Le ravissement de Michel T. Houellebecq

« L’Enlèvement de Michel Houellebecq », un film de Guillaume Nicloux

L'enlèvement de M HouellebecqPar Selim Lander – On ne dira jamais assez ce que la littérature française du XXème siècle finissant a dû à Michel Thomas, dit Michel Houellebecq. Ses premiers romans, Extension du domaine de la lutte (1994) et Les Particules élémentaires (1998) sont apparus comme des OVNIs dans un ciel plutôt morne dominé par une autofiction plus ou moins avouée, un ciel que la présence remarquable de quelques stylistes talentueux ne suffisait pas à rendre éclatant, faute pour ces derniers d’avoir des choses vraiment passionnantes à raconter. Si le style n’est pas le premier souci de Houellebecq, il excelle, en particulier dans les premiers romans cités mais les suivants se sont encore laissés lire avec plaisir, dans deux genres qu’on n’attend pas à voir se conjuguer : la peinture désabusée de personnages – le narrateur au premier chef, pris dans un malaise existentiel et un pessimisme profonds – qui n’est néanmoins jamais pesante pour le lecteur ; une analyse sociologique percutante de la France et de ses habitants. Grâce à Houellebecq les lecteurs francophones ont ainsi accédé à une sorte de littérature décapante qu’ils devaient aller chercher, jusque-là, chez quelques romanciers nord-américains (on pense par exemple à Tom Wolfe).

Quoique Houellebecq ne hante guère les plateaux de télévision, ses rares apparitions ont convaincu qu’il ne tenait pas plus que ça à la vie et au succès, et que son pessimisme n’était pas qu’une pause d’artiste. On se souvient peut-être, à cet égard, de cet aphorisme dans Plateforme 2001) : « L’absence d’envie de vivre, hélas, ne suffit pas pour avoir envie de mourir ». Le film de Guillaume Nicloux illustre cette philosophie bien particulière et le personnage de Houellebecq, joué par lui-même, ne manque pas d’étaler son spleen mais, paradoxalement, on le voit reprendre goût à la vie – dans le film, du moins – lorsqu’il se trouve tiré du train-train de sa vie parisienne par le trio de truands qui exécutent son enlèvement. Transporté dans une maison aménagée dans le style le plus kitch qui soit, à la limite d’un terrain vague, il s’épanouit quelque peu. Au contact de ses ravisseurs, Michel Thomas dit Houellebecq semble expérimenter quelque chose qui, chez lui, doit être le plus proche du ravissement. Les trois Pieds-Nickelés qui sont chargés de la maintenir en détention se montrent en effet des plus sympathiques, l’invitant bientôt à leur table pour des agapes avinées au cours desquelles s’échangent les propos les plus insolites. Il serait dommage de ne pas nommer ces trois comédiens, tant ils se révèlent excellents : Maxime Lefrançois, le culturiste, Mathieu Nicourt, le boxeur et Luc Schwartz, l’ancien des commandos, chacun en venant, à un moment ou à un autre, à tenter d’enseigner les rudiments de son art au prisonnier. Quand on connaît Houellebecq – de plus en plus souffreteux au fur et à mesure des années – on imagine facilement ce que cela peut donner. Tous les personnages qui hantent cette improbable demeure, à commencer par sa propriétaire (Ginette Suchotzky) sont excellents. El l’on n’aura garde d’oublier la pulpeuse Marie Bourjala dans le rôle de la jeune femme chargée de satisfaire le besoin de chair fraîche du prisonnier. Alors, comme l’écrit Sophie Gindensperger dans Libération (27 août 2014), le film « bascule dans une ambiance de prostitution tranquille qui ne déparerait pas dans un de ses [Houellebecq] romans ».

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Cette comédie ne basculera en tout cas pas dans le film noir : nous ne saurons jamais à l’initiative de qui l’écrivain aura été enlevé, dans quel but, qui aura payé une rançon – si rançon il y a (même si les truands finiront par être payés et le prisonnier libéré). Il ne faut donc pas chercher une intrigue policière, ni même un « suspense » car il est évident dès le départ que l’enlèvement ne peut que bien se terminer. On rit beaucoup, tant est vif le contraste entre un Houellebecq déglingué et bredouillant ses pensées subversives (la Suède est une dictature, etc.) entre deux cigarettes ou deux verres d’alcool, et les trois costauds, ses anges gardiens, qui se montrent tour à tour déférents envers l’auteur célèbre, amusés par le personnage et parfois même inquiets pour sa santé. Quoi qu’il en soit de ces craintes que le spectateur finit par partager, il y a longtemps qu’on n’avait pas vu un film aussi drôle.