« Le Monologue du gwo pwèl »

Texte Fabrice « Makandja » Théodose, m.e.s.  Patrice Le Namouric

« Tout passe
il paraît
mais pour que ça passe
il faut parler »

— par Selim Lander — Des formules qui font tilt comme celle que l’on vient de lire, il y en a plein dans cette pièce qui tient à la fois du slam, du seul en scène, du stand-up et du théâtre, bref un objet scénique que l’on n’a guère l’habitude de voir dans la salle à l’italienne, temple du théâtre d’antan, de la mairie de Fort-de-France. Sans doute cela explique-t-il pourquoi le public qui remplissait la-dite salle n’était pas tout à fait le même que celui que l’on y rencontre habituellement. Notons avant d’aller plus loin que l’aphorisme mis en exergue est une habile justification du propos de la pièce.

Un gwo pwèl (gros poil) c’est en effet un gros-gros-chagrin-d’amour, un de ceux qui vous laissent aussi désespéré (je ne peux pas vivre sans toi) que haineux (tu m’as trahi(e), je te déteste), une obsession dont on ne saurait se défaire, tant est présente en soi la présence, ou plutôt le manque de l’autre, celui ou celle qui ne veut pas comprendre qu’il ou elle n’a plus qu’à revenir pour que tout recommence comme avant, bien mieux qu’avant, celui ou celle qui est sûrement parti(e) sur un coup de tête ou pour une aventure sans lendemain, qui devra fatalement se rendre compte de son erreur et rentrer au bercail. Bref, on en a gros sur la patate et l’on éprouve un besoin irrépressible d’exprimer son désespoir.

On ne saurait trouver sujet plus dramatique. Un article déjà publié sur Madinin’art montre déjà tout ce qu’il y a entendre dans ce Gwo Pwèl-là. En même temps – comme disait l’autre – cela peut paraître un peu court pour une pièce de théâtre. Le monologue de Phèdre est certes central dans la tragédie de Racine mais celle-ci ne se résume pas à cela. Et malgré les efforts de Makandja pour broder autour de son thème, il n’est pas exclu qu’on les trouve un peu vains, comme les efforts en tout état de cause méritoires qu’il déploie pour faire passer son texte. Tout ça pour ça ! ce sont des mots qui peuvent venir à l’esprit de certains de ceux qui assistaient à la représentation.

On sent bien, et le comportement contrasté des spectateurs devant une pièce comme celle-ci en faisait foi – les rires des uns, parfois gênés face à certaines grossièretés, le silence des autres – qu’elle ne peut pas toucher tout le monde de la même manière, entre ceux qui adhèrent à fond au propos et ceux qui lui demeurent passablement extérieurs. Mais même ces derniers n’auront pas pu ne pas admirer les jeux de mots de l’auteur (le jeu avec les mots) du texte – un seul exemple pris au hasard, à l’usage de qui voudrait se consoler de son chagrin d’amour, après celui déjà cité : « mieux vaut avoir aimé / tout perdu / que de ne pas avoir aimé / du tout » – le jeu du comédien, même s’il demeure perfectible et, last but not least, la mise en scène de Patrice Le Namouric. Ce dernier, en effet, a introduit une progression parallèle au texte en Transformant (comme dans LGBT) le comédien sous nos yeux. Le « diable rouge » du départ deviendra in fine une dame juchée sur des hauts talons et revêtue d’une robe blanche portée sur son jupon.

Quant au décor (conçu également par P. Le Namouric), il est constitué d’une caisse cubique en bois et d’un porte manteau évoquant une partie de l’anatomie féminine, l’attitude du comédien et les propos qu’il tient à son égard ne laissant aucune place au doute. La caisse joue un rôle tout aussi important, non seulement parce que le comédien pourra se dissimuler derrière ou rentrer à l’intérieur jusqu’à mi-corps mais parce qu’elle renferme les accessoires nécessaires à sa transformation, y compris un pot de crème dont il se blanchira le visage (en signe de deuil?). Enfin la musique et les lumières, si on ne les remarque pas plus que ça, contribuent également à la qualité formelle de ce seul en scène théâtralisé.

Le Monologue du gwo pwèl de Fabrice « Makandja » Théodose, m.e.s. Patrice Le Namouric, Fort-de-France, Théâtre municipal, 12, 13 et 14 février 2025.