— Par Yves-Léopold Monthieux —
Jamais depuis la création de la première assemblée de la Martinique, le conseil général, il y a 200 ans, une opposition aussi virulente ne s’était manifestée entre la minorité et la majorité. L’opposition vient de refuser de siéger à la dernière assemblée plénière pour dénoncer le sort à ses yeux antidémocratique qui lui est réservé au sein de l’hémicycle. L’ouverture des séances plénières à un public indiscipliné n’arrange pas les choses. Le maire de Ducos, conseiller territorial, l’une des dernières prises électorales, d’avant décembre 2015, de Serge Letchimy n’a pas craint de se donner en spectacle. Seul sur les bancs de l’opposition EPMN, c’est une singularité qui n’est pas sans rappeler cette élue qui, le jour même de son arrivée à la région, refusait d’occuper la place qui lui avait été réservée, à côté de ses colistiers. Combien de temps faudra-t-il à Charles-André Mencé pour frapper à la porte du Gran sanblé pou ba péyi-a an chans ? La majorité de la CTM serait-elle prête à l’entendre ?
Il fut une époque où rien n’entamait la solidarité du parti de Trénelle. On ne connut ni condamnation ni suspension ni exclusion, l’ordre régnait. On laisse parfois courir des rumeurs de sanctions à propos des départs d’Arthur Régis ou Claude Lise, mais ces deux élus du PPM s’étaient retirés, le premier de lui-même, l’autre en poussant la porte qu’on lui avait entrebâillée. On se rappelle le « bye bye PPM » publié par le premier dans France-Antilles. Aussi, la mise à l’écart récente de 3 cadres peut être considérée comme une première et serait un quasi-progrès démocratique si le parti ne s’était pas mélangé les pinceaux dans la procédure à suivre. Cependant certaines réactions d’anciens militants aux décisions de Serge Letchimy peuvent faire sourire. L’évocation de l’époque considérée comme paisible et sereine par contraste à ce qui se passe aujourd’hui est l’expression de la nostalgie d’un ordre jadis couvert par l’autorité de Césaire. Les reproches faits à Serge Letchimy pour le choix de ses candidats successifs à la présidentielle sans avoir consulté le parti auraient été inimaginables en cette époque tant regrettée par M. Tisserand. Même Césaire aurait été mis devant le fait accompli. La réponse négative à l’offre de participation de Claude Lise au gouvernement Rocard n’avait ému personne au sein du PPM, alors qu’aucune instance n’avait été consultée. Aujourd’hui la défaite a libéré les consciences et les langues se délient.
Mais plus que toute autre raison, la véritable difficulté du PPM tient à son inexpérience de la défaite. C’est peu dire que celle de décembre 2015 a déstabilisé le parti et son président, bien davantage que les autres membres d’EPMN qui s’en sont fait une raison. Les succès de Serge Letchimy comme maire de Fort-de-France, président de la région devenu faiseur de rois dans les communes, avaient permis de mettre toute audace sous l’éteignoir, dans le droit fil des pratiques d’antan, sans murmures. C’est alors que surgit la défaite inattendue. « Je n’ai pas compris comment et pourquoi nous avons été battus » : c’est presque mot pour mot ce que répétait, hébété, cet élu du PPM annoncé alors comme le futur président de l’assemblée territoriale de la CTM. Le même à qui Eddie Marajo invite, non sans pertinence, à cesser de « jouer les enfants gâtés ».
L’ascendant du patron du PPM sur l’ancienne région était à ce point établi que la perte de ce pouvoir peut être comparée à ce que serait la défaite du PPM à Fort-de-France, un séisme. Un séisme à la dimension de l’hégémonie pratiquée sur la société martiniquaise, au travers d’institutions et corporations soumises, bref, au prisme d’une conception totalitaire du pouvoir qu’a décrite, mieux que des adversaires, le militant historique cité plus haut. Face à Emile Capgras, la défaite de Camille Darsières était d’une autre nature. Le secrétaire général du PPM n’avait jamais « possédé » la région comme a pu le paraître et s’en convaincre son successeur. Conduite alors dans une ambiance méfiante par « M. PPM », la coalition était bien plus délicate en ce que l’attelage était composé de véritables partis politiques concurrents (PCF, PPM, FSM, Bâtir) et non d’élus communaux solitaires accourus. D’ailleurs, Camille Darsières avait du s’y prendre à deux fois, le premier « pacte » n’ayant pas survécu à la défection du PKLS. Il faut y ajouter le refus farouche de l’homme fort du parti de toute forme d’entente avec la droite, ce qui fit différer d’une vingtaine d’années le rapprochement de Pierre Petit et du PPM.
Le Parti progressiste martiniquais avait été un parti d’opposition depuis sa création, en 1958. Une opposition, façon contestation systématique, jusqu’en 1983. Mais si celle-ci paraissait alors naturelle, elle est considérée aujourd’hui comme injuste aux yeux de ses élus. Impensable à la veille du 13 décembre 2015, elle est, à la manière de ce qu’on peut imaginer si le PPM devenait minoritaire au conseil municipal de Fort-de-France, insupportable. De même que la droite n’avait jamais su véritablement, à partir de 1983, remplir la fonction d’opposant qui promettait de durer, le PPM pour qui les possibilités d’alternance ne sont pas fermées semble avoir choisi l’opposition frontale.
Fort-de-France, le 9 avril 2017
Yves-Léopold Monthieux