Centre André Aliker de Ste Thérèse à Fort de France : jeudi 9, vendredi 10 et samedi 11 février 2017 à 19h 30
— Par Clara Chérubin —
C’est samedi dernier, le 4 février, lendemain du tremblement de terre qui a secoué autant les corps que les âmes de la Martinique, que je me suis assise dans le Théâtre Aimé Césaire de Fort de France en attendant l’ouverture de rideau du Métro Fantôme écrit par Amiri Baraka ex black panther, en 1963, adapté et mis en scène par José Alpha.
Je scrute le lustre du Théâtre, les poteaux supports métalliques des balcons, les fauteuils et puis le rideau de scène, … tout est en place. Comme si le Théâtre Aimé Césaire inauguré en 1912 avec ses 800 places, aujourd’hui 160, n’avait pas bougé et est encore capable de tenir tête, dix ans plutard, à des séismes aussi violents que celui du 21 novembre 2007 (7.1 sur Richter). Partout où se posent mes yeux, tout est calme et rassurant. Pourtant l’équipe du Théâtre des cultures créoles (Cie Téatlari) avait vécu la veille, m’ont-ils dit, ces mystérieuses secousses qui avaient interrompu la répétition technique sur le plateau, tellement le théâtre était secoué par « des mains invisibles ». Les gémissements de la bâtisse achevée le 21 septembre 1901, avaient tétanisées les comédiens qui vont raconter, là aussi, dans moins d’une minute, une étrange histoire de fantôme qui hante le métro. Je voulais revoir cette pièce depuis la 1ere création de José Alpha en 2013 reprise en 2014, produite par Michele Césaire directrice du Théâtre de la Ville de Fort de France, avec deux comédiens confirmés : Elisabeth Lameynardie et Eric Bonnegrace.
Le rideau s’ouvre sur une musique rock-wave portée par une voix mélancolique des années RdB qui plane à l’intérieure de la rame du métro de nuit. Trois rangées de sièges bleu, un « noir » à la tête cotonnée genre Oncle Tom, pique du nez sur l’un des sièges, et le défilé en fond de scène des stations de la ligne parisienne Nation Etoile déplace l’ensemble comme dans les flightgears qui écrasent les perspectives en plein visage. C’est la toile d’araignée de la belle Lula, le fantôme du métro qui apparait brusquement de derrière le siège d’Oncle Tom comme si elle tombait du plafond. Une jolie jeune femme, longue et fine, vêtue de sensualité légère comme on peut l’apercevoir dans les pénombres des grands boulevards ou dans les ruelles étroites de Copacabana, de Paris ou d’Alabama.
Les yeux et les sens de Clay Oncle Tom s’illuminent en regardant la pomme qu’elle lui tend, à lui tout seul, dans cette rame déserte. Fidèle aux clichés du Nègre lubrique, Oncle Tom va succomber à la tentation de la pomme empoisonnée ; et de machisme en dominations, de soumissions en reniements, de servitudes en dépossessions, schèmes sado-maso pointés par le metteur en scène, puis d’excuses confondues métamorphosées en larmes de colère, Oncle Tom dont « la maman a été violée par le grand blanc », va baisser la tête et se résigner à sa médiocre existence de lâche, de « girouette » incapable de prendre ses responsabilités, de « gueuleur » sans voix , et de géniteur maintenu au licou. Lula amène Clay pieds et poings liés face au bucher de ses culpabilités pour avoir accepté sans résistance, cette vie sans relief (comme c’est terne, c’est d’un plat), une pauvre existence de sous homme (Thomas tète de bois).
C’est alors que je retrouve l’actualité électorale américaine de cette année, de laquelle jaillit comme un diable à ressort un redoutable prédateur semblable au Joker pingouiné de Batman, qui fait des Noirs et des minorités, ses proies de chasse machiavélique. La belle et sensuelle Lula que le Nègre Clay William voulait posséder, terrasse Oncle Tom par la colère qu’elle réveille en lui. Le piège se referme « sur le pauvre nègre des Amériques où chacun peut voter pour l’idiot de son choix… ». Le réveil survient trop tard, la résistance arrive beaucoup trop tard. Le Nègre est étranglé comme ceux qui ont été pendus dans les arbres de l’Alabama par le KKK.
La rame repart avec un nouveau passager. La belle Lula recommence son numéro de séduction.
Les comédiens sont très bons, justes et méthodiques, un peu trop même. On ressent le souci du rythme maitrisé tant dans les éclats de rire (public et personnages) que dans les modulations vocales, chantées et corporelles soutenu par l’harmonica blues. La précision des espaces et des situations quelquefois transportées avec les ponctualités d’une partition, aux points des lumières, font également de ce spectacle une belle référence théâtrale comme « le 4eme mur » et « Mary Prince » que j’ai pu voir quelques jours plus tôt au Théatre de la Ville de Fort de France. Elisabeth Lameynardie que l’on a pu voir avec bonheur dans « Laisse tomber la neige » de Pierrette Dupoyet, sera remplacée en alternance dans les prochaines représentations du Métro Fantôme par Cristèle Calixte.
Attention : Le TOM de la Croix mission étant en réfection, les prochaines représentations se donneront au Centre André Aliker de Ste Thérèse à Fort de France : jeudi 9, vendredi 10 et samedi 11 février 2017 à 19h 30 . Tarif unique 15 €
Clara Chérubin, spectatrice du 4 février 2017