— Le n° 365 de « Révolution Socialiste », journal du G.R.S. —
Une tentation dangereuse consiste à présenter la menace fasciste (ou fascisante, ou d’extrême droite, comme on voudra) comme une menace purement extérieure. Il suffirait alors, pour conjurer le danger, de « ne pas l’importer », de fermer les frontières, d’accélérer le combat pour l’indépendance.
« C’est penser à son aise », dirait le roi Christophe de Césaire. Et justement, dans le pays qui partage la grande île jadis baptisée Saint-Domingue par le colonisateur, des hordes de citoyen·ne·s ordinaires, avec la complicité du pouvoir officiel, reprend le chemin de la haine xénophobe et raciste contre la communauté haïtienne. On sait l’odieux massacre que cette même haine, attisée par le dictateur Trujillo, avait produit en 1937.
Saint-Domingue est loin ? Ah bon ? Et feu Ibo Simon, le chanteur guadeloupéen aux terribles appels « kont lé Ayisyen »? La Guadeloupe c’est encore loin ? Ah oui ? Et les graffitis anti-haitiens d’il y a quelques mois chez nous mêmes ?
C’est, en réalité, à l’autre extrémité de nos sociétés, parmi les colons français (et européens en général), qu’est apparu l’ancêtre le plus indiscutable du fascisme, le suprémacisme esclavagiste. Suprémacisme, esclavage. Les deux mots peuvent être collés parce que c’est bien pour justifier l’abomination esclavagiste qu’est née la négation de l’humanité de nos ancêtres. Et ce poison du suprémacisme, comme le chlordécone, a tout envahi, et surtout, il a la vie dure.
Le défi historique qui est encore devant nous, est bien d’éradiquer l’idéologie qui lui sert de terreau, au lieu de nous contenter de l’inverser.
L’éradiquer c’est sortir de ce terrain, c’est refuser le piège mortifère du conflit de « races », d’ethnies, d’origines, de cultures, conflit que l’ennemi s’évertue à nous glisser dans les jambes pour masquer la guerre de classes qu’il nous mène. Le piège n’est pas martiniquais. Il est mondial. Le fasciste Nétanyahou sait parfaitement que le génocide qu’il conduit en Palestine n’est pas une question de religions ou d’ethnies. Le fasciste Trump ne croit pas une seconde que les Haïtiens seraient plus mangeurs de chiens et chats que ses congénères US. Bardella-Le Pen-Ciotti savent bien que le problème n’est pas l’islam, les immigrés, les non-blancs.
Amuser la galerie en offrant aux opprimés le racisme et la xénophobie comme lots de consolation, c’est prendre le chemin de Mussolini et Hitler. C’est brouiller les cartes, diviser les masses pour pérenniser la domination aussi bien capitaliste que coloniale.
Les militant·e·s et le peuple kanak ont le mérite impressionnant de résister courageusement à la domination coloniale, à la sauvagerie impérialiste, sans tomber dans le piège de la soi–disant « guerre de civilisations », de la lutte des peuples entre eux. S’opposer au colonialisme de peuplement que le pouvoir français leur impose depuis le début, sans sombrer dans un racialisme débilittant, quelle magnifique leçon de dignité, de lucidité et d’antifascisme en actes ! C’est leur première différence avec les mouvements tels que le Hamas et autres mouvances fricotant avec toutes sortes d’obscurantisme intégriste.
Notre lutte de libération nationale et sociale doit prendre exemple sur ce courage et cette clairvoyance. Au lieu de dissertations oiseuses sur la grande question de savoir si « les Békés sont martiniquais ou pas », au lieu de nous lamenter sur l’absence de « concurrence pure et parfaite » dans la grande distribution chez nous, commençons à remettre en cause par des mesures concrètes la toute puissance de la classe-caste dominante sur le commerce, l’agriculture, l »industrie chez nous.
Au lieu de leur faire la morale sur leurs « marges », sur ce qu’ils « nous doivent », imposons l’ouverture de leurs livres de compte, l’abolition du secret des affaires. Le problème n’est pas « d’aller voir ce qu’ils ont dans le ventre», mais d’imposer la transparence pour chiffrer ce que nous pouvons leur imposer en termes de prix de marchandises comme en termes de salaires aux travailleurs/ses. Il s’agit d’arracher ce qui est possible aujourd’hui en attendant de pouvoir proclamer demain l’expropriation des expropriateurs, seule mesure en vérité à la hauteur des crimes historiques dont nous avons été victimes, mais surtout seule mesure capable d’aller jusqu’au bout du « changement de modèle économique et social » dont parlent de plus en plus les sachants.
Chez nous comme dans le monde entier, la lutte contre le fascisme est d’abord une lutte contre leur arme la plus vicieuse et la plus pernicieuse : la division des exploités, des opprimés suivant des critères de « races », d’origines, de religions, de cultures. Telle doit être la ligne des Progressistes, en s’unissant au–delà de toutes les frontières étatiques. Cette union peut prendre comme point de départ évident ce que Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, vient de déclarer : les guerres, les changements climatiques, les inégalités, sont pires que jamais.
Munia dans un nouveau déni de justice
Le journaliste afro-américain Mumia Abu Jamal est incarcéré depuis plus de quatre décennies pour un crime dont on ne prouve pas qu’il l‘a commis. Le déni de justice dont il est victime est toujours la règle malgré l’accumulation d’indices et de réelles preuves le disculpant. Sans la mobilisation internationale, Mumia n’avait aucun espoir de sortir de l’enfer carcéral car sa peine à perpétuité exclut la libération conditionnelle. Sa santé justifie pourtant cette mesure immédiate et humaine afin qu’il puisse enfin rejoindre sa famille et bénéficier de soins médicaux appropriés à son état.
Déjà en 2023, la justice de Pennsylvanie refusait tout examen des nouvelles preuves (cachées depuis quatre décennies). Ce fait montrait la partialité et l’inconduite des magistrats ne cherchant qu’à justifier sa condamnation à mort. La défense de Mumia avait interjeté appel contre cette décision qui piétinait le droit le plus élémentaire. Aujourd’hui, par arrêt du 10 septembre 2024, les trois juges (deux Républicains et un Démocrate) de la Cour supérieure de l’État viennent de valider le refus de toute nouvelle audience, prétextant qu’ils n’avaient pas compétence à juger ce qu’ils qualifient « d’irrégularités procédurales ». Alors qu’il s’agit de violations constitutionnelles dans la sélection des jurés et de la suppression de preuves favorables à l’accusé ! Face à ce nouveau déni de justice, les avocats de Mumia ont engagé un recours devant La Cour suprême de Pennsylvanie.