Cet extrait de LE MALADE IMAGINAIRE (acte III, scène 3) mise en scène il y a 3 siècles et demi, par la controverse qui s’y déroule, résonne en ces temps de pandémie d’une incontestable actualité… Aujourd’hui, les Argan adeptes de la « science » vaccinale et les Béralde détracteurs de cette nouvelle religion sont en quelque sorte les clones de ces personnages de la comédie de Molière.
Daniel Boukman
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Le Malade Imaginaire (acte III, scène 3)
Béralde : Est-il possible que vous serez toujours embéguiné de vos apothicaires et de vos médecins , et que vous vouliez être malade en dépit des gens et de la nature ?
Argan : Comment l’entendez-vous, mon frère ?
Béralde : J’entends, mon frère, que je ne vois point d’homme qui soit moins malade que vous, et que je demanderais point une meilleure constitution que la vôtre. Une grande marque que vous vous portez bien, et que vous avez un corps parfaitement bien composé, c’est qu’avec tous les soins que vous avez pris, vous n’avez pu parvenir encore à gâter la bonté de votre tempérament, et que vous n’êtes point crevé de toutes les médecines qu’on vous a fait prendre.
Argan : Mais savez-vous, mon frère, que c’est cela qui me conserve, et que monsieur Purgon dit que je succomberais s’il était seulement trois jours sans prendre soin de moi ?
Béralde : Si vous n’y prenez garde, il prendra tant de soin qu’il vous envoiera en l’autre monde.
Argan : Mais raisonnons un peu, mon frère. Vous ne croyez donc point à la médecine ?
Béralde : Non, mon frère, et je ne vois pas que, pour son salut, il soit nécessaire d’y croire.
Argan : Quoi ? vous ne tenez pas véritable une chose établie par tout le monde, et que tous les siècles ont révérés ?
Béralde : Bien loin de la tenir véritable, je la trouve, entre nous, une des plus grandes folies qui soit parmi les hommes, et, à regarder les choses en philosophe, je ne vois point de plus plaisante momerie, je ne vois rien de plus ridicule qu’un homme en puisse guérir un autre.
Argan : Pourquoi ne voulez-vous pas, mon frère, qu’un homme en puisse guérir un autre ?
Béralde : Par la raison, mon frère, que les ressorts de notre machine sont des mystères, jusques ici, où les hommes ne voient goutte, et que la nature nous a mis au-devant des yeux des voiles trop épais pour y connaître quelque chose.
Argan : Les médecins ne savent donc rien, à votre compte ?
Béralde : Si fait, mon frère. Ils savent la plupart de fort belles humanités, savent parler en beau latin, savent nommer en grec toutes les maladies, les définir et les diviser, mais, pour ce qui est de les guérir, c’est ce qu’ils ne savent point du tout.
Argan : Mais toujours faut-il demeurer d’accord que, sur cette matière, les médecins en savent plus que les autres.
Béralde : Ils savent, mon frère, ce que je vous ai dit, qui ne guérit pas de grand-chose ; et toute l’excellence de leur art consiste en un pompeux galimatias, en un spécieux babil qui vous donne des mots pour des raisons, et des promesses pour des effets.
Argan : Mais enfin, mon frère, il y a des gens aussi sages et aussi habiles que vous ; et nous voyons que dans la maladie, tout le monde a recours aux médecins.
Béralde : C’est une marque de la faiblesse humaine, et non pas de la vérité de leur art.
Argan : Mais il faut bien que les médecins croient leur art véritable, puisqu’ils s’en servent pour eux-mêmes.
Béralde : C’est qu’il y en a parmi eux qui sont eux-mêmes dans l’erreur populaire dont ils profitent, et d’autres qui en profitent sans y être. Votre Monsieur Purgon, par exemple, n’y sait point de finesse : c’est un homme tout médecin, depuis la tête jusqu’aux pieds ; un homme qui croit à ses règles plus qu’à toutes les démonstrations des mathématiques, et qui croirait du crime à les vouloir examiner ; qui ne voit rien d’obscur dans la médecine, rien de douteux, rien de difficile, et qui, avec une impétuosité de prévention, une roideur de confiance, un brutalité de sens commun et de raison, donne au travers des purgations et des saignées, et ne balance aucune chose. Il ne lui faut point vouloir mal de tout ce qu’il pourra vous faire : c’est de la meilleur foi du monde qu’il vous expédiera, et il ne fera, en vous tuant, que ce qu’il fait à sa femme et à ses enfants, et ce qu’en un besoin il ferait à lui-même.
Argan : C’est que vous avez, mon frère, une dent de lait contre lui. Mais enfin venons au fait. Que faire donc quand on est malade ?
Béralde : Rien, mon frère.
Argan : Rien ?
Béralde : Rien. Il ne faut que demeurer au repos. La nature d’elle-même, quand nous la laissons faire, se tire doucement du désordre où elle est tombée. C’est notre inquiétude, c’est notre impatience qui gâte tout, et presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies.
Argan : Mais il faut demeurer d’accord, mon frère, qu’on peut aider cette nature par de certaines choses.
Béralde : Mon Dieu ! mon frère, ce sont pures idées, dont nous aimons à nous repaître ; et, de tout temps, il s’est glissé parmi les hommes de belles imaginations, que nous venons à croire, parce qu’elles nous flattent et qu’il serait à souhaiter qu’elles fussent véritables. Lorsqu’un médecin vous parle d’aider, de soulager la nature, de lui ôter ce qui lui nuit et lui donner ce qui lui manque, de la rétablir et de la remettre dans une pleine facilité de ses fonctions ; lorsqu’il vous parle de rectifier le sang, de tempérer les entrailles et le cerveau, de dégonfler la rate, de raccommoder la poitrine, de réparer le foie, de fortifier le cœur, de rétablir et conserver la chaleur naturelle, et d’avoir ses secrets pour étendre la vie à de longues années : il vous dit justement le roman de la médecine. Mais quand vous venez à la vérité et à l’expérience, vous ne trouvez rien de tout cela, et il en est comme de ces beaux songes qui ne vous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir crus.
Argan : C’est à dire que toute la science du monde est refermée dans votre tête, et vous voulez en savoir plus que tous les grands médecins de notre siècle.
Béralde : Dans les discours et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes que vos grands médecins. Entendez-les parler : les plus habiles du monde ; voyez-les faire : les plus ignorants de tous les hommes.
Argan : Hoy ! Vous êtes un grand docteur, à ce que je vois, et je voudrais bien qu’il y eût ici quelqu’un de ces messieurs pour rembarrer vos raisonnements et rabaisser votre caquet.
Béralde : Moi, mon frère, je ne prends point à tâche de combattre la médecine ; et chacun, à ses périls et fortune, peut croire tout ce qu’i lui plaît. Ce que j’en dis n’est qu’entre nous, et j’aurais souhaité de pouvoir un peu vous tirer de l’erreur où vous êtes, et, pour vous divertir, vous mener voir sur ce chapitre, quelqu’une des comédies de Molière.
Argan : C’est un bon impertinent que votre Molière avec ses comédies, et je le trouve bien plaisant d’aller jouer d’honnêtes gens comme les médecins.
Béralde : Ce ne sont point les médecins qu’il joue, mais le ridicule de la médecine.
Argan : C’est bien à lui de se mêler de contrôler la médecine ; voilà un bon nigaud, un bon impertinent, de se moquer des consultations et des ordonnances, de s’attaquer au corps des médecins, et d’aller mettre sur son théâtre des personnes vénérables comme ces messieurs-là.
Béralde : Que voulez-vous qu’il y mette que les diverses professions des hommes ? On y met bien tous les jours les princes et les rois, qui sont d’aussi bonne maison que les médecins.
Argan : Par la mort non de diable ! si j’étais que des médecins, je me vengerais de son impertinence ; et quand il sera malade, je le laisserais mourir sans secours. Il aurait beau faire et beau dire, je ne lui ordonnerais pas la moindre petite saignée, le moindre petit lavement, et je lui dirais : « Crève, crève ! cela t’apprendra une autre fois à te jouer à la faculté ».
Béralde : Vous voilà bien en colère contre lui.
Argan : Oui, c’est un malavisé, et si les médecins sont sages, ils feront ce que je dis.
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