— Par Max Pierre-Fanfan —
« Nous avons voulu éviter le Lamentarium » ; le président de la région Guadeloupe a donné le ton lors de l’inauguration du «Mémorial Act », le 10 mai à Pointe-à-Pitre. La mémoire historique ne saurait se réduire -uniquement-à l’évocation voire à l’invocation du passé.
La pire erreur qui puisse être commise lorsqu’il s’agit de réaliser un monument commémoratif, fût-il consacré à l’esclavage est de considérer ce dernier comme passé.
Il s’agit d’édifier un mémorial capable, comme l’auraient suggéré Gilles Deleuze et Félix Guattari, de « confier à l’oreille de l’avenir les sensations persistantes qui incarnent l’évènement, c’est-à-dire, la souffrance toujours renouvelée des hommes, leurs protestation recréée, leur lutte toujours reprise », (Qu’est-ce que la philosophie).
En cette période de trouble et de confusion le Mémoire nous rappelle que l’esclavage et la traite des temps modernes sévissent toujours et encore dans certains esprits. Ainsi des centaines de migrants chaque mois sont victimes de négriers peu scrupuleux. Ces migrants partis pour beaucoup des côtes africaines à destination des rives européennes ont disparu « dure et triste fortune dans ce morne horizon » qu’est devenue la mer méditerranée.
Une anthropologie des survivances
A cette tragédie humaine, il faut ajouter l’exposition sans fin des peuples entre la menace de disparaître et la nécessité de paraître malgré tout ; les cohortes d’affamés qui essaiment dans le monde ; ou bien, ceux qui travaillent dans des conditions serviles…
« Nous avons cherché à ne pas opposer les blancs et les noirs », a précisé Victorin Lurel. Le Mémorial Act symbolise ce » lieu malgré soi qui appartient à tout le monde » (G. Didi-Huberman). Accomplir une parcelle d’humanité, voilà ce qu’une œuvre d’art devrait se rendre capable. Amener le mémoriel au-delà d’un récit topique, personnel pour comprendre pourquoi l’esclavage est à la fois, notre antiquité, notre antériorité, notre contemporanéité. Cet ouvrage architectural participe d’une anthologie des survivances…Il témoigne… Il met cette histoire sous les yeux de tous
Un immense cube incrusté de fins éclats de quartz représentant des milliers d’âmes disparues. Un enchevêtrement de résille qui le recouvre en partie faisant référence aux chaînes mais aussi aux figuiers maudits. A l’intérieur des scénographies aident à comprendre le grand récit à travers des images et des objets illustrant les origines du trafic, l’horreur des traversées, le code noir, les révoltes, les abolitions…
Une conscience
Témoigner, c’est aussi dérouler des fils, des trames d’actes et de paroles pour que les descendants de ces esclaves puissent eux-mêmes configurer quelque chose de cette histoire qui les a formés.
Témoigner, c’est tenter de retrouver le fil, c’est réparer, c’est remailler le tissu du temps. « Tandis que le ressouvenir cherche à trouver ce qui a été, se tourne totalement vers le passé, la reprise prétend retrouver ce qui é été sous une forme nouvelle concrète en se dirigeant vers l’avenir ».
Une œuvre d’art, c’est la possibilité d’une réincarnation. Il faut comme le disait André Malraux, « transformer le destin en conscience, transformer en conquête ce qui avait été subi » (discours prononcé à la première manifestation publique de l’association des écrivains et artistes révolutionnaires).
Transformer nos blessures antérieures, présentes, et de tout temps en « vital défi ». Ce qui suppose de trouver des formes, d’avoir une vision et des projets d’avenir individuels et collectifs…Un devenir en somme.
Max Pierre-Fanfan, journaliste/Ecrivain, Réalisateur, Représentant du « Cercle Césairien d’Etudes et de Recherches » (CCER) dans l’Hexagone