Le régime des intermittents n’est pas un privilège

— Par Mathieu Grégoire (Maître de conférences en sociologie à l’université de Picardie-Jules-Verne) —
clownsLes intermittents du spectacle bénéficient-ils d’un régime « privilégié » d’indemnisation du chômage ? On connaît la rhétorique des contempteurs de ce régime : alors qu’ils ne représentent que 3,5 % des allocataires, les intermittents seraient responsables d’un quart du déficit de l’assurance-chômage.

Le hasard fait bien (ou mal) les choses. Car le déficit de 1 milliard d’euros attribué aux intermittents n’a à peu près rien à voir avec le déficit général de l’Unedic (prévu à 4 milliards en 2014). Comme l’a récemment rappelé la Cour des comptes, les intermittents, dont le déficit du régime est très stable, ne sont pour rien dans l’apparition de ce déficit qui s’explique uniquement par l’aggravation du chômage des salariés en CDI et en CDD. Attribuer un quart du déficit de l’Unedic aux intermittents est absurde : ce procédé purement rhétorique vise uniquement à désigner un bouc émissaire. Pour être juste, il faudrait ajouter qu’un quart du déficit ce n’est pas beaucoup : le budget d’une assurance est fait d’une multitude de déficits d’un côté et d’excédents de l’autre. Par exemple, en 2011, les salariés en CDD représentaient plus de 350 % de déficit de l’Unedic.

Dès lors, on ne peut parler de déficit du régime des intermittents que de manière métaphorique, car il n’existe pas de caisse des seuls intermittents (mais une caisse pour l’ensemble des salariés du privé). Et, dans ce cadre, il est logique que leurs cotisations et leurs allocations ne s’équivalent pas. A moins de revenir sur le principe même d’une assurance solidarisant l’ensemble du salariat à l’échelle interprofessionnelle, il est en effet difficile d’imaginer qu’il puisse en être autrement.

Le régime des intermittents représente-t-il malgré tout un « surcoût » par rapport au régime général ? C’est l’idée qui a émergé, après la publication en avril 2013 d’un rapport parlementaire rédigé par le député (PS) Jean-Patrick Gille. Si on supprimait le régime des intermittents, l’économie réalisée ne serait pas de 1 milliard mais seulement de 320 millions, dans la mesure où une partie des intermittents basculerait au régime général et continuerait de percevoir des allocations.

Depuis lors, le débat est focalisé sur cette somme de 320 millions de « surcoût » : certains en font le nécessaire, mais raisonnable, « prix de la culture ». D’autres (comme les auteurs d’un rapport sénatorial aux recommandations radicales paru en décembre 2013) en font un objectif d’économies à atteindre.

Le Medef, de son côté, s’est saisi de cette opportunité pour demander à l’Etat de financer ce surcoût au titre de sa politique culturelle. Mais ce surcoût existe-t-il vraiment ? On peut en douter. Les intermittents ne coûtent pas plus cher que les autres chômeurs : ces 3,5 % des effectifs indemnisés représentent 3,4 % des dépenses. La mesure du surcoût de 320 millions n’est que l’incarnation comptable de l’idée préconçue selon laquelle les intermittents seraient des privilégiés. Il ne s’agit ni plus ni moins que de quantifier ce « privilège » en se demandant à combien le « coût » des 100 000 intermittents s’élèverait si on les mettait au régime général.

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