—Par Roland Tell —
L’évocation du mythe de la naissance d’Eros dans Le Banquet fournit ici la meilleure introduction. Eros est né de Pauvreté et d’Expédient, et toujours il tient de ses deux parents. Toujours il est dans l’indigence, presque mort, et toujours il se tire d’affaire. Ainsi pourrait-il en être du professorat, s’agissant, d’une part de la pédagogie, d’autre part de la connaissance du niveau d’études, ou de celle de la discipline ! Pour enseigner, ne faut-il pas, à la fois, une formation pédagogique, et les possilités de mise en oeuvre des conditions et des méthodes d’enseignement ? C’est un lieu commun. Mais il faut bien voir que si les professeurs sont la cause de la transformation du système éducatif, ils en sont aussi les produits. Chez eux, sauf exception, les valeurs et les conduites sont conditionnées par une valorisation de leur propre formation, et donc induisent un conservatisme, qui entre en contradiction avec les exigences nécessaires à la mutation du système éducatif.
En effet, il y a des attitudes d’auto-conservation, par exemple, celle qui consiste à dire : « Il n’y a pas de formation pédagogique, il n’y a que la connaissance de la classe, ou la connaissance de la discipline ! » A cela, il faut affirmer de plus en plus que la pédagogie est une science spécifique, qui s’enseigne dans les Universités, au travers des sciences de l’éducation. Certes, les licences et les maîtrises de celles-ci n’ont jusqu’ici pas de débouchés professionnels directs, à effet qualifiant immédiat, mais elles restent fort utiles aux professeurs de tous niveaux, en leur apportant une élucidation théorique sur leur métier. En effet, qu’est-ce qu’un contenu pédagogique, qui ne serait pas l’articulation d’un contenu et des structures mentales propres à les recevoir, et donc permettant ce qui serait la pédagogie comme telle ? En ce sens, la pédagogie est la science commune à tous les professeurs. Elle a un contenu, elle a un objet, et les diverses disciplines, ou situations de classe ne peuvent qu’en tirer parti !
Aujourd’hui, la pédagogie se définit, non comme discipline applicable, mais comme dénominateur commun à des problématiques disciplinaires, qui confrontent leur technologie. En effet, l’accès à une connaissance de haut niveau, la maîtrise de la discipline, ne suffisent pas, pour conférer au professeur l’aptitude à transmettre le savoir. Certes, cette tendance à vouloir « se tirer d’affaire » selon le côté « Expédient » d’Eros, notamment par la surévaluation du savoir, est encore la manifestation d’une attitude professorale, s’affirmant, ici ou là, par la négation des nécessités pédagogiques. Pourtant, au contraire, apparaissent, de plus en plus, le développement et la nécessité de la formation des professeurs, compte tenu surtout des formes nouvelles que prend le rapport pédagogique. A l’opposé d’Eros, fils de Pauvreté et d’Expédient, il faut faire fi de toute anxiété, de tout regret d’abandonner des traditions et des attitudes, à caractère sécurisant, pour trouver en soi les aptitudes à conquérir et dominer le milieu d’enseignement, d’arriver à des fins de réussite professorale, par des conversions d’attitude, des renouvellements complets des conditions de l’enseignement. Car le nouveau paysage culturel et éducatif annonce la mort du platonisme, selon lequel l’identité se comprend comme étant la substance, les manifestations de la nature originelle, le caractère, la trace du déploiement dans le dossier scolaire !
Un nouveau régime culturel et pédagogique est advenu depuis, placé sous le signe de la relation, avec des possibilités toujours nouvelles, et toujours ouvertes par l’avenir. Donc, tout est toujours possible, au sein d’une institution éducative, où on ne fonctionne plus de la même façon, où on est délivré de toute fixité, où le réel scolaire s’appréhende au sein de relations multiples, et où, par la pratique de l’échange multilatéral entre professeurs de tous niveaux d’enseignement, l’école, le collège, le lycée, deviennent lieux de communication, et d’un nouvel esprit de coopération, dans une perspective pluraliste.
C’est pourquoi, désormais, l’objectif vise à esquisser quelques une des lignes de force de ce qui nous apparaît comme le nouveau régime pédagogique et culturel des enseignants, soit donc une certaine approche globale de la vie scolaire, à partir de laquelle il importe à ceux-ci de s’accorder, de régler leur action, face aux mutations en cours. Oui, il s’agit de s’ouvrir à la différence, à la pluralité des échanges, à la communication ! Il importe de sortir de l’impasse de la fascination de l’originaire, dans sa personne, ses diplômes, sa fonction, donc du platonisme, en sa pensée substantialiste, pour davantage s’ouvrir aux jeux de relations à l’oeuvre dans les établissements scolaires, et dans le monde culturel. Car le réel scolaire s’appréhende, de plus en plus, au sein de connexions multiples, sous l’action simultanée des technologies éducatives et de la libération de la communication. De ce fait, les élèves, comme les enseignants, habitent une multiplicité d’espaces, qui les positionne, les uns et les autres, dans l’ordre du pluralisme, de la genèse des actions de formation. C’est pourquoi, s’agissant des enseignants, il doit exister des espaces d’entrée en communication, de réciprocité, de responsabilité, entre professeurs de tous niveaux d’enseignement, en vue de formations communes, placées sous le mode nouveau de la pédagogie de l’alliance. En ce sens, la formation peut être un lieu d’échanges, par l’ouverture qu’elle réalisera, pour accueillir des enseignants de différants niveaux d’exercice (école, collège, lycée), dans une perspective pluraliste. Ici encore, la pluralité des genres permettra d’entrer progressivement dans une dynamique de recherche constante. N’est-il pas évident que la recherche a besoin de porter directement sur le fonctionnement de l’institution éducative, sur la mobilisation du terrain, à partir des regroupements opérationnels préconisés ?
Dans cette perspective, la possibilité apparaît d’articuler donc des formations continues de différents corps d’enseignants, autour de troncs communs, unifiés par-delà les ordres d’enseignement. Par exemple :
– l’enseignement de la communication,
– la socio-politique de l’enseignant,
– la technologie de l’éducation,
peuvent avoir un aspect commun à tous les modes d’enseignement. Il faut aller jusqu’à l’éclatement des contenus traditionnels, entre ce qui résulte de l’approfondissement de la didactique des disciplines, et le maniement d’instruments professionnels polyvalents, en particulier dans le domaine des technologies de l’éducation.
Cette unification des régimes de formation pédagogique se donne, pour principe, que tous les enseignants sont égaux en dignité, et par suite en droits. C’est le long de cet axe de transformation, que les mesures définies se révèleront les plus significatives institutionnellement. En fait, il s’agit d’affirmer le caractère spécifique de la fonction enseignante, sous les aspects de techniques pédagogiques, qu’il importe de maîtriser, en véritable spécialiste de la communication, du contrôle des connaissances, de l’organisation de la planification du travail scolaire, de la programmation, de l’informatique appliquée à l’enseignement, et aussi de l’animation pédagogique, de la conduite des groupes.
Le spécialiste de la communication, tel que formé, est celui qui possède une gamme étendue de connaissances professionnelles, en école, au collège, au lycée. Celles-çi se rattachent aux outils offerts par les technologies de l’éducation, aux techniques propres aux groupes, ou à la connaissance en profondeur des mécanismes de l’apprentissage. Faire de l’enseignant un spécialiste de la communication n’interdit pas de faire en sorte que la formation, telle que définie, subordonne tous ces savoirs professionnels spécifiques à une philosophie de l’éducation, à une connaissance lucide du système éducatif.
ROLAND TELL