— Par André Lucrèce, écrivain, sociologue —
C’est Montaigne qui disait, nous rapporte un de ses biographes, que « C’est dans les histoires réelles qu’on rencontre la nature humaine dans toutes sa complexité ». Il s’avère en effet que rompre avec le « Vieux monde » n’est pas si facile. Car lui tourner le dos, c’est mobiliser un flux puissant de conscience qui mène à la rupture avec ce monde désuet. Les plus aptes à le faire sont en général les artistes, les poètes et les penseurs. En France, rares ont été en politique, ceux qui n’ont pas manifesté un soin rituel à pratiquer la dimension cosmétique de la parole, celle qui promet, cherche à enchanter et à séduire, dans la plus pure tradition du « Vieux monde ».
Exemple de parole cosmétique : le discours de campagne électorale. Ainsi, le 25 avril 2017, le leader de la « République en Marche », en pleine campagne, a adressé une lettre aux Martiniquais où l’on peut lire : « Les Outre-mer sont au cœur de mon projet », avec un paragraphe intitulé « Augmenter le pouvoir d’achat » et un autre, encore sous forme de promesse : « S’occuper de notre jeunesse et de nos anciens ».
Or la Martinique et la Guadeloupe sont aujourd’hui confrontées à un immense problème de santé publique qui porte les noms de Chlordécone, Algues sargasses et CHU. Ce dernier est en grande difficulté financière dans chacune des îles, au point que les malades doivent se fournir eux-mêmes en médicaments nécessaires à certaines interventions chirurgicales. Lors d’un récent classement concernant l’hygiène, ces hôpitaux sont en désastreuses positions, et certains fournisseurs, non rémunérés depuis longtemps, refusent d’honorer les commandes. Une telle situation ne peut que réduire l’attractivité médicale et générer une santé à deux vitesses, certains antillais se faisant soigner dans les hôpitaux de l’hexagone. La lutte courageusement menée depuis longtemps par les travailleurs de ces hôpitaux n’a jusqu’à maintenant obtenu aucun résultat digne de ce nom, en tout cas aucun résultat de nature à redresser l’état inacceptable de ces hôpitaux. Et pourtant le jeune et nouveau directeur du CHU en Martinique, qui semble plein de bonne volonté, reconnaît que les conditions dans lesquelles travaille le personnel sont abominables.
La même situation concerne le phénomène des algues sargasses. Les Antilles, depuis 2011, sont victimes de ces algues, lesquelles, venant des côtes africaines, traversent l’océan et se multiplient au large du Brésil sous l’effet des engrais massifs, produits chimiques déversés par l’Amazone dans l’océan. Les courants permettent alors à ces algues de remonter vers les Antilles et provoquent des échouages massifs sur les côtes de nos pays. Les algues ainsi échouées de manière intensive entrainent des émanations d’hydrogène sulfuré (H2S) et d’autres gaz néfastes pour la santé des Antillais. Des collèges sont vidés de leur occupants, des collégiens affectés par ces gaz sont déplacés et accueillis vers d’autres établissements, les personnes âgées souffrent de ces émanations et bien entendu toutes celles qui ont construit toute une vie sur le littoral atlantique, le plus touché, ne peuvent être accueillies ailleurs, d’autant qu’il s’agit de personnes modestes.
Le gouvernement actuel a-t-il pris conscience de la gravité de cette crise ? Ecoutons la réponse de Nicolas Hulot, ministre d’Etat, annonçant les raisons de sa démission : « Quand on voit en Guadeloupe et en Martinique l’une des conséquences du changement climatique
(pardon pour les Guadeloupéens et les Martiniquais) avec l’invasion des sargasses qui pourrit la vie au quotidien …et petit à petit, on s’accommode de la gravité et on se fait complice de la tragédie en cours de gestation… » Ajoutons que tandis que le gouvernement manifeste son inconséquence, les maires des communes concernées, en dépit de la baisse de la dotation de l’Etat, ont mobilisé des sommes considérables pour faire face à ces phénomènes, cependant que la préfecture, elle aussi, fait ce qu’elle peut mais les moyens financiers seront inexorablement vite épuisés face un phénomène répétitif et durable.
Enfin le chlordécone, produit épandu pour protéger la banane alors même qu’il était interdit en France, – mais la Martinique et la Guadeloupe sont-elles la France ? – ce produit qui reçut une habilitation de déversement massif a contribué à empoisonner terre, mer, rivières et sources. Et par-dessus tout, ce puissant produit chimique a affecté la santé des travailleurs antillais, travaillant à l’épandre souvent sans protection, ce qui fut un des points de revendication de la longue grève des ouvriers agricoles de février 1974. Aujourd’hui, nulle reconnaissance de cet empoisonnement perpétuée par l’autorité de l’Etat français qui demeure plus que jamais dans le jadis du « vieux monde », avec dans l’esprit ces Antilles perçues comme confettis de l’Empire qui n’ont rien à revendiquer. C’est dire à quel point le sens d’un « nouveau monde » est d’ores déjà enseveli au bout d’une année d’exercice.
Et je passe sur le prélèvement opéré sur les APL, si utile à la jeunesse, sur la suppression des emplois aidés, sur l’augmentation de la CSG, sur le projet de supprimer l’abattement fiscal de 30% aux Antilles, quand on connaît le rôle joué par la consommation des ménages dans l’économie et l’effet désastreux que prépare une telle mesure pour nos petites entreprises. Et, dérive significative, au moment même où l’INSEE vient d’annoncer un taux d’inflation avec une augmentation des prix de 2,3% sur un an, ce même « vieux monde » s’en prend aux retraités en désindexant le niveau des retraites par rapport à l’inflation. Quand on sait que ces retraités ont longuement travaillé, qu’ils ont payé les retraites des précédents, qu’ils sont souvent des actifs bénévoles dans les associations, le sort fait aux retraités par ce gouvernement est scandaleusement injuste.
Et pour terminer. Qu’est-ce qu’une politique qui enterre le « vieux monde » et s’oriente vers le « nouveau monde » ? C’est une politique de vie et non pas de survie. C’est une biopolitique, une politique qui protège tout ce qui est favorable à une vie saine pour l’humanité : la terre, la mer, les sources, les rivières. Une biopolitique est une politique qui ne cherche pas à produire pour augmenter un chiffre d’affaires sans que cette production ne soit profitable à l’homme. L’exemple de l’industrie des médicaments est un exemple typique d’un libéralisme de folie, tout comme l’est la production de pesticides, de glyphosate tueur d’abeilles et autres herbicides dangereux pour l’homme. La biopolitique n’est pas une politique qui favorise, de manière cynique, les soi-disant « premiers de cordée », elle ne peut être détachée d’une conception éthique de la vie qui est, en valeur, l’un des héritages les plus précieux de l’humain. Le niveau de désinvolture avec lequel ces questions sont traitées dans les actes et dans les faits par ce gouvernement nous montre à quel point il réserve son affection au « vieux monde » et à quel point une telle politique, qui relève de la dévastation, n’a rien à voir avec la biopolitique.
André LUCRECE, Ecrivain, Sociologue.