— Par Selim Lander —
Le Marchand de Venise n’est pas la pièce la plus jouée de Shakespeare. On peut le comprendre de deux manières. Le négatif : la faiblesse de l’intrigue qui repose sur une série de ressorts tous plus incroyables les uns que les autres. Certes, la comédie romantique n’est pas nécessairement subtile mais quand elle s’affranchit complètement des règles de la vraisemblance, on n’est pas obligé d’adhérer… sauf si c’est parfaitement interprété (ce qui ne sera hélas pas tout-à-fait le cas ici – cf. infra). Le positif : le véritable sujet qui est celui de l’intolérance, du racisme et des droits, dans ce cas, de la victime. Le sujet est universel, même s’il prend une résonnance particulière dans une ancienne « île des esclaves ». En l’occurrence, il s’agit du statut des juifs à Venise, à l’époque où la Sérénissime était le centre d’une « économie-monde » braudellienne, des juifs relégués dans leur ghetto où ils faisaient commerce de l’argent, un commerce alors interdit (en principe) aux chrétiens.
Donc un juif, un usurier, Shylock, qui a souffert toute sa vie du mépris de ses partenaires chrétiens et qui saisit la première occasion qui se présente pour se venger : il prêtera 3000 ducats à un marchand vénitien, qui ne l’a jamais traité qu’avec mépris, par un contrat stipulant que si le marchand fait défaut, le créancier pourra prélever sur sa poitrine, du côté du cœur, une livre de chair. Autant dire que, dans ce cas, le débiteur perdra la vie. Naturellement, il fera défaut, sinon il n’y aurait plus que la comédie romantique, laquelle n’offre qu’un intérêt très limité, comme on l’a dit. S’ensuit donc un procès au cours duquel Shylock entend faire reconnaître son droit à une livre de chair humaine. On ne dévoilera pas, ici, la suite, afin de ne pas frustrer les futurs spectateurs de la pièce (qui se joue encore trois soirs) qui ne la connaîtraient pas déjà. Mais les données du problème sont claires. Et tout d’abord : le contrat a été signé, est-il légal pour autant ? Shakespeare invoque une loi de Venise pour trancher cette première question, ce dont le spectateur n’a cure car il veut surtout savoir si le contrat était légitime et Shakespeare, fort habilement, se garde de trancher. C’est donc à nous, spectateurs, de le faire en notre âme et conscience. Nul ne saurait esquiver la question et naturellement toutes les réponses sont possibles depuis ceux pour lesquels un contrat est un contrat, quelles que soient les conséquences éventuelles, jusqu’à ceux qui sacralisent la vie et refusent donc toute clause qui la menacerait. Le rôle d’un critique de théâtre – même s’il lui est arrivé dans une autre vie de professer la philosophie morale – n’étant pas de proposer une règle de vie à ses lecteurs, il ne tranchera pas non plus entre les diverses options. Allez voir et tranchez vous-mêmes (s’il reste des places disponibles ; sinon lisez la pièce).
Shylock étant le seul personnage intéressant de la pièce (laquelle pour cette raison n’est pas du meilleur Shakespeare, comme déjà signalé), il est indispensable qu’il soit bien joué. C’est heureusement le cas avec Michel Papineschi. Les autres comédiens ont paru bien faibles dans des rôles, il est vrai, ingrats. L’un des éléments qui nous ont fait tiquer également est, hélas, parfaitement banal aujourd’hui, il s’agit de cette mode consistant à affubler les comédiens qui jouent dans des pièces « d’époque » de costumes « évocateurs » de l’époque en question, c’est-à-dire de pauvres choses qui ne ressemblent à rien… Ce n’est certes qu’un détail.
Mais trêve de mauvais esprit : il faut aller voir cette pièce et, si vous ne trouvez plus de place, lisez-la.
Adaptation et mise en scène de Pascal Faber (assisté pour l’adaptation de Florence Le Corre) avec Michel Papineschi dans le rôle titre. Compagnie 13.
En tournée au Théâtre municipal de Fort-de-France du 23 au 26 mars 2016.