Au lendemain des élections présidentielles et législatives françaises en Guadeloupe, les guadeloupéens les plus épris de dignité gardent un goût amer, voire un profond dégoût. Cependant, au-delà de l’émotion évidente, que disent réellement de nous-mêmes ces élections ?
Tout d’abord, le corps électoral qui s’est exprimé au cours de ces consultations représente moins de 30/100 des inscrits. Par conséquent, les abstentionnistes sont très largement majoritaires. Cette absence massive et persistante aux rendez-vous civiques fixés par la loi française est le signe d’une défiance à l’égard du fait politique électoral, et plus encore, d’une perte de crédit populaire des institutions et de leurs représentants.
Au-delà de l’assimilation instituée, régissant depuis longtemps le rapport de la Guadeloupe à la France, il faut mesurer un de ses ravages majeurs au sein de notre représentation politique : l’aliénation des cœurs et des esprits. Bien souvent, le discours des plus audacieux frôle sans y toucher la question du droit à l’autodétermination du peuple guadeloupéen. Il a recours à des mots-débarras tels que « Droit à la différenciation » ou « Domiciliation du pouvoir ». Au lieu de regarder la Guadeloupe comme une nation à construire nous-mêmes, il la revendique comme exception française. On se détourne du macronisme, peut-être, mais pas du colonialisme. C’est encore et toujours l’appel désespéré, de plus en plus indigne, à un Sauveur Suprême venant d’Ailleurs qui prévaut. Telle est l’illustration la plus parfaite de l’aliénation : se rendre étranger à soi-même. Et tout cela pour masquer ou glorifier en douce le fait colonial.
Sans orientation indiquant comment et par quels chemins changer de fond en comble la société ; puisque cette société coloniale entrave toute volonté d’être libre en son pays, le peuple perd la boussole. À la merci de tous les mauvais vents populistes. Ces vents viennent surtout d’Europe ou d’Amérique du Nord, mais aussi de nos parages, aussi toxiques les uns que les autres. Ils sont conditionnés par un fort relent nostalgique du temps d’avant les décolonisations dans les sphères dirigeantes occidentales et leurs médias.
Pon dis sou pa pèd
Au-delà des revendications catégorielles et corporatistes pour plus d’avantages coloniaux, plus d’État français et plus d’assistanat, il y a GUADELOUPE. Un petit pays qui se bat depuis longtemps déjà pour survivre, mais veut aujourd’hui se battre pour vaincre même un géant. Il s’efforce de partager l’intelligence, de créer et d’innover sans courber l’échine malgré un contexte économique et financier défavorable. Il nous appartient, en ravivant ce terreau que constituent des forces de la production et de la création, de renforcer et de faire mûrir le patriotisme guadeloupéen. Tout cela est possible, pourvu que chaque variante du patriotisme sache, au-delà de ses petites différences, faire sa part dans la construction de la nation commune en hissant les pratiques militantes à l’échelle d’un projet d’État souverain. Le moment est venu de s’engager résolument contre l’éparpillement inutile poussé par les ego sectaires. A pa tousèl ponyonn ké fè ayen pou noutout. Mieux se réapproprier l’Éducation Populaire à la citoyenneté guadeloupéenne ; occuper résolument et en permanence tout l’espace public. Oui, le moment est venu de mener la barque.
01 juillet 2022