Si la libération de Jacqueline Sauvage fait l’unanimité au sein de la classe politique, qui a salué la décision de François Hollande de lui accorder une grâce totale, mercredi, certains magistrats sont eux en colère. Rappelant que la sexagénaire a été condamnée à dix ans de prison en première instance puis en appel et que la justice a refusé par deux fois de la remettre en liberté, ils dénoncent un choix fait en dépit de multiples décisions de justice. Interrogée par Europe 1, la présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM), Virginie Duval, a ainsi dénoncé une décision « consternante ».
« Ce n’est pas un bon signal ». « On a un président de la République qui remet en cause plusieurs décisions de justice », explique Virginie Duval. « On a deux cours d’assises différentes, avec des jurés populaires qui avaient connaissance de toute l’affaire, de toute la situation, qui ont décidé de prononcer une peine de dix ans d’emprisonnement et puis ensuite on a des magistrats professionnels, avec des avis de psychiatres, d’experts, qui ont décidé de ne pas prononcer de libération conditionnelle », détaille la magistrate. « Là, le Président de la République fait fi de toutes ces décisions. C’est une atteinte totale aux décisions de justice. Ce n’est pas un bon signal pour le fonctionnement de nos institutions. »
La grâce présidentielle s’apparente en droit français à une suppression ou à une réduction de la sanction pénale. La condamnation reste inscrite au casier judiciaire et diffère ainsi de l’amnistie, qui est étymologiquement un « oubli ». La grâce présidentielle est individuelle. Le décret de grâce n’étant pas publié, la liste complète des noms n’est pas nécessairement accessible au public.
Ce pouvoir de suspendre ou de modérer les peines associées à une décision de justice en dernier ressort appartenait sous l’Ancien Régime aux rois de France. C’est un pouvoir régalien, qui en droit français appartient exclusivement au président de la République. Depuis 1958, son fondement juridique est l’article 17 de la Constitution.
Dans les années 1990, les présidents français ont eu coutume d’accorder des grâces collectives le jour de la fête nationale, sous la forme de remises de peines. Les infractions routières, notamment les contraventions pour stationnement, étaient souvent pardonnées lors de cette grâce1. Au fil des années, le champ de cette grâce s’est peu à peu réduit, au gré des affaires qui avaient choqué l’opinion. Critiquée par Nicolas Sarkozy lors de l’élection présidentielle de 2007 où il est élu, la grâce collective est finalement interdite par la réforme constitutionnelle de 2008.
Pratique de la grâce présidentielle
François Mitterrand
François Mitterrand, opposé à la peine de mort, avait promis de commuer en prison à perpétuité les condamnés à mort.
Philippe Maurice, dernier condamné à mort, gracié le 25 mai 1981, quatre jours après l’accession au pouvoir du nouveau Président.
Luc Tangorre, condamné pour viol, reçoit une grâce partielle suite à un procès controversé où de nombreux intellectuels de renom soutiennent son innocence. Trois mois après sa libération, il est arrêté puis condamné dans une nouvelle affaire de viol, conduisant les intellectuels à présenter des excuses publiques pour lui avoir apporté leur soutien. Il ne bénéficie plus alors d’une nouvelle grâce.
Jacques Chirac
Omar Raddad, condamné en 1994 pour meurtre, bénéficia de la grâce présidentielle accordée par Jacques Chirac en 1998.
Maxime Gremetz, député communiste de la Somme, bénéficia d’une grâce individuelle accordé par Jacques Chirac qui lui a permis de retrouver son siège de parlementaire.
José Bové, porte-parole de la Confédération paysanne, vit sa peine réduite en raison de la grâce générale du 14 juillet 2003 et évita la prison à la suite d’une mesure de clémence individuelle, le 16 juillet 2003.
Nicolas Sarkozy
Nicolas Sarkozy avait critiqué la grâce présidentielle : « Si un jour je devais avoir des responsabilités, l’une des premières choses que je ferais, c’est de supprimer le droit de grâce et l’amnistie », juin 2006. Il est à l’origine de la Loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui abolit les grâces collectives qui avaient souvent été utilisées le 14 juillet.
Il gracie pourtant 27 condamnés dans un décret pris le 23 décembre 2008, dont :
Jean-Charles Marchiani, préfet du Var, condamné à 4 ans de prison dans une affaire d’abus de biens sociaux et trafic d’influence.
François Hollande
François Hollande, à l’époque Premier secrétaire du Parti socialiste, avait déclaré : « [il n’est] pas normal, dans une démocratie, que l’un d’entre nous, fût-il élu au suffrage universel, puisse disposer de la possibilité de lever une condamnation »
Élu, il utilise finalement son droit de grâce trois fois en tout.
Philippe El Shennawy, détenu en France avec le plus d’ancienneté toutes prisons confondues, est grâcié par François Hollande. Braqueur ayant purgé sa peine, il avait été remis en prison après avoir violé une interdiction de séjour a Paris.
Jacqueline Sauvage, condamnée à dix ans de prison pour le meurtre de son mari violent, seule personne à avoir été graciée deux fois (en France)4, par le président François Hollande. Une première fois, uniquement quant à la peine de sûreté, afin de permettre une demande de libération conditionnelle5. Celle-ci est toutefois refusée en juillet suivant par le tribunal d’application des peines, en l’absence de prise de conscience individuelle de la gravité de l’acte commis par la coupable6, puis par la cour d’appel de Paris le 24 novembre 2016. Une deuxième fois le 28 décembre 2016, quand François Hollande décide de gracier totalement Jacqueline Sauvage. Il s’écoule deux heures entre la publication du communiqué de la décision par la Présidence, et la sortie effective de prison.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gr%C3%A2ce_(droit_fran%C3%A7ais)