—Par Olivier Loubes (Historien) —
L’entrée de Jean Zay au Panthéon semble provoquer une polémique dans des milieux « patriotiques » autour d’un texte de 1924 intitulé Le Drapeau. Si ce poème n’a jamais posé de problème « patriotique » aux républicains qui le connaissent, il reste un marqueur de haine pour les antirépublicains et il peut s’avérer un objet de doute pour ceux qui découvrent un texte pourtant typique des années 1920.
Le Drapeau que Zay a écrit à 19 ans, en 1924, à l’occasion d’un jeu littéraire d’étudiant est un poème en prose, humaniste, empli de la fureur d’une génération qui rejette la culture de guerre après y avoir adhéré de tout son cœur à l’école de 14-18. Le Drapeau tel que l’utilisent ses ennemis, ceux de la République, à partir de 1932, est un instrument de haine avec lequel ils mirent à mort Jean Zay en parole puis en acte. Confondre les deux c’est oublier que Le Drapeau des seconds contribua puissamment à son assassinat par les Miliciens de la dictature de Vichy. C’est aussi entretenir la confusion, détestable, selon laquelle les victimes doivent sans cesse se justifier face aux accusations iniques portées par leurs bourreaux, qui s’en trouvent ainsi inlassablement validées.
« LE DRAPEAU », SYMBOLE DE LA GUERRE ENNEMIE DE L’HUMANITE
Pour comprendre les codes culturels du Drapeau de 1924 il faut le lire dans la série de ce que Zay et ses contemporains écrivaient. Alors oui, il se termine par : « Laisse moi, ignoble symbole, pleurer tout seul, pleurer à grands coups, les quinze cent mille jeunes hommes qui sont morts et n’oublie pas, malgré tes généraux, ton fer doré, et tes victoires, que tu es pour moi de la race vile des torche-culs. ». Mais rien dans ces termes ne surprend ceux qui fréquentent les textes de ces années là.
De Prévert aux surréalistes on retrouve avec la même virulence la détestation de la guerre. Le drapeau de Zay c’est « l’ignoble symbole » de cette guerre ennemie de l’Humanité et de la civilisation : « Je hais en toi toute la vieille oppression séculaire, le dieu bestial, le défi aux hommes que nous ne savons pas être ». Le credo de Zay en 1924 c’est l’humanisme pacifiste, celui de Lamartine écrivant La Marseillaise de la paix, le même Lamartine qui fit définitivement du tricolore le drapeau de la République en 1848.
Le Panthéon n’est pas là pour honorer les grands soldats, ni les anciens combattants : c’est le rôle des Invalides et des monuments aux morts. Il accueille les Grands Hommes de la Patrie. Depuis plus d’un siècle il s’agit de la Patrie républicaine. Voilà pourquoi on y trouve Jaurès. Si on doit en chasser les pacifistes humanistes, ceux qui refusent de trouver humaines les guerres d’anéantissement alors chassons-en Jaurès aussi. Jean Zay, héros civil victime d’avoir incarner la République, permet de dire ce qu’est la Patrie républicaine à double titre : grâce à tout ce qu’il a fait, en Ferry du Front populaire, au cœur du projet républicain pour la démocratisation de l’école et de la culture, et à cause aussi de tout ce qu’on lui fit, comme un Dreyfus de Vichy.
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