par Victor LINA, psychologue-clinicien
–Dans le film de Sarah Maldoror « Eia pour Cesaire »2009, Aimée CESAIRE évoque une angoisse martiniquaise, un malaise martiniquais qu’il associe à l’histoire d’un peuple qui souffre d’avoir été déraciné, la quête martiniquaise serait de retrouver des racines ou de refaire racine. Cette thématique se retrouve chez Edouard GLISSANT dans sa conceptualisation de l’identité qui va de la racine au rhizome.
En regardant ce film, un détail surprend, l’homme CESAIRE est interrogé à Basse-Pointe puis semble-t-il à Grand-Rivière et répond assis sur des rochers donnant le dos à la mer quand soudain ce geste anodin, ce « rangement du paquet » est spontanément effectué par cet homme qui signe son appartenance au peuple, au genre humain.
De nos jours, ce « tic » a quasiment disparu. De quoi s’agit-il ? Il n’était pas rare en effet, il y a quelques dizaines d’années et moins, qu’un homme se touche le sexe en public au cours d’une rencontre entre amis, assis ou debout, tout continuant à participer à l’activité qui motivait ce rassemblement, discussion, jeu, palabres, repas etc. Ce geste que nous décrivons comme rangement du paquet n’est pas lié nous semble-t-il au fait qu’en ces année 70, les vêtements se portaient très près du corps et que cela occasionnait une gêne pour le pénis et bourses de la gente masculine. Car les modes varient avec des effets de retour où c’est tantôt lâche tantôt serré.
Ce geste peut être qualifié d’obscène s’il n’y a pas cette tolérance culturelle commune. Il est anodin dans la mesure où il est admis socialement. Mais nous pouvons aussi reconsidérer ce rapport. Est-il si anodin que cela ? Il ne s’agit pas d’afficher une posture bégueule et empreint d’un excès de pudeur. Il s’agit d’interroger cette accentuation de la pudeur, ce possible refoulement qui aurait entrainé un changement d’attitude ; puisqu’il est rare aujourd’hui d’observer ce schème de rangement du paquet dans la population et notamment chez les jeunes. C’est dans leur cas, la remontée du pantalon qui s’impose quand la chute de l’habit devient inexorable.
Ce geste est-il universellement pratiqué ? Sans doute oui. Mais avec quelles restrictions, suivant les cultures, les mœurs ? Pourquoi était-il largement répandu dans les comportements habituels en Martinique et pourquoi – alors qu’aucun interdit exprimé ne s’est fait entendre – cet automatisme gestuel a-t-il disparu ?
Evoquant cette question auprès d’une martiniquaise parmi nos connaissances en lui disant que nous travaillons sur un comportement que nous lui avons présenté comme« le rangement du paquet », elle afficha une attitude d’incompréhension devant cette formule énigmatique. Mais après que nous l’ayons fait part du comportement d’attouchement auquel renvoyait cet euphémisme, elle admit qu’elle y avait pensé, mais avait chassé aussitôt, dans la fulgurance de l’éclair, cette idée, de ses représentations.
Cette question appartient-elle à notre archéologie comportementale ? Elle tend peut-être à le devenir, cependant nous croyons que la psychologie, la psychanalyse, la sociologie, la philosophie mais aussi l’art et notamment la poésie, pourraient contribuer à la construction d’un propos éclairant sur notre malaise qui n’est pas une simple gêne vestimentaire.
Il y a-t-il une angoisse martiniquaise ? Si oui, en quoi est-elle martiniquaise ? Comment s’exprime-t-elle ?
Le rangement du paquet, cet auto-attouchement furtif, est-il le signe d’une angoisse mâle, d’une peur de les perdre, de perdre ses parties, de perdre la partie ? Est-il le signe d’une recherche d’assurance de la permanence de l’objet ? Si cette recherche se réalise au niveau du corps en public : est-ce pour se rassurer personnellement pour obéir à une nécessité narcissique ou est-ce pour montrer et se montrer en passant par l’autre pour authentifier son existence par l’avoir ? Que dire de cette quête de l’avoir en signe masqué d’une promesse d’être ou d’une souffrance d’exister ?
Remarquons qu’un artiste américain, Michael JACKSON a souligné ce geste dans sa chorégraphie avec une emphase ambigüe et dorénavant il n’est plus réservé aux hommes puisqu’au moins sur scène, les femmes, mais on a vu aussi des fillettes, imitant les grandes, leurs aînées, donner le change.
D’ailleurs, le fait de montrer qu’il y a du sexe n’est pas réservé aux hommes. « Sé la ou sòti » ou « Mi la ou sòti ! » sont des formules bien connues que nombre de mères emploient aux Antilles, en montrant de la main leur pubis voire en allant jusqu’à poser la main sur leur bas ventre, sans exhiber leur nudité. La mère et non la femme, dans ce cas indique le berceau originel de l’enfant quand celui fait montre d’une impertinence, d’une suffisance qui signe son élan vers l’autonomie.
As-t-on dépassé cette question, sommes-nous sortis de l’embarras ? Rien n’est moins sûr. Faut-il y voir les indices d’une faillite d’un phallus demeurant imaginaire et donc toujours à renouveler, toujours à présenter ou plutôt à présentifié puisque non représenté, non inscrit dans le registre de la représentation ?
Hannah ARENDT au sortir de la deuxième guerre mondiale analysa le phénomène de la crise de la culture auquel elle rattacha la crise de l’autorité et le problème de la liberté. L’autorité qui n’a pas toujours existé, n’est pas, selon elle simplement contestée, elle est en déclin, elle est en train de disparaître depuis son intrication avec le clergé romain mais aussi depuis la mise en doute du sacré notamment par la philosophie.
Jacques LACAN dès 1938 évoque le déclin social de l’imago paternelle qui constitue une crise psychologique conséquence des effets du progrès, aujourd’hui nous dirons de la modernité, marqués notamment par l’empire grandissant de la prise en charge politique de ce qui relève de l’intime.
Quelles belles bretelles !
Victor LINA
Article paru dans la revue Antilla dans la rubrique « Quelques mots écrits pour dire psy »
* Le titre est de Madinin’Art