— Par Yves-Léopold Monthieux —
Ainsi donc, en décidant de saluer l’illustre pensionnaire du cimetière de la Joyau, Aimé Césaire, plutôt que les morts pour la République, le Premier ministre paraît sceller un passage de symboles. C’est une décision que les Martiniquais afro-caribéens, qui ont bonne conscience de ce qu’ils doivent à Césaire, pourraient traduire comme la reconnaissance à cet homme, par l’Etat, de la qualité de Père de la nation. La reconnaissance de cette nation, elle-même ! Cette distinction est rare en démocratie et le geste aurait du sens, qui exprimerait un message fort de la France.
Quand Césaire cessera-t-il d’apparaître comme appartenant à un clan ?
Mais alors, toutes les autorités officielles de la collectivité devraient y être conviées, comme c’est le cas lorsque l’évènement se produit autour du Monument aux Morts : le président de la collectivité, le préfet, les anciens combattants, etc. Celui qui écrit ces lignes a eu l’occasion de déplorer le caractère exclusif des célébrations de mémoires martiniquaises. En effet, lorsqu’on célèbre Fanon, le Parti progressiste martiniquais n’est pas invité à la fête et lorsqu’on honore Césaire les choses se passent en famille. Sauf que, apparemment, la famille s’élargit d’un premier ministre.
Cependant la question se pose : devant laquelle des nombreuses et éminentes casquettes de Césaire le Premier ministre serait-il finalement venu se recueillir ? La réponse semble se trouver dans la composition du cortège qui accompagnait Edouard Philippe au cimetière de la Joyau. Il n’y avait autour de lui que des hiérarques du Parti progressiste martiniquais, tous élus de Fort-de-France, la cérémonie officielle ayant eu ainsi l’apparence d’une séance privée et partisane. Quand Césaire cessera-t-il d’apparaître comme appartenant à un clan ? Qu’il s’agisse de Fanon, de Césaire ou de tout autre, lorsqu’il y a privatisation d’une mémoire éminente, il y a instrumentalisation politique. Mais l’Etat peut-il s’y prêter ? N’est-ce pas une faute de l’Etat de s’y prêter ?
D’où l’on vient à douter du « Père de la nation »
Si la tombe de Césaire doit se substituer au Monument aux morts, il est souhaitable, à l’avenir, qu’y soient invités les corps constitués de la collectivité. Et chacun pourrait écrire sur son tweet, et pas seulement le premier ministre, « Eia pour Césaire ! ».
Et pourtant, d’après Patrick Chamoiseau, la plume du Parti progressiste martiniquais, finalement, Césaire ne serait pas le Père de la Nation. En effet, dans un article paru en octobre 2010, le Prix Goncourt estime que « celui qui parviendra, avec le souffle d’un idéal, l’énergie d’un projet, à mettre en branle ce processus de responsabilisation, cette liberté de conception, en entraînant avec lui, sans peur, sans renoncement, sans régression aucune, la majorité des Martiniquais, deviendra le père de la Nation ». L’ami de Serge Letchimy ne pouvait pas mieux indiquer que, selon lui, Césaire n’avait pas répondu à ces critères. « Un texte surprenant, pondu par Patrick Chamoiseau… repris de manière tout aussi surprenante par le Président du PPM, lui-même », regrettait un authentique césairiste. Un texte écrit par un indépendantiste et repris à son compte par un autonomiste !
C’est à se demander si en ce samedi de novembre 2017, le « Père de la nation » espéré ne se trouvait pas du bon côté de la pierre tombale.
Fort-de-France, le 07 novembre 2017
Yves-Léopold Monthieux