— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Depuis plusieurs mois, la hausse des cours des matières premières et des productions agricoles fait bondir ceux de l’alimentation humaine et animale. Une situation amenée à durer qui fait craindre une répercussion sur les consommateurs.
Plusieurs arguments plaident en faveur d’un ralentissement de la croissance et d’une augmentation séculaire persistante de l’inflation, et la Martinique et la Guadeloupe ne seront pas épargnées par ces tendances qui se dessine dans le monde. Difficile de prévoir jusqu’à quand la hausse des prix va se poursuivre. Notre défi actuel est de surmonter la crise du Covid et préparer l’avenir à horizon 2030. Un chemin certes difficile et ambitieux, mais qui semble plus nécessaire que jamais au vu des grands défis du XXIe siècle. Nous serons dans quelques années dans un moment où crise économique, sociale, sociétale, et environnementale s’entrecroiseront.
Cette crise induite en partie par la pandémie de Covid est le signe que notre modèle économique actuel touche à sa fin. On peut espérer un scénario positif, ou une issue plus négative où la seule économie qui sorte de cette crise soit celle d’un dirigisme sans pareil.
Il s’agit d’une déception sur toute la ligne ou presque car les espoirs suscités par les bons chiffres d’avant crise de l’activité ne sont assurément plus au rendez-vous .
Nous sommes arrivés aux limites du système. La dette est devenue la meilleure alliée de l’homme politique déconnecté des réalités socio-économiques . A l’heure où l’Etat nounou fait de plus en plus recette en France, toutes les formations politiques font feu de tout bois pour augmenter les dépenses de l’Etat. C’est là un retour du toujours plus de stimulation budgétaire. Ce retour de la légitimité de l’intervention de l’Etat est une surprise après quarante ans de promotion du laisser-faire dans la sphère économique et de discours libéraux affirmant vouloir limiter l’Etat à ses fonctions régaliennes. Il est temps de reprendre les choses à la base en partant de ce qui importe et peut aujourd’hui justifier un soutien public. A savoir: une consommation saine et raisonnable, une production de proximité , une orientation claire sur la qualité des produits locaux et des modes de production socialement et environnementalement responsables . La croissance de la Guadeloupe ne résidera plus forcément dans la consommation mais dans la production locale à partir de l’énergie verte !
Entre vents contraires de la pandémie de Covid et courants ascendants de la transition écologique , un équilibre est à trouver pour une croissance durable en Guadeloupe à horizon 2030. Aujourd’hui comme hier, il est évident pour le développement de la Guadeloupe qu’une politique de croissance durable et axée sur le long terme doit se concentrer sur la production avec une baisse importante des coûts de production et non seulement sur la seule consommation . Il ne s’agit pas d’améliorer la performance économique en accroissant seulement l’emploi et le capital, mais en particulier en utilisant plus efficacement les facteurs de production et en stimulant l’innovation. C’est pourquoi la nouvelle politique de croissance qui devrait être initiée par les autorités centrales et locales doit être orientée en premier lieu vers l’amélioration de la croissance verte et de la productivité du travail. Engager la transition écologique, ce n’est pas proposer un simple verdissement du système actuel, c’est adopter un nouveau modèle économique et social, rompant avec la dictature du PIB. Un modèle qui renouvelle nos façons de consommer, de produire, de travailler, de vivre ensemble.
Mais nonobstant cette réalité, il y aura entre-temps une nouvelle menace qui pèsera dans les 5 prochaines années sur l’économie de la Martinique et de la Guadeloupe, à savoir le très fort risque à venir de la stagflation. La stagflation est la situation d’une économie qui souffre simultanément d’une croissance économique faible ou nulle et d’une forte inflation (c’est-à-dire une croissance rapide des prix). Cette situation est souvent accompagnée d’un taux de chômage élevé, ce qui contredit ceux qui sont les indécrottables optimistes d’une reprise rapide en V de l’économie de la Guadeloupe.
Pour ceux qui ne connaissent pas le terme, la stagflation a été un problème majeur pour l’économie française dans les années 1970, quand il y a eu un choc pétrolier et une flambée des prix du gaz.
Pourquoi la stagflation serait un désastre pour la pérennité de la départementalisation ?
L’Insee relève que les deux principaux moteurs qui ont soutenu la croissance de la Guadeloupe au cours des dernières années tournent désormais au ralenti. En conséquence , le taux de chômage atteindra avec le coronavirus ses plus haut niveaux en 2023 , et peut encore augmenter beaucoup plus sitôt la fin de l’activité partielle (ou chômage partiel) ; l’effet des taux d’intérêt faibles sur la demande de biens et services s’épuise ; il y a progression des besoins en logements, en investissement industriel ; de même, la poursuite de la hausse de l’endettement, public et privé(PGE) , est de plus en plus difficile à supporter par l’état, les entreprises et les ménages ; la forte demande mondiale a fait augmenter le prix du pétrole, du gaz, des matières premières, et du fret à un niveau qui affaiblit la reprise de l’activité mondiale tout en provoquant paradoxalement une hausse des prix des produits de première nécessité . La reprise de la demande mondiale , brutale anarchique, provoque un renchérissement important de l’offre et un allongement des délais de livraison.Beaucoup de chefs d’entreprises et surtout d’industriels s’inquiètent ainsi de la hausse importante et rapide du prix des matières premières et surtout du transport maritime depuis la Chine. Entre juillet 2020 et octobre 2021, la tonne de PVC a ainsi augmenté de 165% (à 2800 dollars), l’acier a pris sur la même période 176%, l’étain +153% et le cuivre +150%. Après le pétrole, le gaz, les métaux, le bois et les plastiques c’est au tour d’une autre matière première de frôler son pic historique. En s’approchant du seuil des 300 euros la tonne sur le contrat à terme d’Euronext, le cours du blé meunier est, en effet, à son plus haut depuis quatorze ans. La loi de l’offre et la demande joue à plein: tout est plus rare donc plus cher.
Cela pourrait signifier à court et moyen terme avec cet épisode de stagflation pour la Martinique et la Guadeloupe, un taux de chômage qui remonte à 30 % et une inflation à 10%.Nous venons de passer dans un nouveau monde et il est urgent que nos dirigeants disent la vérité au peuple , car au contraire le ciel va s’obscurcir , l’horizon se rétrécir , les première gouttes de la stagflation arrivent déjà à nos portes . La prochaine crise qui s’annonce sera probablement plus proche du cyclone dévastateur que de l’averse passagère de carême . Elle risque d’être d’envergure car elle devrait être à la fois financière, économique, sociale et sociétale .
Qui dit crise dit changement. Cette crise correspond à la fin de l’expansion économique et sociale de la départementalisation . Nous sommes aujourd’hui virtuellement entrés dans une phase de récession fulgurante. D’un point de vue économique, l’offre et la demande de crédit vont se contracter à cause de la crise bancaire qui se profile et la conséquence sera une perte de niveau de vie pour les martiniquais et Guadeloupéens et une augmentation de la précarité ainsi que de la grande pauvreté .
Par ailleurs, on verra surgir avec la dégradation du climat des affaires, une forme de néo-traditionalisme qui refondera l’identité nationale de la France hexagonale , et on pourrait bien imaginer un Gaullisme 2.0, avec une variante négative clairement autoritaire, déjà en germe dans le pays. L’autorité de l’Etat devrait être réaffirmée avec force surtout en ce moment de surenchére syndicale .
L’accouchement d’un nouveau modèle économique et social sera douloureux en Martinique et Guadeloupe et la tension sera la règle : précarisation, troubles sociaux, violence et anxiété y seront omniprésentes. Le hic c’est que nous n’avons plus le choix, et nous allons devoir affronter cette période transitoire et ce avant de voir le bout du tunnel à horizon 2030.
La Martinique et la Guadeloupe connaissent actuellement une période charnière de leur histoire entre un monde qui se meurt et le nouveau qui se cherche. La capacité de ces pays à s’adapter à ce changement déterminera grandement leur avenir économique, démographique, social et sociétal.
A pa jou pyébwa tonbé an dlo i ka pouri
( Ce n’est pas le jour où l’arbre tombe à l’eau qu’il pourrit. Les conséquences ne suivent pas immédiatement les causes) .
Jean-Marie Nol, économiste