— par Janine Bailly —
Ce vendredi avait lieu, à la salle de cinéma du Centre Culturel du Bourg, au Lamentin, une bien belle cérémonie de clôture pour le maintenant traditionnel Mois du Documentaire. Le thème choisi cette année, « la Différence », riche d’occurrences diverses, non seulement a donné lieu à des projections originales, mais s’est aussi montré propice à la discussion, au débat d’après projection.
Trois films ce soir-là pour célébrer nos différences, nous rappeler ce qu’elles ont de douloureux et d’enrichissant à la fois, pour nous aider à comprendre l’autre, en dépit des barrières que dressent trop souvent les hommes, et qu’il nous faut faire tomber.
Différence des sexes, interrogation sur la place de la femme, dans la famille et dans la société, quand on vous a imposé un prénom qui ne correspond pas à votre genre de naissance, tel est le propos du court-métrage Mauvais genre, présenté par la réalisatrice guadeloupéenne Guy Gabon. Le titre, lourd de sens, nous ouvre déjà à l’idée qu’une petite fille, venue en place du garçon désiré agrandir une famille qui comptait déjà deux petits mâles, a porté ce prénom de genre opposé à son sexe féminin comme « un fardeau », sous le regard suspicieux des autres. Un prénom qui lui a été donné par son père, ce père au centre des images, ce père que, devenue adulte et cinéaste, elle n’a pu interroger que par l’entremise de la caméra, et qui ne saura pas vraiment, dans de longs silences entrecoupés de réponses difficiles, offrir à sa fille les clés attendues, le pourquoi de ce choix si peu conventionnel. Le public partage l’émotion sincère qui s’empare de Guy Gabon au moment du débat, celle-ci nous livrant avec sobriété et sans fausse pudeur les tourments engendrés par le prénom porté, mais disant aussi qu’elle n’aurait su en changer sans avoir l’impression de trahir ce père, auquel elle s’est d’abord efforcée de plaire avant de construire sa liberté. N’a-t-elle pas joué au football, travaillé aux Travaux Publics… ?
Art Connect, (http://www.madinin-art.net/pour-un-monde-meilleur-un-cinema-documentaire-engage/) ce long métrage tourné par Miquel Galofre à Trinidad, et précédemment présenté par Steve Zebina en 2016 à Tropiques-Atrium, nous l’avons revu avec grand plaisir, tant il est riche des destins qu’il porte : dans un quartier sensible de Laventille, un groupe de jeunes, filles et garçons mêlés, participe sous la conduite d’artistes confirmés à une expérience d’expression personnelle, qui voit se succéder peinture murale, poésie, musique et danse. Un moment de vie intense que les adolescents tentent de fixer, de façon aussi maladroite que touchante, grâce à de petites caméras à eux confiées, et qui nous font pénétrer dans leur intimité, dans leur maison, dans leur environnement, à l’exclusion pourtant de parents fort peu présents. La jeune Isis le dira si bien, cet épisode a métamorphosé leur vie, elle qui déclarait en ouverture n’avoir aucune raison de bonheur et que l’on verra s’ouvrir à la vie, au sourire, à la joie des activités partagées. Valorisantes puisque loin d’être closes sur elles-mêmes, ces activités donneront lieu à la création de leur chanson, et ce dans un véritable studio d’enregistrement de la capitale ! Ou à un spectacle de danse, et les corps investis, autrefois contraints, s’expriment désormais avec aisance, souplesse et grâce, prouvant que l’on s’accepte et que l’on s’affirme fièrement pour ce que l’on est. Le réalisateur nous parlera de ce tournage qui l’a enrichi, des liens maintenus avec ces jeunes, entrés plus ou moins heureusement dans l’âge adulte mais tous transformés par cet épisode, ou d’une similitude entre son parcours personnel et le parcours de ceux qu’il a filmés.
Comme il sera rappelé par les responsables de l’Office de la Culture, la jeunesse porte notre rêve, notre espoir en un monde meilleur, notre désir d’avenir constructif. Se tournant vers leurs aînés, les interrogeant, filles et garçons lamentinois du groupe Comme chez soi, sous la conduite du réalisateur Wally Fall, comparent dans le court-métrage Jeunesses croisées leur quotidien qu’ils disent simple et heureux, à celui plus difficile et laborieux qu’ont vécu à leur âge les résidants d’une maison de retraite. « On se rend compte que nous, maintenant on a tout », dira l’une des cinéastes en herbe, et dans une interview on trouve d’eux cette déclaration : « Nous sommes contents. Fiers de nous. Fiers d’avoir rencontré nos aînés que nous oublions et que nous avons découverts grâce à ce film. On espère qu’ils seront contents du rendu et que le public viendra nombreux. » Exaucée la seconde partie du souhait, la salle hier était comble !
Merci enfin pour le cocktail dînatoire, offert après la projection et qui permit de poursuivre plus intimement les débats amorcés !
Janine Bailly, Fort-de-France, le 11 novembre 2017