— Par Michèle Bigot —
Avignon ne se lasse pas de Shakespeare, non moins que le théâtre en général. S’il survit aussi merveilleusement (littéralement parlant) , c’est bien sûr grace à son inépuisable richesse mais encore de par sa dimension immédiatement intemporelle et universelle. Chacun y trouvera à boire et à manger, selon sa soif et son appétit. Ses problématiques, aussi vieilles que le monde sont inépuisables. Dans cette comédie, la triangulation fonctionne à plein régime, Lysandre aime Hermia, qui est aussi aimée par Démétrius , qui est quant à lui aimé par Héléna. Et ça va tourner en rond, la machine amoureuse ronronne pour notre plus grand plaisir. C’est prévisible à cent pour cent mais ça fonctionne et ça nous amuse. Le mécanisme est exacerbé par l’intervention par l’intervention de malins génies: Obéron le roi des fées, Puck son fidèle serviteur et Titania, la reine de fées. La confusion qui s’ensuit est étourdissante . Sans oublier l’effet de « théâtre dans le théâtre » cher au monde baroque: c’est l’intervention d’une troupe de comédiens bouffons qui joue Pyrame et Thisbé. Le songe d’une nuit d’été figure l’essence même du théâtre, apparitions, disparitions, coups de théâtre, situations rocambolesques, rebondissements, folie, ivresse, intrigue à tiroirs, illusion partout, vérité nulle part, magie, sorcellerie, poésie surtout, poésie et enchantement.
Autant dire que les mises en scène de ce texte fondateur, cette comédie féérique, abondent. c’est avec Hamlet, la pièce la plus jouée depuis son inscription en 1600 au registre des libraires. Chacun y va de sa fantaisie, de son inventivité, avec plus ou moins de brio. Et c’est l’occasion, pour les acteurs de déployer toute leur virtuosité, tour à tour acrobates, danseurs, magiciens ou bouffons. L’univers scénique bascule facilement du réel au fantastique à la faveur de décors, de costumes féériques et du jeu savant des ustensiles de scène. Bref, c’est la fête.
Mais là, avec la mise en scène de la compagine belge Point zéro, on accède à une autre dimension. C’est un feu d’artifice de drôlerie, d’inventivité, de facéties en tout genre. La base repose sur le doublage des acteurs par des marionnettes grandeur nature. Dès lors, tous les excès sont parmis. Le jeu des acteurs interroge le rapport entre manipulateur et manipulé, homme et pantin (allusion à la robotique en passant), pose la question du double et repose sur la caricature. La fantaisie s’en donne à coeur joie, et on reconnaît au passage la culture de carnaval et l’impact du surréalisme dans la culture wallonne. Le monstre y habite le territoire des humains, il est fascinant, drôle, équivoque, perturbant. Et la satire se déploie librement. Ainsi le couple formé par Thésée le duc d’Athène et sa fiancée, Hippolyta, la reine des Amazones , se transforme en couple royal d’Angleterre, minuscule et grotesque. Egée devient un bourgeois belge burlesque et bedonnant, un vieillard acariâtre, un parvenu de cour prêt à vendre sa fille. Ce spectacle présenté comme « un Shakesqueer déjanté, un vaudeville féérique » fera la part belle à tous les thèmes de la culture contemporaine telle l’identité de genre fluctuante, multipliant les références à l’actualité des émisions de téléréalité, aux groupes en vogue, sur le mode du pastiche, de la caricature et de bouffonnerie. La marionnette trouve ici son meilleur emploi, la drag queen occupe le terrain, la fantasmagorie des décors, des costumes est éblouissante. Certaines scènes sont si drôles que chacun oublie sa réserve et on entend le public rire de bon coeur. Un public largement venu de Wallonnie, mais tout le monde y trouvera son compte. Décidément Wallonnie-Bruxelle occupe largement le terrain du OFF, cette année, pour notre plus grand plaisir, avec un allant, une jeunesse, une dynamique, un enthousiasme et une exigence qui font baver d’envie la scène française. Merci pour tous ces spectacles débridés, déjantés, avoisinant la folie sans renoncer à une précision méticuleuse de la mise en scène ni au travail rigoureux des acteurs. Le dévouement total à leur art est indubitable et force le respect (on remarque que certain.es des comédien.nes jouent le même jour dans une autre pièce remarquable, Meduse.s, quelle parformance!). Bravo à cette troupe fantastique, aux deux sens du terme!
Michèle Bigot
Adaptation et mise en scène Jean-Michel d’Hoop
Assistanat à la mise en scène Lucile Vignolles
Avec Ahmed Ayed, Adrien de Biasi, Soazig De Staercke, Fabrice Rodriguez, Amber Kemp, Nicolas Laine, Héloïse Meire, Simon Wauters
Musique Boris Gronemberger
Marionnettes et masques Loïc Nebreda, assisté par Isis Hauben, Maël Christyn, Ségolène Denis
Stagiaire marionnettes Garance Bancel
Scénographie Olivier Wiame assisté par Olivia Sprumont