« Le Métis de la République » : un film écrit aux crayons de douleur

— Par Christian Antourel & Ysa de Saint-Auret  —

metis_repub-325A Madiana
Un zoom avant sur une carte d’état major cernant le département de la Sarthe et en son milieu  la ville de Sablé sur Sarthe qui s’est couverte de gloire  malgré elle en élisant Raphael Elizé premier magistrat noir d’une ville de  France Métropolitaine. « Pour les  habitants de Sablé, Elizé n’est pas noir, ce n’est pas le noir qu’on voit aux actualités dont on nous dit qu’il n’est bon que pour la danse et pour la musique. On connait ce noir personnellement. » Voila comment le film commence, sur  fond assourdi du discours de Martin Luther King : « I have a dream »

Né  le 4 février 1891 au Lamentin Martinique, issu d’une fratrie de 8 enfants Raphaël Elizé échappe de peu à la catastrophe de la Montagne Pelée. Sa famille quitte la ville de Saint Pierre à la veille de l’éruption. Il arrive en Métropole à 11 ans,  étudie  aux lycées Montaigne et Buffon,  en 1910 intègre l’Ecole vétérinaire de Lyons, d’où il sort major de sa promotion. Il obtient son diplôme un mois avant que ne se déclenche  la première guerre  en 1914. Il est affecté au 36 ème Régiment d’Infanterie Coloniale et envoyé sur le front de la Marne, comme simple soldat, puis comme vétérinaire. Il survit à la grande boucherie, il en revient décoré de la Croix de Guerre pour son courage. Nommé vétérinaire à Sablé-sur-Sarthe en 1919, il fut avec sa femme le premier habitant noir de la commune. En 1929 la liste républicaine du cartel des gauches rassemble socialistes et radicaux.  Le camp de gauche l’emporte pour la première fois .Maire en 1929, réélu en 1935, Elizé devient le premier magistral de couleur d’une ville de Métropole. « Un Obama municipal » à l’époque où c’était impensable aux Etats-Unis. Mobilisé à nouveau  par l’armée en 1939, il est démobilisé en 1940. Alors qu’il tente auprès du préfet de reprendre ses fonctions de premier magistrat il se voit rétorquer    que la « kommandantur  juge incompréhensible pour le ressentiment allemand et pour le sens du droit allemand qu’un homme de couleur puisse revêtir la charge de maire. » Il est  destitué par le régime d’occupation en 1940 en raison de sa couleur de peau. Le maire  reprend son activité de vétérinaire. « A ce titre, il avait droit a un laisser passer qui lui permettait de jouer les agents de liaison pour la résistance. Dénoncé il est déporté au camp de Buchenwald, où il meurt le 9 février 1945. Dans le documentaire, on voit sa fille Jeannine, décédée à l’âge de 17 ans, et la maison qu’il a habitée place de la République. La place de la mairie porte son nom depuis la  fin de la guerre.
« Un Obama municipal »

C’est une réparation de l’histoire que Philippe Baron propose à travers ce documentaire « Il mérite une place plus importante dans la mémoire ». Le réalisateur ressuscite l’histoire méconnue de Raphael Elizé, un destin tragique, une histoire tombée  dans l’oubli ou presque, oubliée de la République. Images d’archives, photographies d’époque, certaines prises par Raphaël Elizé lui-même, descendants, témoignages, scènes de fiction, racontent et expliquent son ascension sociale. Le documentaire révèle un vétérinaire très compétant, mais également un fin lettré amateur de musique classique, un photographe de talent, un personnage d’une élégance raffinée et d’une prestance certaine. « Il exerçait un véritable ascendant par son affabilité, son efficacité, sa force et son sens des responsabilités. En dix ans il a fait complètement oublier la couleur de sa peau. » C’est une juste réhabilitation  de son destin, de sa mémoire et des valeurs républicaines qu’il a portées tout au long de sa vie
que Philippe Baron nous offre. Patrick Communeau historien  et auteur du premier ouvrage sur l’ancien maire  dit du documentaire «  pour moi c’est plus qu’un documentaire c’est un film »
Philippe  Baron, réalisateur nous donne des éléments de compréhension. Nous lui avons demandé :
-Quelle a été votre motivation profonde pour tourner ce film ?
L’histoire extraordinaire d’Elizé n’est pas connue en France. J’ai trouvé qu’il fallait réparer cette injustice. Elle est aussi exemplaire d’un parcours de républicain convaincu.
-En quoi porter à l’écran ce film, se justifie t-il ?
Cette histoire relativise les progrès faits en France en matière d’insertion des gens de couleur dans la politique. Dans les années trente, malgré  le système colonial, la France était  en avance par rapport aux Etats Unis ou à l’Allemagne. Il y avait un maire noir, on pouvait imaginer qu’un mouvement était lancé… puis après plus grand-chose ! … Je trouve  que cette histoire prend un écho particulier  quand on voit les réactions scandaleuses vis à vis de Madame Taubira.
-La vie exceptionnelle de R. Elizé pouvait donner matière à un long métrage, pourquoi avoir opté pour un documentaire ?
Je suis d’abord réalisateur de documentaires, et historien. J’ai  aimé faire ces recherches dans les archives, re-parcourir les lieux où il a vécu. C’était un défi intéressant de travailler sur le réel 80 ans après, de recueillir les témoignages de gens qui l’on connu, d’utiliser les très belles photos qu’il a prises….etc. et on peut encore tout à fait envisager un long métrage !
-Son corps a-t-il été retrouvé à Buchenwald et existe-t-il un lieu de sépulture ?
Son corps n’a jamais été retrouvé, il y a une tombe avec une plaque à son nom à Sablé.

LE POINT DE VUE DU PRODUCTEUR

Olivier Roncin  salue l’œuvre de P. Baron.
« Il s’est passionné pour cette histoire, aimanté par le parcours de cet homme nourri  par les valeurs de la République laïque et universelle. Histoire  d’autant plus forte qu’elle se déroule pendant « les 50 grandes années du colonialisme  » de 1891 à 1945. Dans cette période  du racisme  débonnaire… des hommes  et des femmes  se sont engagés avec une énergie  exceptionnelle dans la logique d’intégration française.
Dès 1945, est venu le temps de la décolonisation. Césaire, Senghor, et Fanon ont pris la plume et le poing… les cartes on été rejouées, la donne politique a changé. Ce film est porté  par la force  du destin  de cet homme. Philippe Baron s’en est saisi avec un traitement plein d’émotions à  la mesure d’une histoire humaine, dense, exceptionnelle et emblématique».

Pratique

Réalisation : Philippe Baron,
Coproduction : France Télévisions/poichiche films
Producteur :Olivier Roncin
Avec : Okon Ubanga-Jones
Avec la voix de Philippe  Torreton

A Madiana le  10 Janvier  2014
pour une semaine
Au tarif unique de 6 euros
Avoir aussi à la télévision le 23 janvier
A 20heures sur Martinique Première et sur
France 3 le 10 mars à 23 heures, dans
« La case de l’oncle Doc »

Christian Antourel & Ysa de Saint-Auret.