Le livre vivant de l’union avec Dieu

— Par Roland Tell —

Noël est la période, où la mémoire humaine s’unit le plus à Dieu. Selon l’Epître à Diogène, c’est le temps, où toute humanité prend conscience que la vraie patrie est au ciel. Cette conscience vive de la communauté de destin est liée à l’idée que l’éternité possède le temps tout entier. Car, selon Saint-Thomas, « il n’y a rien de futur pour Dieu. » Noël est donc le temps favorable où, comme le dit Saint-Paul, « toutes choses sont faites nouvelles », ou encore « Dieu réconcilia le monde avec lui-même dans le Christ ! »
D’où il ressort que le temps de Noël est, pour chacun sur terre, celui où souffle l’esprit d’amour, et où grandissent les dons, au sein des familles humaines. A cet égard, l’arbre de Noël, dans ses illuminations, met petits et grands dans la joie de la contemplation, même si la fascination, ressentie à la vue des présents et des cadeaux, fait oublier momentanément les vrais biens spirituels, qu’enseigne l’Esprit Divin, au livre de la Sagesse. N’est-ce pas que cette nuit se passe ici, sur terre ?
L’appartenance citoyenne ici-bas permet donc de jouer sur les deux tableaux, certes inégaux, du politique et du religieux. C’est en conscience donc, qu’après la tournée festive des cantiques chantés et dansés, il est humain de renouer avec la grande tradition des échanges de cadeaux, peu après le copieux repas, où tous sont conviés par la mémoire du monde, depuis plus de 2000 ans ! N’est-ce pas la terre humaine qui justifie ces attitudes éthiques d’accueil, d’ouverture, de fête – autant de manières d’habiter la Martinique, en la peuplant ainsi de nos racines, de nos souvenirs, de nos attachements, de nos projets, de notre langue, de notre culture, de notre éducation, de notre sociabilité ! Tel est le prix de notre antillanité concrète… Le temps est court sur terre, est-ce péché d’user du monde où l’on vit, sans s’éloigner de Dieu ?
La Martinique se sait appelée à la béatitude du Ciel, ne serait-ce que par tout ce qu’elle a subi de l’histoire. Peuple, qui a vécu, dans la souffrance, ses vagues d’émigration, il se dirige vers Dieu, dans les jouissances de la vie, en vivant sa joie de vivre, et ses plaisirs, tout en jugeant sainement des choses et des évênements ! Il n’y a pas faute de sa part de se réjouir pleinement de la naissance du Christ, car ses cantiques, ses danses, ses réveillons, sont autant de moyens de prières, autant d’images vivantes, pour se transfigurer en peuple de lumière, le temps de Noël, et poursuivre inlassablement son essor vers Dieu. Seul compte le recueillement intérieur de chaque Martiniquais, dans l’espérance de la patrie à venir ! Car, dit Saint-Paul, « nous n’avons pas, ici-bas, de cité permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir. »
Un tel idéal constitue la limite supérieure. N’est-ce pas qu’il faut y tendre, par des sentiments, des connaissances, des manifestations, les plus agréables possibles, de toutes les choses terrestres ? Voilà pourquoi La Martinique se dégage de tout protocole contraignant, pour avancer vers cet idéal élevé. De la joie collective, des illuminations, des chanté-noël, des cadeaux, pour s’unir à Christ et à Dieu, pour leur porter une opération générale d’amour, comme elle le sent, avec ses appêtits de vie, avec toutes ses ferveurs authentiques, pour marquer l’aurore de la naissance du Sauveur !
Quelle conscience chrétienne se sentirait offusquée des traditions martiniquaises ? Eh bien, il suffit déjà d’être plus attentif à tous les renouvellements de l’eucharistie dominicale, plus vivante d’année en année, par l’atmosphère de foi, les chants, la musique, les prédications, afin de faire en sorte que hommes et femmes du pays avancent à la connaissance de la vérité, en laissant de côté toute autre considération que cette volonté supérieure. N’est-ce pas la raison première de l’économie divine ? N’est-ce pas là Dieu par participation ? Dans cette conformité de volonté, la Martinique consacre le mois de décembre à entrer plus avant dans la profondeur des souffrances du Christ, de toutes les manières possibles, en donnant le tout d’elle-même, par le moyen de la foi, la plus illuminée, et la plus fêtée.
ROLAND TELL