— Yves Untel Pastel, écrivain-poète, Martiniquais de l’autre-bord —
Le nègre, le gibier des nations
Nègres de la terre,
Nègres de toutes terres
Nous sommes de ce peuple de damnés
Partout condamnés pour n’être
Que ce que nous sommes : nègres !
Nègres du monde, damnés de toute terre
Nous sommes ce troupeau de gibiers pourchassés
Bétails attaqués en leurs terres, braconnés, exilés ailleurs
Les lions féroces de partout nous traquent sans relâche
Que ces mangeurs de nègres soient des hommes blancs
Monstres à sang froid d’occident
Ou des tigres rampant venus du levant
Ou des panthères noires, ces autres nègres impériaux, impitoyables
Traîtres vénaux et avides, vassaux cupides et fratricides !
Nègres du monde, viande rouge, tranchée sur les étals mercantiles
Nous n’avons nulle part où trouver un juste repos
Nulle rivière fraîche ou apaiser nos soifs
Nulle paisible prairie où paître
Sans craindre d’être déchiquetés
Tous ces ports où nous échouons
Sont des portes qui donnent sur l’enfer
Des centres de rétention
Où notre chair est massacrée
Où notre âme est abreuvée de fiel
Où notre destin touche au chaos.
Plus aucune terre n’est pour nous terre d’asile
Sinon de leurre, de mythe et de mensonge.
À peine marquée une halte, un éphémère sursis
Éclatent de partout des flambées d’une haine nouvelle.
Nègre de la terre, notre nation n’est nulle part
Notre terre d’Afrique est mille fois saccagée
Les terres d’Amérique nos échouages
Se dressent en tréteaux de guillotine
Et quand éparpillé en diaspora
On nous prétend citoyens d’un État
C’est qu’en peuple captif et dominé
Il nous reste à en curer les latrines.
Nous sommes le peuple de la fange
La vermine grouillante des nations
Nous héritons des excréments
Même empaqueté en pacte
De citoyenneté empoisonnée
Nous sommes les mangeurs de détritus
À la fois chair livrée en pâture et charognards
Digérant les restes que d’autres ont vomis.
Et c’est notre chair même que de force nous ingérons
Lorsque revêtant le blason des nations « négrophages »
Nous nous croyons préservés de notre éternel naufrage.
Qu’importent nos talents
Offerts en diamants d’épousailles
Et qu’importe notre loyauté,
Qu’importe le don de notre sang,
Qu’importent nos patriotiques ferveurs
Qu’importe notre allégeance aveugle
Frères nègres de la terre, parias parmi les damnés,
Le peuple qui fut une proie pour une nation de carnassiers,
Toujours le demeure, malgré le long écoulement des siècles.
Frères nègres damnés de la terre !
Là ou est notre aveuglement candide, là gît notre malheur !
Notre drame est de nous croire enfin frères des lions dominants.
Mais en livrée bleue, blanc, rouge ou en veste verte d’éboueurs
Roi fortuit à la maison blanche ou bagnard de Guantánamo
Dans les viscères de toutes nations notre sort est irrévocablement jeté !
Nous sommes le gibier condamné au bûcher du sacrifice
Nous sommes la bête choisie, bouc émissaire des nations
Nous sommes les damnés de la terre
La bête rituellement dédiée
De tous les Golgotha.
Nègres de toutes parts, nous sommes
Les ultimes défenseurs de nous-mêmes !
Il n’est qu’un étroit chemin pour notre délivrance !
Et nous devons l’emprunter, la peur au ventre, la mort aux trousses
Peuple d’agneaux errant au milieu des peuples de loups
Ce qu’il nous faut gagner au prix de notre sang
C’est la terre dont la glaise sera notre courage
Dont la sève sera notre sueur mêlée de plasma
Nous sommes l’unique et éternel diaspora
Nous n’avons qu’un rêve, qu’un destin
Créer la nation qui abritera notre salut.
Yves UNTEL PASTEL, écrivain-poète, Martiniquais de l’autre-bord !