— Propos recueillis par Matilde dos Santos Ferreira, critique d’art et curateur indépendant, —
Durant l’année 2019 en préparation d’un ouvrage sur le jardin des sculptures de la Fondation Clément, j’avais interviewé une partie des créateurs des œuvres du parc. Ces interviews n’ont finalement pas été utilisées pour le livre publié par la Fondation il y a un an. Pablo Reinoso, artiste franco-argentin, a répondu par écrit à mon questionnaire-type (quatre questions que je posais à tous les artistes, plus une question spécifique). Des réponses qui éclairent singulièrement bien sa pratique.
Matilde dos Santos : Pablo Reinoso en cinq dates. Quels sont pour vous les événements et/ou rencontres qui ont le plus impacté votre destinée ou votre œuvre ?
Pablo Reinoso : En 1969, j’ai réalisé un premier voyage, qu’on peut dire initiatique, à Paris où est née ma vocation de sculpteur après la visite du musée Rodin, la découverte du sculpteur Henry Laurens et de la « Maison de Verre » de Pierre Chareau.
1978, est l’année où je quitte l’Argentine et m’installe à Paris. La même année j’obtiens une bourse pour partir travailler le marbre à Carrara en Italie.
1982, l’année de mes premières expositions importantes. Je présente « Paysage d’eau » au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris lors de la XIIe Biennale de Paris. Et j’ai ma première exposition personnelle à la Fiac.
En 1995 je commence la série « Les Respirantes ». A ce moment-là, je souhaite me défaire des contraintes de la sculpture « lourde » et me consacre exclusivement à la matière « air » durant 8 années consécutives.
2010, début de la série des « Garabatos », œuvres qui sont réalisées pour la plupart en acier peint et qui me permettent de travailler sur des projets monumentaux et ainsi d’intervenir dans l’espace public.
2017, Publication de ma première Monographie aux éditions 5 Continents.
Mds : Pablo Reinoso en cinq œuvres. Quelles sont les œuvres que vous considérez comme des jalons de votre production ? Ou qui sont très spéciales pour vous et pourquoi ?
PR : L’installation « Ashes to Ashes » à la Casa de Américas à Madrid en 2002, marque un aboutissement dans mon travail sur le plan esthétique mais également un tournant dans ma manière de travailler, c’était la première fois que j’avais une équipe pour construire mon œuvre dans l’espace du musée.
La création de mon premier « Banc Spaghetti » (2006). Cette œuvre marque un tournant dans ma carrière. Repérée de suite, elle a eu une très bonne réception partout dans le monde et m’a permis de faire connaître mon œuvre avec un spectre beaucoup plus large. Maintenant, souvent lorsque je me présente on n’identifie pas forcément mon nom mais dès que je montre un « banc Spaghetti « tout le monde connaît.
« Racines de France » (2016) pour la terrasse sud du palais de l’Élysée à Paris et cette même année a également l’installation de deux sculptures sur les rives de la Tamise dans le cadre d’une commande d’art public à Londres.
L’Observatoire du Ciel sur le Miroir d’Eau de Bordeaux dans le cadre de la biennale 2017 d’architecture, urbanisme et design AGORA. Cette installation réunit six bancs spaghettis pensés pour la Place de la Bourse et l’environnement particulier du miroir d’eau.
« Le Cercle », en 2018 , une installation d’œuvres in-situ pendant la Fiac pour la Fontaine octogonale du Jardin des Tuileries. L’installation présentait un ensemble de huit sculptures dans le bassin culminant à 6 mètres de haut et s’inscrivant dans le tracé historique qui relie le Louvre à l’Arc de Triomphe.
MDS : « Huge Sudeley Bench » avec son assisse lourde et confortable et ses volutes aériennes pose la question de la limite et de l’interaction possible entre forme et fonction, quelles sont vos premières œuvres à s’intéresser à cette interpénétration, et à aller jusqu’à nier la fonction par des déviances de forme ?
PR : Une de mes toutes premières œuvres était déjà fondée sur ce principe, c’est une pièce en bois toute articulée qu’on peut manipuler et qui prend différentes formes, elle est à la fois forme dans l’espace et une des combinaisons permet de former un petit banc, donc déjà en 1975, la question forme/fonction se manifestait fortement dans mon travail. Il s’agit du « Tronco articulado » qui est pour moi une œuvre tout à fait emblématique.
Je ne nie pas la fonction puisqu’il est toujours possible de s’asseoir par contre je joue avec elle, la détourne, essaye de la déplacer.
MDS : « Huge Sudeley Bench » et vos autres créations, quel rapport ?
PR : Comme vu dans la question antérieure, l’interpénétration forme et fonction, présente déjà dans une de mes toutes premières sculptures, mais aussi la prise à contre-pied de choses que sont vues comme données alors qu’elles sont construites…
MDS : « Huge Sudeley Bench » et le jardin des sculptures. L’œuvre a-t-elle été conçue pour les jardins de la Fondation Clément ? Pensez-vous qu’elle ait un rapport spécial au site ? Lequel ?
PR : « Huge Sudeley Bench » n’a pas été conçue pour cet endroit en particulier mais pour des espaces extérieurs végétalisés. Ainsi, je ne suis pas surpris qu’elle fonctionne dans ce contexte. Le rapport le plus évident que je pourrai tisser à posteriori est avec l’aspect industriel car la matière de l’œuvre, l’acier est une matière couramment utilisé dans le monde industriel, ça peut donc créer un écho. Il y a un rapport assez direct aussi avec le monde végétal dont l’emprise est si forte ici, elle a façonné toute la géographie de l’île, ce rapport au monde végétal est également très présent dans mon œuvre.
Pablo Reinoso (Buenos Aires 1955) , Vit et travaille à Paris. Plasticien et designer franco-argentin, il est né en Argentine d’une mère française et d’un père argentin. Précoce, il crée sa première sculpture, le Tronc articulé, à l’âge de 15 ans. En 1978, fuyant la dictature, il s’installe à Paris où il vit toujours. A son arrivée en France, il n’obtient pas d’équivalence pour son diplôme d’architecture. Il part alors en Italie et étudie pendant une année la sculpture sur marbre de Carrare. Il a été à plusieurs reprises entre 2000 et 2007 directeur artistique et/ou designer pour le compte de grands groupes internationaux.