— Par Muriel Steinmetz —
La romancière est récompensée pour « le Cœur synthétique », un livre à la fois léger dans le ton et profond dans l’esprit, où l’on retrouve sa préoccupation essentielle : la cause des femmes.
Le Prix Médicis revient à la romancière Chloé Delaume (née en 1973) pour « le Cœur synthétique » paru au Seuil. La nouvelle a été annoncée en direct sur France Inter, en raison du confinement. La présidente du prix, la romancière Marie Darrieussecq, a tenu à dire ceci : « Nous avons fait le pari modeste (avec l’ensemble des jurés), de (miser sur) la réservation et le retrait (…) Il y a tous ces libraires qui essayent, qui se donnent les moyens de sauver le livre, ce produit de première nécessité. Moi je dis aux lecteurs du Médicis, allez commander vos livres chez votre libraire ! »
C’est l’histoire d’une fleur bleue qu’on trempe dans l’acide.
Chloé Delaume
« Le Cœur synthétique » mêle avec esprit la vie privée et la vie publique d’une attachée de presse en mal d’amour qui vit avec son chat. Chloé Delaume en dit : « C’est l’histoire d’une fleur bleue qu’on trempe dans l’acide ». Adélaïde Berthel, 46 ans, sans famille, sans enfant, une sainte horreur de la grossesse, vient de rompre après des années de vie commune, sûre de retrouver place sur le marché de l’amour. Le temps l’a démonétisée. La voici qui culpabilise de ne pas réussir à se comporter en vraie féministe…
Quatre amies, un peu sorcières
Parallèlement, le roman s’attache à son métier dans une grande maison d’édition. L’histoire s’ouvre en août, un mois avant la rentrée littéraire : enjeu majeur, stress maximal. Adélaïde a quatre auteurs à défendre, dont une « écrivaine fantasque » au « style à pleurer », un primo-romancier au « charisme de loutre », un « romancier aventurier » qui a déjà eu « le prix de Flore ». Occasion rêvée, pour Chloé Delaume, de croquer avec un plaisir acide le petit monde de l’édition vu de l’intérieur. Autour d’Adélaïde en quête d’amour, gravitent quatre satellites, quatre amies, un peu sorcières sur les bords, qui forment un « pilier sororal » sur lequel compter. Vie privée et vie publique se mélangent les pinceaux dans ce portrait d’une héroïne contemporaine en crise, à la fois mièvre et lucide, anticonformiste et soumise aux diktats de l ‘époque.
« Le Cœur synthétique » a été salué pour « sa légèreté », ainsi que pour la capacité de la romancière « à expérimenter des formes différentes dans l’écriture à chaque fois ».
Le Médicis étranger à Antonio Munoz Molina
C’est le 28e roman de Chloé Delaume, déjà récompensée par le prix Décembre en 2001 pour « le Cri du sablier » chez Léo Scheer. En 2016, elle publiait « les Sorcières de la République » (Le Seuil), une sorte d’étude de science-fiction provocatrice, sur la prise du pouvoir dans les urnes par une femme, devenue présidente de la République avec l’appui des déesses grecques. En 2019, Chloé Delaume publiait un essai féministe remarqué, « Mes biens chères sœurs » (Seuil), manifeste dans lequel elle parlait de féminisme comme d’une chose ordinaire. Le livre s’achevait sur ce constat amer : « Il n’y a que l’amitié et la sororité qui préserve de l’abîme ».
Quant au Médicis étranger, c’est l’Espagnol Antonio Munoz Molina qui a été distingué, pour « Un promeneur solitaire dans la foule » (Le Seuil) tandis que le Médicis essai revient au Norvégien Karl Ove Knausgaard pour « Fin de combat » (Denoël), dernier volume de son autobiographie.
Muriel Steinmetz
Source : Lhumanité.fr