— Par Yves-Léopold Monthieux —
Ainsi donc, une décision essentielle appelée à s’inscrire dans l’histoire martiniquaise sera écrite par la volonté et le pouvoir d’un homme. Après qu’il aura eu le premier mot, le président de la collectivité aura le dernier mot : d’abord, « je suis pour le drapeau rouge-vert-noir », ensuite, « le président du conseil exécutif procédera librement au choix final ». Dès le départ, le président avait dit sa préférence, il a écrit la règle du jeu qui devra l’y conduire et prononcera la sanction finale. Dans plusieurs tribunes j’ai tenté de démontrer combien, en Martinique, le politique tient la main de l’historien. Le choix et le modus operandi du patron de la CTM en est la flagrante illustration.
Le drapeau n’intéresse pas les Martiniquais, dit-on. Il demeure que les Martiniquais l’auront, ce drapeau, avec l’expression de la conscience politique qu’il véhicule : la rupture institutionnelle. Ceux qui se battent pour ce drapeau ne sont pas des malades mentaux. Ils aiment certainement la Martinique autant que chacun d’entre nous. Or dans l’ordre de priorité des urgences martiniquaises, ils placent le drapeau et l’hymne nationaux au premier rang de leurs préoccupations, avant les soucis quotidiens des Martiniquais. Un premier rang, il est vrai, avec plusieurs ex-aequo : un ensemble qui relève du régalien et avance, imperturbable.
Ces promoteurs ne manquent pas d’intelligence et sont dans une démarche, une politique globale qui ne rencontre aucune résistance. De même, les petites phrases de plus en plus fréquentes et qui paraissent incongrues ou idiotes, valent chacune leur pesant de signification politique. La controverse entretenue au sujet du chloredecone s’attarde peu sur la santé des martiniquais, mais plutôt sur comment élargir un fossé qu’aident à élargir le vœu de suppression du préfet et de changement d’adresse du ministère des DOM/TOM, « l’appel de Fort-de-France » qui n’intéresse que …Fort-de-France, la soumission obtenue des télévisions privées, le drapeau national en guise de drapeau régional ou sportif…
Les outrances ou ce qui apparaît comme telles sont prononcées par des hommes trop intelligents et déterminés pour les considérer comme dérisoires. Certes, le drapeau martiniquais n’intéresse pas les Martiniquais, mais les Martiniquais l’auront, avec la conscience politique qu’il porte et qui accompagne chacune des actions visées plus haut. Peu importe que ce soit, ou non, la « conscience politique » de la majorité des Martiniquais. Majorité et minorité, tout se confond en une majorité de fait, celle des élus.
Je suis longtemps acquis à l’idée que, pour plusieurs raisons, dans l’hypothèse de l’indépendance de la Martinique, le drapeau rouge-vert-noir devrait s’imposer, en substitution du drapeau BBR français. Ce n’est pas la situation du moment, mais la fenêtre ouverte par la disparition de l’emblème aux 4 serpents est une opportunité que n’a pas laissé s’échapper la majorité nationaliste de la collectivité de Martinique.
Les élus se sont donné cette majorité et cette dernière fait sa politique. Quoi de plus normal ? Sauf que, les faits précédant le droit, il s’installe en Martinique un système politique fait de toutes les permissivités, auquel on pourrait s’attendre après l’accès à l’indépendance ou l’autonomie. Pour ma part, il convient de reconnaître le talent de ceux qui sont à la tête de cette démarche et qui, après avoir chloroformé le peuple, appliquent aux élus un véritable « baboutjet« , qu’ils supportent avec une aisance déconcertante.
Fort-de-France, le 7 janvier 2023
Yves-Léopold Monthieux