Le Festival des Révoltés du Monde : Entre espoir et douleur

« Au-delà des mers : rêve de théâtre », le coup de cœur du Jury

« Fabrice di Falco : un oiseau rebelle », hors compétition

— par Janine Bailly — 

À Fort-de-France a pris fin dimanche en soirée le Festival International 2020 des Révoltés du Monde, qui continue cette semaine dans diverses communes de l’île. Une manifestation très suivie, et qui s’achève sur un beau score, puisque le nombre de ses spectateurs est passé de 1400 à 1800, et ce en dépit de conditions très particulières… et de mesures sanitaires parfois difficiles à respecter quand la foule se presse, anxieuse, pas toujours très raisonnable, aux portes des salles de projection… Une belle réussite à coup sûr, que l’on doit aux organisateurs, au comité de sélection des films, le cru étant fort riche et diversifié, mais aussi à une équipe de bénévoles, compétente, accueillante et qui ne fut pas avare de son temps !

De ces quatre jours où l’on préféra la lumière des écrans à celle du soleil, où l’on chemina entre l’hier et l’aujourd’hui, assez peu il faut le reconnaître vers le futur, on pourrait revenir le cœur meurtri pour avoir vu le malheur du monde, tant de chemins ouverts et refermés, tant de rendez-vous ratés, tant de belles révolutions avortées, tant d’hommes de bien assassinés ! Mais l’espoir était là aussi, tenace, dans les images elles-mêmes, sur ces visages souvent saisis, en gros plans ou plans rapprochés, dans leur plus intime vérité, au mitan des sourires que ne saurait éteindre ni la méchanceté des hommes, ni celle d’un sort contraire !

« Au-delà des mers : rêve de théâtre »

Et puis dans l’aujourd’hui de notre pays, se tient debout la jeunesse, auprès d’elle des adultes de bonne volonté, c’est aussi cela que nous voyons, ce dernier jour de Festival qu’illuminent deux documentaires. Le premier, en compétition, et qui sera le « coup de cœur »  du Jury, on le doit à la réalisatrice Marie Maffre, présente dans la salle, d’autant plus émue qu’elle s’est attachée au parcours atypique de ces dix jeunes gens d’Outre-Mer – sans jamais y être elle-même allée auparavant, dit-elle, raison pour laquelle elle nous confie avoir le trac ! Son émotion redouble à découvrir projetée la version longue, en place de la version courte annoncée, de son film, Au-delà des mers : rêve de théâtre.

Venus de ces îles encore liées de façon plus ou moins serrée, plus ou moins consentie à la France, garçons et filles, d’origine plutôt modeste dans leur ensemble, vont d’abord recevoir à l’Académie de l’Union en Limousin,  une formation dispensée par des professionnels du spectacle, avant de passer haut la main les concours d’admission aux diverses écoles de théâtre. De leur groupe, un seul regagnera la Guadeloupe pour s »y consacrer au journalisme. Pour tous, un chemin choisi mais qui n’est pas sans embûches : la réalisatrice recueille avec une tendresse visible les moments de joie, de rires  ou de larmes, la douleur de l’exil et la joie de découvrir la neige, l’enthousiasme et les instants de découragement. Elle filme les apprentissages au cours desquels les professeurs exigent le meilleur, poussent dans les retranchements, encouragent, critiquent et félicitent à bon escient, afin que tous progressent. Je retiendrai la scène, intense, où il est demandé à chacun d’improviser avec ce qu’il est, avec ce que chacun accepte ou tient secret en soi de soi-même, avec ce qu’il porte de son pays, de son histoire. Un documentaire qui fait naître l’empathie, et offre à la spectatrice que je suis, un tantinet épuisée par son marathon festivalier, une vraie plage de repos et de bonheur !

« Fabrice di Falco : un oiseau rebelle »

Plage de bonheur qui se prolonge dans le film de Gilles Moisset, présenté cette fois hors compétition, un lumineux portrait d’un enfant du pays devenu grand, Fabrice di Falco : un oiseau rebelle. Non seulement, le chanteur martiniquais a de par le monde ouvert ses ailes, donnant sa voix singulière à des opéras célèbres aussi bien qu’à des créations faites spécialement pour lui, mais encore s’est-il consacré à son pays, puisqu’il est à l’instigation du concours national « Voix des Outre-Mer ». Artiste lyrique, de renommée internationale, Fabrice di Falco s’est fait aussi découvreur de talents, partageant ce qu’il sait, dispensant avec efficience et générosité une formation musicale à ceux qui aimeraient bien suivre ses traces, sur l’île et hors de l’île. À l’image de son héros, soprano devenu avec la maturité contre-ténor, capable dans son éclectisme et son ouverture d’esprit d’allier le baroque au  jazz et à la comédie musicale, le film nous fait voyager, gardant en point d’attache les paysages de Martinique. La lumière ambrée du film émane autant du ciel que de la mer, du visage de Fabrice di Falco interprétant un rôle que des spots qui l’éclairent et l’auréolent.

Le réalisateur fait se répondre en écho deux moments particuliers, un ici un autre là-bas, moments magiques de la carrière du chanteur, rêves sortis d’une imagination fertile et généreuse : dans les ruines du théâtre de Saint-Pierre, il donne un concert à la nuit tombée, fait de musique classique et créole, et dit que malgré les murs détruits, il entend là les échos de tous ceux qui l’ont précédé – quand la ville était le petit Paris des Antilles… En France, à l’abbaye de Cluny, il réalise un rêve un peu fou, dont il ne sait comment il sera reçu, celui d’incarner en longue tunique noire la Carmen de Bizet, foin des robes à volants et des éventails ! Pari tenu, pari réussi, les spectateurs contemplent, certains bouche bée, d’autres comme émerveillés, la silhouette gracile, immobile et droite d’où naît un chant sublime !

Dernières nouvelles du concours « Voix des Outre-Mer » sur Francetvinfo.

Fabrice di Falco a maintenant pour ambition de créer, avec le soutien de la mairie  « le premier conservatoire des Antilles dans la ville mythique de Saint-Pierre, en Martinique. »

Fort-de-France, le 5 octobre 2020

 

C’est dans la foulée de ce moment magique que nous serait révélé le palmarès du festival : 

Prix du Jury Officiel : Décolonisations :  du sang et des larmes 

Coup de cœur du Jury : Au-delà des mers : rêve de théâtre

Prix Caribéen du Jury : Tu crois que la terre est chose morte 

Prix du Public : Camarade Jean

Prix du Jury Jeunes : Warrior Women