—J.José Alpha, acteur culturel—
Le Salon international du Livre 2013 dédié à Aimé Césaire, organisé pour la première fois par le Conseil régional de la Martinique dans les premiers jours du mois de décembre 2013, a été marqué par la volonté des élus de faire de la Culture l’un des principaux leviers du développement et de la fierté des Martiniquais.
En l’inscrivant de facto dans les manifestations du Centenaire du poète et homme politique Martiniquais, les organisateurs du Salon l’ont placé au centre d’un calendrier de communications et de réflexions nécessaires à l’identification de certains atouts culturels et économiques de la Martinique :Grand Saint Pierre, Embellie des Trois Ilets, Biennale Internationale des Arts Contemporains (BIAC), Forum de la Diaspora, Assises régionales de la formation, Conférence internationale des investisseurs, Salon de l’Agriculture …
La Région Martinique a ainsi invité les Martiniquais à faire le point en deux mois (novembre et décembre), sur la dynamisation des secteurs culturels et de formation dont elle a la responsabilité.
Ces axes de développement ont été présentés avec succès autant aux Martiniquais et aux Caribéens, qu’à la jeunesse martiniquaise qui a réussi de belles initiatives et des carrières professionnelles dans le monde.
L’innovation et la cohérence de la démarche de communication globale développée par la Région Martinique, n’a échappé à personne. Elles ont renforcé la fierté des Martiniquais quand ils ont, d’une part, rencontré, entendu et apprécié ces jeunes entrepreneurs de la diaspora aujourd’hui intégrés aux grands groupes économiques dont ils sont les représentants.
Mais c’est surtout le sentiment de jouer un rôle important dans la reconnaissance internationale des potentiels culturels, littéraires et artistiques qui a prévalu, quand des personnalités qui furent invités d’honneur des Martiniquais, respectivement à la BIAC et au Salon International du Livre, le sculpteur Sénégalais Ousman Saw et l’écrivain Haïtien Dany Laferrière, quelques jours après leur séjour en Martinique, ont été respectivement élus à l’Académie des Beaux Arts et à l’Académie française.
Deux puissances culturelles et artistiques qui ont participé à l’hommage rendu à Aimé Césaire ainsi qu’au Dr Pierre Aliker ; ces deux hommes d’exception qui ont porté à bout de bras l’émergence de la culture Martiniquaise et qui ont parrainé la première édition du Salon International du Livre en 2004 et 2005.
Convaincus que « la lecture constitue un enjeu social et politique considérable » selon Jean Marc Ayrault (actuel Premier ministre français) dans sa Lettre culturelle de la Ville de Nantes en octobre 1992, les organisateurs du Salon du Livre de la Martinique se sont certainement imposés trois axes en 2013:
– Favoriser la lecture auprès de toutes les couches sociales par une politique culturelle offensive pour faire de chaque individu un citoyen cultivé, éclairé, informé, exigeant grâce à la maitrise des langues (français et créole) du pays dans lequel il vit, autant qu’à la compréhension de celles pratiquées dans les pays limitrophes (anglais, espagnol). La maitrise de l’écrit devenant le premier garant contre l’exclusion. « Pour réussir une scolarité, pour ne pas subir son environnement et ses conditions de travail, pour vivre à part entière sa citoyenneté, il convient de maitriser l’écrit.» Et puis, le livre étant témoin des pensées des générations, il est aussi un moyen de dépassement. Aucun homme n’ayant assez d’expériences personnelles pour bien comprendre les autres ni pour bien se comprendre lui-même, André Malraux disait très justement que les « livres sont des portes ouvertes sur d’autres âmes et d’autres peuples.»
– Promouvoir auprès de tous, l’identité de la littérature de la Martinique, de la Caraïbe et des Antilles, caractérisée par son Histoire aujourd’hui reconnue. L’inscription des imaginaires martiniquais, par exemple, dans les cosmogonies africaines, américaines, levantines, européennes et asiatiques, par ses écrivains, ses poètes, ses conteurs, ses philosophes, journalistes, réalisateurs de cinéma et de théâtre, étaient jusqu’à présent confidentielles donc ignorées du Monde. Aujourd’hui la littérature antillaise et caribéenne issue de la créolisation des civilisations, attestent notamment de notre capacité « à prendre conscience de soi, de se savoir « autres » et, à la fois, de continuer à s’enrichir de la langue et de la culture « dominante » ; cela ne serait-il pas une caractéristique différenciatrice de notre civilisation aux Antilles ? » s’interroge Raúl Ernesto Colón Rodríguez, éditeur en chef de presse de Cubarte.
– Reconnaitre et comprendre l’Humanité, ses passions, ses questionnements et ses applications civilisationnelles. La jeunesse en formation notamment, sait que toute réflexion solide passe avant tout par une réflexion sur la pensée des grands auteurs. Que la lecture du livre enseigne bien la modération, l’écoute et la tolérance; elle permet d’opposer à l’ignorance, les questionnements identitaires, les connaissances et les imaginaires des peuples. « J’ai compris que le Théâtre me permettait de porter mon combat à la connaissance du Monde » a dit Aimé Césaire.
Si la fréquentation de cette première édition régionale du Salon international du Livre, a été moyenne, selon l’avis des participants, nous savons qu’un tel évènement culturel relancé après dix années de silence, qui place le livre, l’écriture, la bande dessinée, le théâtre et la littérature au centre des dispositifs de formation, d’éducation et de loisirs, est confronté à ses concurrents directs de communication. La radio, le cinéma, la télévision, l’informatique, autant d’espaces virtuels dont l’attractivité constitue depuis une bonne vingtaine d’années, l’un des enjeux éducatifs et de loisirs auprès des populations de tous âges. Ils attestent en effet de l’évolution et du progrès dans le vaste champ de la communication immatérielle des nouvelles technologies dont nous devons tenir compte.
Et c’est très justement que Serge Letchimy, Président de la Région et Député de la Martinique, en ouverture du Forum de la Diaspora, quelques jours après le Salon International du Livre, a précisé que « La Martinique se trouve aujourd’hui en face de l’exigence d’une réflexion neuve sur son devenir. Notre pays devra affronter la mondialisation, les soubresauts écologiques, amorcer des mutations économiques profondes, alors qu’il se trouve dans une situation de mal-développement structurel qu’aucune des politiques mises en œuvre jusqu’alors n’ont pu faire évoluer durablement. Notre souci est de nous efforcer de faire que cette « écoute particulière » provoquée par la crise puisse défaire des rigidités, crever des impossibles, briser des ossifications : (Il faut donc) Entrer dans la modernité en préservant notre patrimoine identitaire, ouvrir la voie à un projet d’ensemble capable de rassembler les martiniquais autour de leur propre développement, pensé par eux et mis en œuvre par eux, dans une république unie respectueuse des diversités, de l’égalité, du droit à la différence et à l’initiative. »