Le risque d’une crise systémique pour l’Outre Mer en cas de censure du gouvernement Barnier sur le budget.

— Par Jean-Marie Nol —

L’irresponsabilité budgétaire qui prévaut en France ne cesse d’inquiéter, et les récents développements autour du projet de budget 2025 en témoignent amplement. Alors que le gouvernement semble résolu à recourir à l’article 49.3 pour imposer son texte, le spectre d’une crise institutionnelle et financière plane sur le pays, avec des répercussions inquiétantes pour l’outre-mer, souvent en première ligne des difficultés économiques et sociales.

Le débat budgétaire, qui aurait dû être une opportunité pour engager enfin les réformes nécessaires, s’enlise dans des affrontements politiques et des compromis avortés. Malgré des ajustements probables lors de l’examen au Sénat et la perspective d’une commission mixte paritaire, les désaccords profonds entre les deux chambres laissent peu d’espoir d’un consensus. Si le Premier ministre, conformément à son annonce du 23 octobre, choisit de recourir au 49.3, il s’exposera mécaniquement à une motion de censure, arme ultime de l’opposition. Dans ce contexte, un rejet du gouvernement et du budget ouvrirait une brèche institutionnelle sans précédent. La loi organique relative aux lois de finances, pourtant cadre législatif clé, ne prévoit aucun mécanisme clair pour gérer une telle impasse. Ce vide juridique, couplé aux tensions politiques, pourrait conduire à un blocage économique et financier paralysant pour l’ensemble de l’État. Des 40 milliards d’euros d’économies annoncées par Michel Barnier à son arrivée à Matignon, qu’en restera-t-il à la fin ?

Le poids de cette situation dépasse largement les murs de l’Assemblée nationale. Les marchés financiers, déjà attentifs aux dérapages budgétaires français, et les institutions européennes, garantes de la stabilité de la zone euro, pourraient rapidement perdre patience. La France s’enliserait alors dans une spirale de défiance, alimentée par l’absence de réformes structurelles sur des postes-clés comme les retraites, les cotisations patronales ou encore la gestion des collectivités locales. Ces renoncements, fruits d’une peur de heurter l’opinion publique, reflètent une vérité brutale : les Français semblent réfractaires à accepter les sacrifices nécessaires pour redresser les comptes publics. Or, dans un contexte d’endettement croissant, cette posture irresponsable ne fait qu’accroître le risque d’un scénario comparable à celui de la Grèce, où l’austérité imposée a laissé des cicatrices profondes sur la société. Avec, au bout, le risque de n’avoir qu’un seul perdant, la France, qui glisserait progressivement vers une crise financière.

L’outre-mer, souvent tributaire des subventions et des transferts financiers de l’État, serait particulièrement vulnérable à une telle crise. Les territoires ultramarins, déjà confrontés à des défis socio-économiques majeurs, pourraient se retrouver sans filet de sécurité. Une éventuelle crise budgétaire ou politique en métropole exacerberait les inégalités et les tensions déjà palpables dans ces régions. La fragilité de leurs économies locales, combinée à une dépendance structurelle vis-à-vis de l’État, rend ces territoires particulièrement exposés à l’incertitude qui s’annonce.

Face à ce tableau sombre, certains experts évoquent une option radicale : le recours à l’article 16 de la Constitution, qui octroie des pouvoirs exceptionnels au président de la République. Conçu pour des situations de guerre ou de crise majeure, cet article pourrait être activé si les institutions de la République ou l’intégrité du territoire national étaient gravement menacées. Emmanuel Macron, en dernier recours, pourrait ainsi imposer le fonctionnement de l’État sans passer par le Parlement, le temps que les parlementaires parviennent à un accord. Une solution qui, bien que légale, serait perçue comme un aveu de l’échec démocratique et risquerait d’aggraver les tensions sociales.

Si cette mesure exceptionnelle permettrait de maintenir à flot les services publics et de garantir la collecte des impôts, elle poserait inévitablement la question de la légitimité politique et des dérives autoritaires. Le Conseil constitutionnel, appelé à vérifier les conditions de l’application de cet article au bout de trente jours, serait alors confronté à une tâche délicate, entre respect de la lettre de la Constitution et préservation des équilibres institutionnels.

En définitive, la crise qui se profile n’est pas seulement budgétaire ou institutionnelle : elle est avant tout symptomatique d’un refus collectif d’affronter les réalités économiques. La France, embourbée dans une gestion court-termiste et une aversion chronique aux réformes, se dirige vers un point de rupture. Si l’urgence commande des décisions fortes, la méthode employée et les choix effectués dans les semaines à venir détermineront l’avenir d’un pays où la stabilité est de plus en plus précaire. Pour l’outre-mer, qui incarne une part essentielle de la diversité française, l’enjeu est de taille : survivre à une tempête économique et politique dont il est l’un des premiers otages.

« Sa ki pa bon pou zwa pa bon pou kanna. »

Traduction littérale : Ce qui n’est pas bon pour l’oie n’est pas bon pour le canard.
Moralité : Vivre dans un contexte singulier d’irresponsabilité des autres, mène à sa perte ou à celle de son identité.

Jean-Marie Nol économiste

Audrey, Andréa, Catherine et Sylvie de Culture Egalité