« Le Galet bleu », Une histoire d’aujourd’hui pour des enfants d’Outremer.

—Par Scarlett Jésus —

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Après « Les longues nattes de Poética », sorti fin 2013, les éditions Jasor, en Guadeloupe, viennent de publier un nouvel album de jeunesse, « Le Galet Bleu ». Un livre précieux à feuilleter et raconter aux petits enfants sans modération.

L’ouvrage, qui a d’ailleurs été primé pour la seconde édition du concours « Livre jeunesse en Caraïbe » organisé par le Conseil Général de Guadeloupe, a été réalisé par Laure Cuirassier, pour le texte, et par Viva Cuirassier, sa fille, pour les illustrations. Une maman et sa fille… comme dans l’histoire à découvrir.

Cartonné le livre adopte le format paysage. Son titre, « Le Galet bleu », inscrit en lettres d’or, nous invite à une plongée dans l’univers merveilleux des « contes bleus ». Au Petit Chaperon rouge et à sa galette, l’auteur oppose malicieusement l’histoire d’une fillette et de son galet. Un Gros Chien Méchant remplace le Grand Méchant Loup. Une histoire destinée à aider les enfants à surmonter certaines peurs bleues… Une histoire pour frissonner et pour rêver.

Formes et couleurs :

Les éléments figuratifs de cette couverture, stylisés et aux tonalités chaudes, nous introduisent dans le même temps dans un monde de formes et de couleurs. Celui des gommettes et des crayons de couleur.

Au mystère que représente la rondeur imposante d’un galet bleu étrangement métallisé s’associent d’autres formes géométriques qui vont former une composition équilibrée. Un rectangle vertical pour figurer une maison rassurante; une maison orange aux fenêtres en papillotes ceinte d’une rangée de bâtons pointus rouges qui la protègent. Une ligne droite pour suggérer une rue menant à un espace rectangulaire sombre, occupé par le galet, et duquel émergent deux palmes multicolores.

Sensations et émotions.

Ouvrir l’album c’est découvrir onze doubles pages assemblées sur le même modèle. Aux quelques lignes de texte à gauche, en gros caractères, font face à droite une illustration pleine page. Un détail de chacune de ces illustrations accompagne, pour aider à la mémorisation, les textes de gauche.

Effeuiller l’album consiste dans un premier temps à se laisser envahir par les impressions colorées que suggère chacune de ces doubles pages ayant fait le choix d’une tonalité particulière.

 

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 A la rue bigarrée, succèdera une page violine pour traduire le surgissement de la peur. Le parcours initiatique auquel la fillette est entraînée par sa maman passe d’abord par un univers ensoleillé, en jaune-orangé, puis par celui plus ombragé et mystérieux des Grands Fonds, rendu par tout un camaïeu de verts. Enfin, un autre camaïeu de bleus rend compte de l’arrivée en bordure de mer, tandis que pour la double page centrale, celle de la révélation du secret, des bruns et des magentas foncés suggèreront la pénétration d’un monde parallèle, celui de la magie. Une révélation opérée par un Kyo surdimensionné, qui apparaît tel un animal sacré, tandis que mère et enfant se terrent dans une sorte de grotte.

Transmission culturelle et récit éducatif.

Le propos de l’histoire consiste à aider l’enfant à surmonter ses peurs et, plus particulièrement, celle en quelque sorte atavique en Guadeloupe et qui remonte à l’esclavage, du chien. Il s’agit d’amener le petit enfant à apprivoiser sa peur et à la dépasser, pour acquérir la confiance en soi et le courage qui lui seront nécessaires.

Le choix d’un objet magique comme adjuvant, s’il fait partie des ingrédients récurrents du conte, il est ici avec le galet, à la fois original et particulièrement adapté au contexte de l’île. Il ne s’agit ni des petits cailloux que sème le Petit Poucet, ni du rocher d’Ali Baba, mais d’une pierre résultant d’un fragment de roche roulé par les eaux. Le pouvoir magique associé à cette pierre dans le conte renvoie au pouvoir magnétique des roches que les Amérindiens considéraient comme sacrées.

C’est aussi à la connaissance de l’univers des Grands Fonds que « Le Galet Bleu » invite. A celle de sa faune -bœufs, mangoustes, colibris, pique-boeufs, pipirits, kyos et touloulous- et de sa végétation abondante -manguiers, cocotiers, calebassiers, mancenilliers, raisiniers de mer, icaques, caniques et bwa-galba. Mais aussi à l’évocation de traditions qui perdurent encore dans ces terres, comme les danses de quadrille au commandement.

Une autre originalité du conte vient de ce qu’il ne se contente pas de véhiculer une leçon de courage, il est aussi prétexte à développer un comportement à la fois respectueux de la nature et altruiste. Une fois sa peur surmontée, l’enfant ne conserve pas le galet dont il n’a désormais plus besoin. Il ne le jette pas non plus. Il le restitue à la terre, le rendant à nouveau disponible pour les besoins d’un autre enfant.

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La maîtrise de la langue.

S’il est un secret que Laure Cuirassier maîtrise et qu’elle cherche parallèlement à transmettre c’est celui de la maîtrise de la langue. Evitant les mots savants difficilement compréhensibles, le texte invite à un enrichissement du vocabulaire, en particulier à celui des adjectifs. Les bœufs sont « tranquilles », les branches des manguiers « feuillus », les raisiniers « acides, les touloulous « timides », les mancenilliers « sournois » et le sable « douillet ».

La perception du monde par l’enfant, lequel communique avec les animaux et les plantes, est une perception à l’évidence animiste. Tandis que le récit de la quête, lui aussi très maîtrisé, procède de façon quasiment liturgique, par étapes et reprises. « Viens avec moi, dit (à deux reprises), maman », tandis que ni les bœufs, ni les mangues, ni les calebasses, etc. « ne connaissent le secret. »

Prenons y garde néanmoins. Cette perception magique du monde n’est qu’une étape. A la fin de l’histoire, l’enfant a grandi. Il n’a plus besoin d’objet magique. Il est capable d’affronter seul l’inconnu, sans avoir recours à une quelconque magie. Si le galet a perdu le bleu de sa magie, celle-ci reste accessible au poète. Comme en témoigne Francis Ponge qui écrira un pro-ème, « Le Galet », dans lequel il tentera de prendre le « parti-pris » de celui-ci. Reconnaissant toutefois

« le galet n’est pas une chose facile à bien définir ».

Scarlett JESUS, 6 janvier 2015.