— Par Félix Relautte —
Sans coup férir, la CDMT est passée de la deuxième à la première place des centrales et confédérations syndicales martiniquaises. Et pourtant, militant CDMT et ancien secrétaire général de cette centrale, cela ne me réjouit pas. Pour la bonne raison que cette première place résulte en réalité d’un curieux choix de la CGTM : comme si elle voulait fêter d’une façon très paradoxale le cinquantième anniversaire de la transformation en 1963 de l’Union Départementale de la CGT (U.D. CGT) en CGTM. Ainsi, la centrale de Ghislaine Joachim-Arnaud vient de décider, sans congrès, de faire le chemin inverse, c’est-à-dire de se …ré affilier à la CGT de France. Toute plaisanterie mise à part, cette façon de revendiquer l’héritage de Walter Guitteaud et Victor Lamon en faisant le contraire de leur geste de véritable fondation du syndicalisme martiniquais autonome, est une défaite idéologique grave du mouvement ouvrier, du fait même de la place historique et numérique de la CGT dans le paysage syndical de notre pays.
Les raisons de ce virage, aussi discret que lourd de signification, ne sont pas moins déconcertantes que le fait lui-même. « Nous n’avions pas le choix », m’a dit benoîtement un camarde exerçant des responsabilités dans la Confédération CGTM. Pas le choix ? Voilà une expression qui, a priori, sonne mal dans la bouche d’un syndicaliste dont le réflexe premier doit être de refuser le fatalisme, de se rebeller contre toute soumission aux Dominants !
Mais quel est le problème ? Il faut savoir que la modification des règles de la représentativité syndicale par une loi d’août 2008 prend pour base les résultats aux élections professionnelles. Cela semble le bon sens même (bien que le but caché de la manœuvre, proposée d’ailleurs au départ par la CGT et la CFDT, ne soit autre que l’élimination des « petits syndicats »). Mais l’affaire se complique quand on ajoute à cette réforme les traditions colonialistes de la « métropole ». En effet, le nouveau système comptabilise les résultats au niveau la France (le « national ») et au niveau des entreprises, mais pas au niveau de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Réunion. Ces pays étant « la France », il n’y a pas lieu de tenir compte de la représentativité propre de leurs syndicats puisque cette représentativité n’ouvre aucun droit particulier ! Nous ne sommes pas sensés exister comme entités propres. Seuls existent la France et l’entreprise.
Cette curieuse théorie a un effet collatéral : pour éviter de perdre le bénéfice des voix obtenues par les syndicats alliés CGTM, CGTG, UTG, CGTR, la CGT de France a tenté de mettre en avant les contrats de coopération signés depuis des lustres avec ces organisations « des D.O.M. ». Mais les réflexes colonialistes sont tenaces : l’administration dit non. Pas question de compter ces voies au bénéfice des coopérants CGT de France. Il faut, pour ce faire, que les syndicats « domiens » retournent au bercail de la CGT. Que pensez-vous que fit la CGT de France, celle-là même qui est à l’origine de la réforme (bras dessus bras dessous avec la CFDT) ? Elle décréta qu’elle n’avait pas … « le choix » ; elle capitula devant cette administration et demanda aux ouailles des colonies de capituler à leur tour et revenir à la maison mère en effaçant plus d’un demi-siècle d’existence indépendante revendiquée et affichée. Réflexe de dignité de la CGTG, de l’UTG, et même, semble-t-il de la CGTR : c’est non ! Nou pa kribich ! Pas question de revenir cinquante ans en arrière ! Les conditions se dessinaient alors pour qu’un front syndical uni des confédérations coloniales interpelle vigoureusement les camarades français et leur rappellent que le droit à l’autodétermination commence pour un syndicat de pays colonisé par le droit à une existence indépendante de la Confédération «métropolitaine ». Car si l’internationalisme commande la solidarité réciproque, l’alliance, la coopération, ce grand et beau principe ne saurait se conjuguer ni avec la soumission au diktat de l’État colonial ni avec la complicité passive du grand frère français.
Mais ne voilà-t-il pas que la CGTM, à bas bruit, vient, dans une réunion de sa commission exécutive, de mettre fin à cet espoir en votant…la ré affiliation à la CGT. Il y a quelques mois, la CGTM présentait une lecture théâtralisée du « Discours sur le colonialisme », dans la cour même de la maison des syndicats. Bravo ! Mais quant à appliquer le principe fondamental de ce grand texte en matière syndicale, c’est une autre paire de manches ! Dans la pratique les dirigeants de la CGTM nous disent : l’époque des « grands frères » n’est pas finie, «l’heure de nous-mêmes» n’a pas sonné ! Plus de 60 ans après le cri césairien !
« Pas le choix », camarade ? OUI, on a le choix ! Il suffit pour cela de rejeter l’alignement paresseux en échange de quelques petits avantages médiocres, de rappeler à leurs devoirs élémentaires les alliés paternalistes de France, de rejoindre le front des organisations qui exigent de façon conséquente la reconnaissance pleine et entière du fait syndical propre aux pays coloniaux, de secouer « nos élus » aussi impuissants sur ce sujet que sur celui de la protection des travailleurs en général. C’est ça, le vrai choix ! Il reste mon choix. Il reste celui de la CDMT et de bien d’autres camarades.
Félix Relautte