Le fromager des Anses-d’Arlet : chronique d’un géant abattu

Le « fromager centenaire des Anses-d’Arlet », symbole de majesté et de biodiversité, a marqué la vie de cette commune martiniquaise avant de devenir le cœur d’un long conflit. Cet arbre, dont la canopée dominait fièrement le paysage près du lotissement Oxygène, n’était pas seulement un élément de la nature : il représentait un patrimoine vivant, une mémoire collective et un écosystème à part entière.

Une histoire enracinée dans le temps
Depuis plus d’un siècle, le fromager trônait sur un terrain municipal, bien avant la construction du lotissement Oxygène. Ses racines puissantes s’étaient progressivement étendues, soulevant la chaussée, menaçant les réseaux d’eau et d’électricité, et causant des dégâts jusque dans certains logements voisins. Ces problèmes ont poussé la municipalité à agir : le 22 mars 2024, un arrêté d’abattage a été pris, déclenchant une bataille juridique et citoyenne.

Un arbre remarquable et controversé
Classé « remarquable » par le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement de Martinique, le fromager était bien plus qu’un simple arbre pour les habitants. Il abritait une faune variée et représentait un refuge écologique précieux. Face à la décision d’abattage, un collectif de riverains s’est formé pour défendre ce géant. Ils proposaient des alternatives, comme le rabotage des racines ou la réparation ciblée des infrastructures endommagées, refusant de voir disparaître ce symbole local.

Les affrontements juridiques
La polémique s’est intensifiée, alimentée par des mobilisations et des réunions houleuses. Une première décision d’abattage a été annulée par le tribunal administratif pour non-conformité, mais une seconde procédure, plus solide, a finalement donné raison à la municipalité. L’opération d’abattage a débuté le lundi 18 novembre 2024, mettant fin à une année de débats et d’espoirs pour les défenseurs de l’arbre.

Une fin qui divise
Branche après branche, le fromager a été abattu par une entreprise spécialisée. Pour la mairie, cette décision était nécessaire pour garantir la sécurité des infrastructures et des habitants. Le coût estimé des réparations alternatives, de 59 000 euros, était jugé trop lourd pour le budget municipal. Pour certains riverains, c’était un soulagement : ils voyaient enfin une solution aux nuisances causées par les racines. Pour d’autres, comme Michèle Bonnet, une résidente du lotissement, c’était une immense tristesse. « C’est un arbre exceptionnel du point de vue de la biodiversité », a-t-elle déclaré, déplorant qu’aucune autre solution n’ait été retenue.

Héritage d’un géant
Le fromager des Anses-d’Arlet ne fait plus partie du paysage, mais son histoire restera gravée dans la mémoire collective. Il symbolise les défis de la coexistence entre nature et urbanisation, entre patrimoine et modernité. Pour les habitants, son absence laissera un vide, à la fois physique et émotionnel, mais aussi une réflexion sur la manière dont nous choisissons de préserver ou de sacrifier les témoins de notre histoire commune.

Sabrina Solar