— Par Roland Sabra —
On se souvient du débat autour du choix architectural retenu pour la reconstruction du Lycée Schoelcher avant que l’ancienne équipe en charge de la Région décide purement et simplement de renoncer à ce projet. Le Lycée devait donc mourir, lui et le nom honni qu’il porte. La défaite de Marie-Jeanne et donc la victoire de Letchimy ont sauvé le Lycée. On peut même raisonnablement penser que l’affaire du Lycée Schoelcher n’est pas tout à fait étrangère à ce résultat. Mais la défaite des « indépendantistes » au profit des » autonomistes » laissait entière la question du choix esthétique à faire. Fallait-il reconstruire à l’identique le lycée, comme le souhaitaient certains passéistes, proches du Président de Région, qui ne voyaient pas le ridicule qu’il y avait dans cette tentative de construire un Dysneyland de l’Art moderniste? Fallait-il valider le projet initialement retenu par l’équipe précédente, au risque de faire passer pour des manœuvres politiciennes le refus par la mairie de Fort-de-France du permis de construire? Fallait-il relancer toute la procédure d’un concours, perdre de nombreuses années, ranimer la flamme de l’amertume chez ceux qui avaient choisi, sans être entendus le bel objet architectural, présenté par une équipe franco-française? Il était entendu que la sur-couverture et le sur-toit qui donnaient la fâcheuse impression d’une barre de 210 mètres de longs, tout droit venue de la cité des 4000 de la Courneuve étaient condamnés. A cela venait s’ajouter la nécessaire prise en compte de la satisfaction partielle par l’État de la demande du conseil municipal de Fort-de-France de faire classer l’ensemble des bâtiments du lycée. Ne sera finalement inscrite au patrimoine que la première ligne de bâtiments.
L’équipe martinico-guadeloupéenne, Torres-Nicolas, auteurs du projet initialement retenu, a donc planché pendant les grandes vacances pour répondre à ces demandes oh combien contradictoires, Serge Letchimy demandant tout à la fois, de reconstruire la deuxième ligne de bâtiments au plus près de ce qu’ils étaient pour satisfaire ses « fétichistes art-modernistes », et de conserver l’économie globale du projet pour échapper à un éventuel procès de la part des équipes concurrentes précédemment éliminées! Elles auraient pu faire valoir que la compétition avait été inégale puisque le projet réalisé n’était pas le projet proposé. C’est le résultat de ce compromis qui était présenté le mercredi 08 septembre à la communauté scolaire du lycée dans les locaux de la Région. L’ensemble est forcément hétéroclite, une première ligne de bâtiments inchangée, une deuxième ligne qui se veut une réhabilitation et une actualisation de la mémoire du lycée et qui reprend la même disposition des même volumes en les affectant à d’autres fonctions, plus adaptées aux nécessités d’aujourd’hui, et une troisième ligne de bâtiments, presque à l’identique de ce qu’ils étaient dans le projet initial mais sans sur-toit et sans sur-couvertures et plus ouverts sur la falaise arrière du lycée. Ce faisant si la rue qui distribuait l’ensemble des accès aux salles de classes est préservée, apparaissent maintenant des cours de récréation dont l’idée même était auparavant combattue par les architectes. Ces cours si elles constituent des espaces où pourront se réfugier avec un plaisir réel les élèves, n’en seront pas moins plus difficiles à surveiller. Si les proviseurs ont des rêves d’architecture de style panoptique ils en seront pour leurs frais!
Les trois lignes de bâtiments avec la reconstruction d’une horloge–Photos gracieusement fournies par le Conseil Régional – Droits réservés
Les voeux des enseignants de la section théâtre ont été entendus : la salle Aimé Césaire aura bien deux configurations. La première conforme à la tradition du théâtre à occidental dite à l’italienne, et la seconde conforme aux arts de la Caraïbe, en demi cercle. On se souvient de « l’autisme » de l’équipe précédente incapable prendre en compte cette demande élémentaire : former des générations d’élèves aux arts de la scène caribéenne!
Restait pour la communauté scolaire l’épineux problème de la transition entre l’ancien et le nouveau lycée. Alors que Marie-Jeanne prévoyait la disparition progressive du lycée, le nouveau président de Région s’est engagé non seulement sur le maintien de la structure pédagogique actuelle mais aussi sur son élargissement à d’autres sections post-bac, avec un objectif d’accueillir à terme 1450 élèves. Le déplacement transitoire, pendant les travaux de reconstruction, de la communauté vers les anciens locaux de la maternité de Redoute qui seraient rénovés, pour recevoir la communauté scolaire a été évoqué. A terme ces locaux seraient destinés à devenir une résidence universitaire pour loger les étudiants et/ou un lieu d’hébergement pour personnes âgées. Cette proposition du Président de Région, qui ferait gagner deux ans au chantier, si elle n’a pas soulevé un enthousiasme délirant, na pas rencontré non plus d’opposition forcenée.
Madinin’Art l’a déjà écrit : les choix architecturaux de ceux qui nous gouvernent sont le symptôme de leurs choix politiques. Le choix de l’équipe précédente écrivions nous était un choix médiocre, au sens étymologique du terme, une position plus ou moins de repli identitaire, une incapacité à prendre en considération l’altérité, autrement que sous l’aspect d’une menace, caractéristique du positionnement idéologique de son chef. A un très bel objet architectural, mais venu de l’autre coté de l’Atlantique il avait préféré un projet bien moins réussi mais antillais. Ce que nous propose Serge Letchimy est aussi à l’image de ce que l’on peut deviner de son positionnement, de sa façon de ménager la chèvre et le chou, de sa recherche du compromis, mais plus encore de la diversité, pour ne pas dire plus, de la majorité qui le soutient au Conseil Régional.
Après tout l’idée d’une nécessaire unité architecturale est discutable, elle peut faire l’objet d’un débat, tout comme celle d’une deuxième ligne de bâtiments qui pastiche sans le parodier pour autant l’art-moderniste et qui assure une transition avec une troisième ligne dont le style.. reste à définir! Après tout pourquoi l’architecture du lycée Schoelcher ne pourrait-elle pas être le reflet de la diversité, voire de l’hétérogénéité de la société martiniquaise?
Pour paraphraser l’architecte martiniquais Gustavo Torrès, on pourrait dire qu’une ville est un texte dont la beauté vient de l’agencement grammatical de milliers de mots différents, la rue est une phrase, le bâtiment est un mot. Le remplacement d’un mot par un autre, même s’il est plus juste, peut bousculer l’harmonie de la phrase…
L’équipe Nicolas-Torrès s’est livrée à un travail de suture sur l’existant, elle s’est attachée avec une certaine réussite à recoudre une esthétique urbaine que les choix de ses commanditaires actuels dans d’autres fonctions que celles qui sont les leurs aujourd’hui avaient contribué, à entacher.
Roland Sabra, le 10/09/10, à Fort-de-France