— Par Roland Sabra —
La première à Fort-de-France du Jardin d’Alphonse s’est jouée le 15 mai, journée internationale de la famille. Cela ne pouvait mieux tomber. Courtes Lignes connaît bien Didier Caron dont elle a déjà monté « La monnaie de la pièce », « Un vrai bonheur ». Cette comédie, un succès populaire sur le mariage et le remariage il l’adapte lui-même au cinéma en 2005. Un filon qu’il exploite depuis avec succès puisqu’en 2007 il propose la suite avec Un vrai bonheur 2. Pourquoi renoncer à une affaire qui marche ? L’auteur se spécialise dans la comédie de mœurs autour des relations de voisinage ( Un pavé dans la cour) ou de travail dans une troupe de théâtre ringarde à souhait (Les Nombrils). A court d’idées il n’hésite pas à refourguer une ancienne pièce sous un nouveau titre. C’est ainsi que Le Jardin d’Alphonse, présentée ici et là comme une création de 2017 n’est en réalité que la reprise d’une pièce créée en 2005 sous l’appellation « Les Vérités vraies ». Stratégie de marketing qui consiste à présenter sous un nouveau nom un ancien produit. Ce qui est cocasse à l’occasion c’est que la pièce porte sur le thème de la vérité avec ces sempiternelles interrogations usées jusqu’à la moelle et pourtant toujours là : La vérité est-elle toujours bonne à dire ? Un mensonge qui fait l’affaire vaut- il mieux qu’une vérité qui l’embrouille ? Le Jardin d’Alphonse, est-il une vraie fausse nouvelle pièce ?
La thématique de la vérité est à cette occasion mise en abîme avec celle de la famille. Alphonse Lemarchand est mort. Ses cendres sont encore tièdes quand son fils Jean-Claude organise dans le jardin familial un déjeuner. Sa fille Magali lui pose la question qui va ouvrir la boite de Pandore: Pourquoi ne l’a-t-il pas élevée après le décès de sa mère ? Après quelques hésitations la réponse franche et claire va dégénérer en un grand déballage de printemps. Et d’abord pourquoi Serge et Fabien les (demi-) frères de Magali ne se parlent-il plus depuis deux ? Pour une obscure histoire de château de sable démoli par Serge ? Pourquoi Fabien lâche-t’il Nadège qu’il a dérobée à son frère Serge. Pourquoi Nadège s’abîme-telle dans l’alcool de frère en frère ? Pourquoi Daniel l’ami de la famille reproche-t-il tout à coup, après de longues années de vie commune, à sa femme de n’avoir dans la tête qu’un pois chiche ? Pourquoi Zoé, la baba-cool compagne de Magali s’en veut-elle, dix ans après d’avoir pris un soir la place du conducteur au lieu de celle du passager, celle que l’on appelle la place du mort? Et surtout dans quelles circonstances l’ancêtre Alphonse a-t-il acquis pendant la guerre ou peu après la maison laissée et héritage et qui était celle des Rosengerg ?
Didier Caron ratisse large. De la mama séfarade, à l’artiste dépressif, de la baba-cool, lesbienne qui parle aux arbres au trader en voie d’être éjecté de son boulot par suite d’absorption de son entreprise tout ou presque y passe. Sans oublier le comportement des uns et des autres sous l’Occupation! Le texte prête à la caricature et la troupe « Courtes Lignes » s’y résiste pas. Un bon gros rire qui ne s’encombre pas de subtilité pour un public dont une part ce soir là confiait ne venir au théâtre qu’une fois l’an par fidélité à la compagnie. Et ceux là communiaient avec ce que la mise en scène restituait. Un couple lesbien! Pensez donc! C’est à mourir de rire! N’allez pas croire que Courtes Lignes soit homophobe. Elle sait simplement comment caresser son auditoire dans le sens du poil.
Pour autant faut-il rappeler qu’il est possible d’aborder la complexité d’une famille débordée par sa mémoire d’une autre façon? Le film et la pièce de théâtre Festen en sont la preuve admirable.
Le répertoire de Courtes Lignes avait connu quelques inflexions ces dernières années vers des sujets plus graves ou plus classiques, notamment avec Le repas des fauves, ou L’Assemblée des Femmes. Il renoue, persévère et creuse ce qui fait sa spécificité et son intérêt pour un public convaincu par avance, que le théâtre est avant tout un amusement. La troupe se renouvelle, avec ses exigences de sérieux et de qualité, autour du noyau constitutif composé d’Anne-Marie Claire et de Claude-Georges Grimonprez. Courtes Lignes ? Un compagnie au long cours, pour un large public. Le théâtre est pluriel.
Fort-de-France, le 16/05/19
R.S.