cauchemars de Curtis. Plan à notre avis tout à fait inutile puisqu’il déplace le questionnement initial de Curtis et qu’il invite à faire de Samantha un nouveau sujet d’interrogation. Samantha comme Curtis et comme la mère de celui-ci sont -ils des sujets prédisposés au délire. Curtis aurait-il choisi Samantha comme épouse pour ce trait unaire avec la mère? Oedipianisation excessive!
La sortie de l’abri et la découverte du décalage entre ce qui a motivé l’enfouissement de la famille et la réalité de la tempête suffisaient largement à laisser le champ des questionnements ouvert. Le lecteur comprendra que raconter la fin du film ne disperse en rien le voile énigmatique qui le recouvre.
Michael Shannon dans le rôle de Curtis et Jessica Chastain dans celui de Samantha apportent aux personnages une force, et une crédibilité, « néo-réaliste » osera-ton, époustouflantes. Nous n’avons pas fini de les revoir sur les écrans et c’est tant mieux.
Une autre découverte a été le documentaire de Jia Zhang Ke sur la fabuleuse Shangaï. Dix-huit seniors ou presque racontent leur Shangaï amoureuse lors d’entretiens, entrecoupés d’extraits de quelques-uns des films les plus célèbres réalisés dans cette ville à la réputation d’insoumise. Les épisodes d’avant la prise du pouvoir par les troupes communistes, se mêlent à ceux tragi-comiques de la Révolution Culturelle et à ceux capitalistiques et boursiers de la libéralisation. La caméra caresse la ville et ses gigantesques chantiers de rénovation avec tendresse. La reconfiguration du Bund était encore en cours en 2010 et les images nous aident à comprendre ce qu’il est devenu . Le cinéaste joue avec subtilité de l’opposition entre des récits d’un passé éloigné filmes en plans fixes rapprochés et l’avant-gardisme architectural de la ville en plans panoramiques. Shangaï dont on ne peut que tomber amoureux a toujours eu un siècle d’avance.
Gros succès public pour « Ghett’a life », film jamaïcain de Chris Brownie, tourné en 2010.. Kingston, coupée en deux, est aux mains de deux partis politiques qui s’affrontent par tous les moyens, légaux et illégaux en n’hésitant pas à avoir recours à des malfrats. Derrick un jeune adolescent tombe amoureux d’une salle de boxe situé du « mauvais » coté. Comment va-t-il faire pour assouvir sa passion. Il lui faudra braver des interdits claniques, familiaux, religieux etc. c’est un peu Roméo et Juliette sur Kingston, sauf que là Juliette s’appelle la boxe. Les Capulet et les Montaigu s’affrontent. La Juliette est d’ailleurs en la présence de la du nièce (?) du manager de Derrick. L’amour est immédiat.. Les méchants ont de vraies têtes de méchants, avec cicatrices et tout et tout et ils sont vraiment méchants.. Et la fin est heureuse. La maman truffée de balles à bout portant par une demi douzaine d’assassins s’en tire avec quelques blessures, le ( très) méchant et ses acolytes sont tués lors d’un affrontement par un jeune gangster qui y laissera sa peau et Derrick pourra enlacer et sa carrière de boxeur et sa dulcinée. Happy End. Au delà de la violence exhibée à l’écran le film dégouline de bons sentiments.
L’intérêt cinématographique est assez limité. La façon de filmer assez banale. Seule la bande son est « décoiffante ». Comme le dira une spectatrice avertie en matière de cinéma : « C’est un film à montrer aux jeunes dans les quartiers, pour débattre » Parce que vraiment quand on veut on peut. La preuve. Est-ce à dire qu’il s’agit là d’un film prétexte? Prétexte à débat? pourquoi pas le cinéma peut aussi servir à ça.
De « La Soif du mal » ce chef d’œuvre d’Orson Wells, nous aurons la modestie de ne rien dire, si ce n’est merci à Steeve Zébina de nous avoir permis de voir ou revoir cette absolue merveille sur grand écran.
Le CMAC se porte bien.
R.Sabra