— Par Yves-Léopold Monthieux —
Alerté, le premier magistrat de la ville est venu, s’est entretenu avec les touristes, lesquels lui auraient dit qu’il n’y avait rien de grave. C’est le propos du maire. Ces Européens venaient de voir d’autres usagers de la plage jeter leurs bagages à la mer. Pourtant, aucun reproche ne leur avait été fait à leur arrivée en Martinique. De gentils hôtes les avaient accueillis : responsables du tourisme, employés d’hôtel, loueurs de voitures, restaurateurs et autres prestataires de service. Y compris les élus qui, cependant, n’ont pas été interpelés par les faits qui se sont déroulés sur cette plage du nord-caraïbe par une matinée ensoleillée du début de ce mois de janvier. Gauche et droite : motus et bouches cousues.
Erreur de jugement peut-être, l’incident avait paru suffisamment grave pour que soit prévenue la maréchaussée qui, à son tour, prit l’attache du maire en personne. Celui-ci ne voulut pas avoir fait le déplacement pour rien ; tout en trouvant le comportement des campeurs un brin inapproprié, il dit comprendre parfaitement la cause : le soupçon que ces personnes venues d’ailleurs soient porteurs du COVID (source : la presse et internet). Ce n’est pas comme pour les carnavaliers dont les joyeuses canailleries sont considérées comme moins suspectes. Y avait-il lieu de déranger pour si peu les gendarmes et, plus encore, le maire ? Sauf peut-être, s’agissant des premiers, pour dresser procès-verbal aux auteurs du camping sauvage interdit par la ville, mais non pour ce « rien de grave ». Or on ne dit pas s’il y a eu sanction ou si les contrevenants ont été invités à lever le camp. On en vient à s’interroger sur ce petit « rien de grave » qui a tout de même été rapporté par la presse, si peu il est vrai, et provoqué la bafouille du Chef de l’édilité.
En réalité, la réaction des touristes pourrait être plus signifiante que leur présence sur la plage, qui n’a été qu’insupportable. Ce « rien de grave » est grave, docteur ? La mansuétude qu’ils ont manifestée à l’égard de leurs doux agresseurs, était-ce le fruit de la sidération ? Ou était-ce comme la réaction de l’adulte à propos de l’enfant qui aurait commis une faute : « Ne le punissez pas », en mémoire d’une certaine parole : « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » ? M. le Maire ne devrait pas sans risquer de passer pour le ravi de l’histoire, se prévaloir, si elle est avérée, de la « sortie » condescendante des victimes.
Quoi qu’il en soit, lorsqu’on entend certains propos sur des bruits de tambour dans la nuit ou des chants de coq au petit matin, on n’a pas toujours tort de dresser l’oreille, pour reprendre une expression chère à Fanon. En revanche, lorsqu’on s’en prend à des personnes à raison de leurs attributs et non plus de leurs actes, on ne doit pas se contenter de comprendre. M. le Maire, ce n’est pas à vous qu’on le dira : les racismes ne s’annulent pas mais s’ajoutent, le racisme ne se comprend pas, il se combat.
Fort-de-France, le 15 janvier 2021
Yves-Léopold Monthieux