— Par Yves-Léopold Monthieux —
Au moment où l’initiative de la CTM, que j’avais pressentie, est prise de proposer l’adoption d’un drapeau martiniquais, je soumets à une nouvelle lecture la tribune que j’avais publiée le 30 août 2017. Elle a été suivie par deux articles : Un drapeau-emblème régional ou un drapeau national martiniquais (1er juillet 2018) et La fin du roman des 4 serpents (19 octobre 2018).
Je cite :
« Il faudra bien un jour mettre fin à l’hypocrisie qui consiste à rechercher des prétextes pour instaurer un drapeau destiné à représenter la Martinique en tant que nation. C’est cette frustration qui se manifeste lors des rencontres sportives auxquelles la Martinique participe dans la Caraïbe. Certains dirigeants vont jusqu’à attribuer l’échec manifeste de la politique du foot-ball martiniquais au fait que la Martinique ne soit pas une nation et n’ait pas son propre drapeau. Forte de promesses financières juteuses, la demande d’affiliation directe à la FIFA de la ligue martiniquaise procède de cette même aspiration nationaliste.
Derrière de drapeau aux 4 serpents c’est le drapeau français qui est visé.
La grande duplicité consiste à inscrire la quête d’un emblème martiniquais dans un besoin de reconnaissance régionale. Elle consiste à présenter à l’opinion une lecture dépolitisée du sujet qui conduit à faire croire qu’il s’agirait de remplacer un emblème ordinaire par un autre, de signification comparable. En réalité c’est le syndrome du Chatt en sac qui se poursuit. Le drapeau souhaité par les cocardiers martiniquais n’a pas vocation à représenter une région française mais, à terme, un pays souverain. Pour l’instant, il s’agirait d’un étendard à brandir en tête de la marche vers cette souveraineté, comme le « symbole de résistance face à l’oppression coloniale des Français ». L’existence du drapeau du Taekwondo martiniquais montre assez bien que ceux qui n’ont pas d’objectif nationaliste peuvent se donner facilement un emblème permettant de les distinguer à l’étranger. Reste que les molles oppositions au « drapeau de Malsa » sont le fait de citoyens qui ont parfaitement compris que derrière la dénonciation de l’actuel emblème et de ses serpents, c’est le drapeau français qui est visé.
C’est dire qu’en l’état de l’évolution politique martiniquaise, un drapeau national ne peut pas être l’expression, sorti des urnes, d’un besoin irrépressible des citoyens martiniquais de se distinguer du Poitou-Charentes ou de la Corrèze. Ces couleurs ne peuvent pas davantage surgir d’un cénacle animé par le pouvoir local, comme un vulgaire logo publicitaire. On ne trouvera pas sur le drapeau martiniquais l’esquisse d’un colibri ou d’une fleur d’hibiscus. En effet, eu égard aux charges qu’on lui impute, la volonté de supprimer l’emblème aux 4 serpents, surtout de le remplacer, participe du combat anticolonialiste. Dans la même logique, elle se situe au même niveau de signification politique : plus l’emblème colonial sera décrié plus le caractère anticolonialiste du prochain sera affirmé.
Le drapeau martiniquais sera celui des nationalistes – ou ne sera pas.
Or il n’est pas difficile de forcer le trait sur les interprétations négatives de l’emblème, s’il est vrai que dans l’opinion martiniquaise comme dans la littérature ou la politique, le serpent n’a pas bonne presse. Par ailleurs, la présence de ce pavillon sur les bateaux négriers a conduit à une facile association d’idées. En plus de l’apathie d’une population gagnée par le souci de surconsommation, il n’y a pas grand monde pour défendre ce pavillon. On observera que l’emblème fleur de lysé de la Guadeloupe, qui avait le même objectif, s’expose à une moindre critique. Mais n’est-il pas vrai qu’en tous domaines nos deux îles ont entrepris de s’écarter l’une de l’autre ? En tout état de cause, on peut croire que l’avis des Martiniquais comptera peu dans le choix du drapeau qu’on leur destine, lequel sera de toute évidence – ou ne sera pas – l’expression du nationalisme martiniquais. Les dissensions observées entre les obédiences ne sont que pures chamailleries de cour de récréation sur la question de savoir à laquelle d’entre elles en accorder la paternité.
Les couleurs révolutionnaires, noir-rouge-vert, ont été assemblées pour la première fois dans la prison de Fresnes où étaient détenus des jeunes indépendantistes martiniquais ; l’image n’est pas neutre et dénuée de symbole. Elles ont été dessinées sur un bout de papier par Victor Lessort, artisan bijoutier. Il est difficile de croire que le seul militant emprisonné de l’OJAM qui ne fut pas intellectuel se soit inspiré des anecdotes historiques qui sont dévoilées en ce moment sur les ondes.
Mairie de Fort-de-France : « première parcelle libre » de la Martinique.
Deuxième fait historique dont il n’est jamais fait état dans un commentaire politique, le drapeau révolutionnaire est demeuré au moins 24 heures au fronton de l’hôtel de ville de Fort-de-France. C’était dans la foulée de la déclaration de Camille Darsières, au soir du rendez-vous manqué entre le président Giscard d’Estaing et le maire du chef-lieu, Aimé Césaire, en décembre 1974. Il venait de proclamer l’enceinte de l’hôtel de ville comme la première « parcelle libre » du sol martiniquais. Cette proclamation de « Monsieur PPM » n’était guère moins sulfureuse que son invitation aux Européens à faire leurs valises, qui sera lancée du haut de la même tribune quelques années plus tard. Depuis, le drapeau français n’a jamais réapparu sur la maison du peuple. Là encore, les témoins oculaires n’avaient pas manqué, dont des historiens aujourd’hui reconnus.
A cet égard, par son histoire et les mythes qu’il suscite, le « drapeau de Malsa », du nom de celui qui l’a fait connaître aux Martiniquais, a acquis une vraie légitimité. L’ancien maire de Ste Anne ne s’était pas contenté d’enfreindre sciemment la loi en hissant le drapeau noir-vert-rouge au fronton de sa mairie. Il avait donné à son geste une apparence officielle donc provocatrice envers l’Etat, en faisant voter la décision illégale par son conseil municipal. Il avait ensuite refusé d’appliquer le jugement d’annulation du tribunal administratif, puis les arrêts des juges qu’il avait lui-même saisis en appel. L’Etat s’était résigné à faire le dos rond, David avait eu raison de Goliath. Cette étape aurait pu faire jurisprudence. L’adoption d’une telle conduite par une dizaine de municipalités pourrait aboutir à l’instauration de fait du drapeau. Après tout, l’utilisation de l’emblème aux 4 serpents n’a jamais résulté d’une décision officielle.
L’adoubement par Césaire du drapeau noir-vert-rouge de l’OJAM et de Malsa.
Le dernier évènement significatif fut la dernière balade de Césaire dans les rues de sa ville. Porté par des Foyalais, son cercueil était entouré d’un large drapeau noir-vert-rouge. On ne se souvient pas que les Martiniquais se fussent indignés du geste et du symbole. La mise à l’écart des représentants de la France et du drapeau français, lors des cérémonies funéraires ainsi que l’interdiction faite au chef de l’Etat de s’exprimer avait renforcé aussi bien le geste que le symbole. L’évènement qui a pu avoir un air de rupture n’a-t-il pas été, en creux, l’adoubement posthume par Aimé Césaire du drapeau de l’OJAM et de Malsa ?
Fort-de-France, le 30 août 2017
Yves-Léopold Monthieux