— par Michèle Bigot —
Festival d’Avignon off 2017
Sur scène trois coffres à roulettes, deux acteurs et une actrice qui joue du ukulélé. En fond de scène un rideau de franges qui dissimule un écran vidéo. Au son de la musique, commence l’histoire de Buster Keaton, de son vrai nom Joseph Keaton. Il est né en 1895 dans le Kansas, ses parents sont saltimbanques, musiciens et acrobates. Enfant de la balle, à l’instar de Chaplin, il va connaître une enfance aussi difficile. A six mois, il dévale les escaliers. Cette chute mémorable arrache à son père l’exclamation : « What a buster ! ». Le surnom lui restera. A peine a-t-il appris à marcher que son père l’enrôle dans ses numéros où il joue le rôle d’une chose. Il se sert de lui comme d’un projectile. Buster se fracasse, se blesse mais retourne à son rôle. Il apprend à tomber et il va devenir le spécialiste de la chute. Mais un second récit avance en parallèle : c’est celui de Henry, le demi-frère de la narratrice, lui aussi enfant martyr, né handicapé, auquel son père va faire subir la plus cruelle des rééducations. Les deux personnages de père se ressemblent dans ce qu’ils ont de cruel et quelque peu pervers. Les deux figures de fils sont aussi en miroir. Enfants mal aimés et maltraités, inadaptés au monde où ils évoluent, embarrassés de leur corps, et involontairement comiques.
La mise en scène de ce roman de Florence Seyvos choisit de faire d’abord progresser l’histoire de Buster, avant que ne surgisse celle de Henry. Dans un second temps, les deux fils narratifs s’entrecroisent et pour finir, c’est l’histoire de Henry qui prend le pas. Ce qui les rassemble, au-delà de la dimension dramatique de leur destin, c’est le traitement burlesque du récit, que celui-ci soit imputable au personnage lui-même (dans le cas de Buster) ou qu’il soit dû à la narratrice.
Néanmoins, le personnage de Henry, pour réaliste qu’il soit, atteint aussi parfois spontanément au burlesque. Par exemple, lorsque Henry s’échappe du C.A.T. pour rejoindre sa sœur à Paris, il traverse la ville à vélo ; si une femme traverse la rue en dehors du passage protégé, il lui roule dessus et refuse de s’excuser, considérant la passante comme responsable.
Dans son choix de mise en scène, Laurent Vacher met l’accent sur cette dimension comique. Le récit est porté alternativement ou conjointement par les trois acteurs ; la pantomime, la chanson, les numéros de fakir alternent pour donner vie à ces deux histoires parallèles. Le ton est à l’allégresse, on rit souvent et souvent on rit jaune. Le rythme est trépidant ; la gestuelle et les déplacements acrobatiques. Mais parfois c’est le silence et l’immobilité qui s’imposent, l’ambiance est au drame : Henry passe beaucoup de temps à attendre, sans que l’on sache vraiment ce qu’il attend !
Mais le plus remarquable dans la mise en scène reste l’utilisation de la vidéo. On n’en attendait pas moins s’agissant de porter sur scène le personnage de Keaton. Mais ça n’en reste pas moins remarquable, notamment lorsqu’il s’agit d’évoquer les premiers films de Buster, l’arrivée en gare, sommet du cinéma burlesque. L’écran est porté en front de scène et les acteurs doublent la gestuelle de la scène derrière l’écran, de telle sorte que le spectateur assiste à une image dédoublée. Bel hommage à l’art de Keaton, dans ce qu’il a justement de plus théâtral !
Autre moment fort dans la scénographie : l’arrivée de Henry à Paris, son voyage dans le métro, son étonnement candide sont évoqués par une tête dans une boîte.
Dans son ensemble, un spectacle extrêmement abouti, très riche en trouvailles de scénographie et en matière de jeu d’acteurs. On en viendrait presque à regretter que la virtuosité de la mise en scène desserve parfois la tension dramatique, à force de captiver l’attention. Mais on ne se plaindra pas que la mariée était trop belle !
Michèle Bigot
Madinin’Art