Le retour des Compagnies Républicaines de Sécurité (CRS) en Martinique suscite une vague de réactions mêlées de crainte, de colère et de nostalgie amère. Depuis les émeutes sanglantes de décembre 1959, au cours desquelles trois jeunes Martiniquais avaient trouvé la mort, la présence des CRS était devenue un symbole de tensions profondes entre l’île caribéenne et l’État français.
Aujourd’hui, l’envoi de la CRS 8, unité spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines, enflamme à nouveau les esprits. Pour Yann, 43 ans, habitant de Fort-de-France, cette décision est « la goutte d’eau qui va faire déborder le vase ». Dans un contexte où les Martiniquais expriment leur colère face à la vie chère, l’arrivée de cette unité répressive apparaît comme une provocation. « Au lieu de s’engager dans un dialogue sincère, l’État choisit la répression », s’insurge Yann.
Mi-septembre, les tensions s’étaient déjà accentuées lorsque le collectif RPPRAC, fer de lance de la mobilisation, avait quitté les négociations en raison du refus du préfet de retransmettre les débats en direct. La préfecture, bien que promettant une nouvelle table ronde, n’a pas encore annoncé les modalités précises de ce dialogue, laissant place à l’incertitude.
La députée Béatrice Bellay, voix majeure de l’opposition locale, n’a pas tardé à réagir. Dans un communiqué cinglant, elle dénonce le retour des CRS comme une mesure susceptible « d’aggraver les tensions ». Selon elle, le gouvernement macroniste réitère les erreurs du passé en négligeant le climat social fragile de l’île. En décembre 1959, des émeutes avaient éclaté après un simple différend de stationnement, alimentant un brasier de mécontentements liés aux inégalités et à la répression policière. Les CRS avaient alors été renvoyés en métropole par décret, pour ne jamais revenir… jusqu’à aujourd’hui.
Pour certains Martiniquais, les souvenirs douloureux sont encore vivaces. L’historien Louis-Georges Placide rappelle que, bien avant 1959, les CRS étaient associés à des épisodes de « grande violence ». « Leur retour ne peut être perçu que comme une provocation, même s’ils ne sont pas responsables des actes passés », estime-t-il. Sabine, 49 ans, nuance néanmoins cette position : « S’ils sont là pour maintenir l’ordre, pourquoi pas ». Mais elle n’oublie pas les revendications politiques des Martiniquais qui avaient demandé leur départ, dénonçant un racisme latent au sein des forces de l’ordre.
En parallèle, la situation sur le terrain reste tendue. Les violences urbaines de ces derniers jours ont poussé le préfet à imposer un couvre-feu dans certaines zones de Fort-de-France et du Lamentin. Des carcasses de voitures brûlées jonchent encore les rues, et des barrages improvisés empêchent la circulation, signes visibles d’une île en ébullition.
Alors que certains habitants, inquiets pour leur sécurité, accueillent favorablement l’arrivée des CRS, d’autres, comme Olivier, 52 ans, y voient un symbole persistant de colonialisme. Pour lui, les CRS sont synonymes de brutalité, et leur retour est perçu comme un rappel du pouvoir répressif de l’État français.
Le spectre des émeutes de 1959 plane toujours sur la Martinique, et la question qui demeure est celle de savoir si, cette fois, le dialogue l’emportera sur la violence.
D’après dépêche d’agence