— par José Alpha—
La troupe nationale dramatique du Théâtre Daniel Sorano du Sénégal où ont évolué l’exceptionnel Douta Seck, ainsi que Aliou Cissé et Ousmane Seck bien connus des comédiens martiniquais, a donné à voir spécialement pour le 42eme Festival de Fort de France, La Tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire dans la salle éponyme du Théâtre municipal de Fort de France.
La figuration ayant été assurée par les ateliers du Sermac, les dix neuf comédiens du TDS ont joué laborieusement l’une des pièces majeures du dramaturge martiniquais. Une pièce quasi mythique qui raconte en trois actes, le destin tragique d’un homme politique dont l’ambition est de hisser son pays, envers et contre tout, au niveau des grandes puissances européennes. Une fois l’indépendance conquise, Henri Christophenommé Président de la république par le Sénat, refusera ce titre pour se proclamer Roi du Nord d’Haïti. Mais trop exigent de son peuple à qui il impose des conditions de travail extrêmes et cruelles, les Haïtiens se révoltent contre le despote.
Cette pièce qui donne à voir la reconstruction et la quête de reconnaissance, d’un pays stigmatisé par son passé colonial a fait l’objet de nombreuses interprétations dont celle portée à la Comédie française en 1991 « avec des acteurs blancs » par le cinéaste burkinabé Idrissa Ouedraogo et dont Césaire a pu dire à l’époque : « ils ont déshaïtianisé la pièce ».
Mais les interprétations dont se souviennent les martiniquais sont bien celles de 1976 au 4eme Festival de Fort de France avec l’exceptionnel Douta Seck dans le rôle principal dirigé par Jean Marie Serreau ainsi que celle du célèbre Théatre national d’Haiti avec Hervé Denis qui tenait 15 ans plus tard, le rôle de Henri Christophe dont on se rappellera toujours la fameuse tirade qu’il lance à la face de ses courtisans, en réponse à Mme Christophe qui appelle son attention sur ses méthodes, disons, un peu trop énergiques : Je demande trop aux hommes! Mais pas assez aux nègres, Madame! S’il y a une chose qui, autant que les propos des esclavagistes, m’irrite, c’est d’entendre nos philanthropes clamer, dans le meilleur esprit sans doute, que tous les hommes sont des hommes et qu’il n’y a ni Blancs ni Noirs..C’est penser à son aise…
Dans un décor minimaliste, austère, animé fort heureusement de quelques pirouettes du bouffon Hugonin, parasite et agent de renseignements, que nous avons connu plus alerte, feu follet de la Comédie delarte que le poète appréciait particulièrement pour sa gestuelle et son sens de la flagornerie, cette interprétation 2013 se déroule sur un rythme didactique illustré par des tableaux scéniques poussifs et sans émerveillement.
L’acteur principal Ibrahima Mbayé, hiératique et un peu vert, peine à accrocher l’auditoire pourtant attentif au texte qu’il connait bien ; mais si la voix de Christophe porte en déclamation, le texte est inaudible en modulation basse pourtant dans une petite salle à l’acoustique reconnue. Cette observation est valable pour certains personnages, notamment les femmes dont l’élégance et la beauté sont à souligner mais dont la tenue vocale et textuelle pénalisent malheureusement l’évolution des tableaux scéniques souvent mal éclairés.
La pièce s’essouffle réellement à l’acte 3 depuis la messe de l’Assomption à l’église de Limonade. L’accès de folie du Roi précède malheureusement une atonie de l’ensemble, et on voit filer sans les comprendre, les situations entre le médecin ( qui est le metteur en scène) et le Roi, entre Christophe et son épouse, entre Richard et le Roi devenu paralysé des jambes. Les hallucinations de Christophe sont escamotées comme son suicide du reste. Pourquoi ? Est-ce un souci d’allègement pour une pièce qui tient pourtant facilement les 90 minutes de jeu soutenu ? Ou bien, et cela est plus grave, est-ce un choix délibéré de supprimer les scènes de confusion et de désespoir du Roi submergé par la perte de son autorité ? Des hypothèses politiques redoutablement actuelles comme nous le montre le miroir du Théâtre.
Donc Baron Samedi vient annoncer la mort du Roi et c’est la fin. L’enterrement debout du Roi dont le corps devait être tourné vers le Sud qu’Hervé Denis avait planté en scène sur fond de chants vaudou avec la volupté de la Mort sur le corps des femmes, et l’Ogun ferraille dans la main des hommes pour bâtir le pays, ont disparu de cette version sans puissance. Mais qu’y croire ?
« Il est temps de mettre à la raison ces nègres qui croient que la Révolution, ça consiste à prendre la place des Blancs et continuer, en lieu et place, je veux dire sur le dos des nègres, à faire le Blanc. »
Nous l’avons vue et n’avons pas été convaincus.