— Par Xavier Chevallier, conservateur en chef des bibliothèques —
La guerre 14-18 ou la Grande Guerre fut l’une des plus grandes tragédies de l’histoire. Elle marqua à jamais le 20ème siècle et ses conséquences – bouleversements géopolitiques, démographiques, industriels, économiques, sociaux, culturels, psychologiques – sont encore perceptibles de nos jours. Ce que l’on sait moins, c’est qu’elle permit des progrès prodigieux dans la médecine, en raison des soins qu’il fallait prodiguer aux innombrables blessés. La chirurgie de guerre se spécialisa, devint plus ciblée et efficace dans la prise en charge des patients, notamment celle concernant les graves blessures au crâne, au visage et à la mâchoire. Face à cet afflux considérable et inédit de mutilés faciaux – il y en aura quinze mille rien qu’en France, on les appellera à partir de 1921 les « gueules cassées » – se créera une discipline nouvelle, la chirurgie maxillo-faciale, dont le professeur Morestin (1869-1919) sera l’un des plus brillants représentants.
Chirurgien d’une dextérité légendaire, Hippolyte Morestin s’occupera à Paris pendant plus de quatre ans avec dévouement de ces malheureux soldats aux visages ravagés par les armes modernes et destructrices du premier conflit mondial. Il sera l’ultime recours de ces hommes défigurés, véritables sans-visages aux os brisés et aux chairs déchiquetées par les balles, les grenades et les obus à canon. Retour sur un parcours méconnu et hors norme.
De la Martinique à Paris : l’irrésistible ascension d’un grand médecin
Carte postale de Saint-Pierre avant 1902 – Source Wikipédia
Né le 1er septembre 1869 à Basse-Pointe dans le nord de la Martinique – également lieu de naissance de l’écrivain et homme politique Aimé Césaire -, Hippolyte Morestin est ce que l’on appelle un blanc créole de la Martinique. Son père, Charles Amédée Morestin (1837-1901), est un médecin et chirurgien réputé du nord de l’île. Sa famille, du côté paternel et maternel, possède des terres à Basse-Pointe, au Morne-Rouge et à Saint-Pierre, importante ville portuaire et commerçante, surnommée à l’époque « le petit Paris des Antilles ». Un grand-oncle à Hippolyte, Jean-Pierre Morestin (1793-1852) est chirurgien à Saint-Pierre et en sera même maire par intérim. Le jeune Hippolyte appartient donc à un milieu aisé. Pourtant, rien ne laisse présager un tel destin. Cadet d’une famille de huit enfants, c’est un garçon turbulent, étrange, indiscipliné dont la scolarité est pour le moins paradoxale : intelligent mais caractériel et instable, il n’est guère apprécié des enseignants religieux du séminaire collège de Saint-Pierre.
C’est sans doute la raison pour laquelle son père et sa mère – une demoiselle Berté, famille « béké » dont plusieurs membres exercent dans la magistrature – décident qu’il est temps pour lui de quitter la Martinique. Le départ du jeune Hippolyte pour Paris en 1883 peu avant ses 14 ans sera comme une porte de salut : interne avec son frère ainé Charles au Lycée Louis-le-Grand, ses résultats scolaires sont bien meilleurs, sans être toutefois exceptionnels. Néanmoins il obtient facilement le baccalauréat de lettres en 1885 à 15 ans ( !) puis celui de sciences en 1886.
Son souhait est d’être alors officier dans la Marine, mais il est refusé en raison de sa constitution jugée trop chétive. Il s’inscrit donc presque par défaut, – mais sur les conseils avisés de son père -, à la Faculté de médecine de Paris en 1886. Et c’est la révélation : étudiant aussi doué que travailleur, il trouve dans la médecine une véritable vocation à laquelle il s’adonnera toute sa vie avec brio : externe des hôpitaux en 1887, il est reçu au concours de l’internat des hôpitaux de Paris en 1890 (à 20 ans !) ; puis il est prosecteur en 1892 à la Faculté de médecine c’est-à-dire qu’il prépare les dissections sur les cadavres pour les chargés de cours et démonstrateurs en anatomie ou pathologie. En 1894, à l’âge de 24 ans, il est docteur en médecine avec sa thèse « Des opérations qui se pratiquent par la voie sacrée », qu’il dédie à son père et qui montre son appétence pour la chirurgie. En 1898, il enlève brillamment le concours de chirurgien des hôpitaux de Paris à 28 ans, ce qui en fait le plus jeune chirurgien de Paris et probablement de France. Il réussit l’agrégation de chirurgie en 1904 à trente-quatre ans et devient professeur à la Faculté de médecine de Paris. Mais sa véritable passion est d’opérer, de soigner les malades, parfois au détriment de sa propre santé qu’il néglige, ne s’accordant guère de repos.
Façade de la Faculté de médecine de Paris vers 1890 – Collections Musées de la ville de Paris
Toujours en quête de progresser, c’est un praticien aussi persévérant qu’innovant. En 1899, il est l’initiateur d’une technique d’opération du cancer du plancher de la cavité buccale dite de Morestin. En 1902, dans plusieurs publications, il recommande une position du tronc pour les opérations du cou de façon à ce que le chirurgien, ses assistants et le chloroformisateur soient parfaitement à l’aise et que l’hémorragie ne trouble pas l’intervention par son abondance. Il conçoit également une table d’opération, dite table de Morestin mobile, inclinable et doté d’articulations, facilitant ainsi les interventions sur le cou, le crâne, la face et la bouche ; « cette table nous rend chaque jour de très réels services. Elle peut servir par ailleurs pour toute opération de chirurgie générale ou de gynécologie », explique-t-il. La même année, ayant constaté l’insuffisance des pompes chirurgicales existantes, il conçoit, fait construire et breveter une pompe électrique puissante pour aspirer le sang et la salive des malades lors des opérations. En chirurgie plastique, il est l’initiateur d’un mode d’autoplastie par décollement cutané large sur 15 ou 20 centimètres pour obtenir une réparation de plaies étendues d’origine accidentelle (brûlures) ou autres. Cela lui vaudra de réaliser des opérations spectaculaires sur des visages particulièrement délabrés, qu’il est l’un des rares à pouvoir effectuer car nécessitant une grande habileté manuelle.
Membre de la Société d’anatomie de Paris (dont il est le vice-président en 1898) et de la non moins prestigieuse Société de chirurgie de Paris dont il sera le secrétaire général, il rédige un grand nombre de contributions et de communications à l’occasion des séances de ces sociétés savantes. Participant assidu aux colloques organisés par la Faculté de médecine de Paris, il intervient également au XIIIe Congrès international de médecine lors de l’Exposition universelle internationale de Paris en 1900, puis au XIVe Congrès qui se tient à Madrid en 1903, et à deux congrès de la Société internationale de chirurgie : Bruxelles en 1908 et New-York en 1914. Ainsi en un peu plus de 25 ans de carrière, sa production scientifique bien que dispersée est gigantesque : 634 articles et communications de 1894 à 1919, selon le chirurgien plasticien new-yorkais Blair O. Rogers (1923-2006) qui lui a consacré une biographie en 1982. La quasi totalité de ses écrits porte sur les nombreuses interventions chirurgicales qu’il pratique, ainsi que sur les traitements, techniques opératoires et instruments chirurgicaux qu’il met au point, améliore ou préconise…
Le brillant pionnier de la chirurgie esthétique
Caricature de Morestin (extrait de l’Album du Rictus 1909-1910) – Collection Bibliothèque interuniversitaire de médecine Paris-Descartes
En une douzaine d’années, le timide, renfrogné et surdoué étudiant venu des Antilles est devenu un chirurgien renommé du tout-Paris de la Belle époque, une figure médicale incontournable de la capitale à la forte personnalité, reconnue par ses pairs mais aussi vénérée par une patientèle qui lui est fidèle et ne jure que par lui. Chef de service dans différent hôpitaux de Paris (Saint-Antoine, Maison municipale de Santé, Tenon, Saint-Louis), Morestin opère les cancers de la peau, de la cavité buccale, les abcès du cou, mais aussi les articulations (pieds, mains, pouce, clavicule) ; il soigne avec assurance et dextérité aussi bien les fractures et entorses que les kystes, lupus, nomas, hernies, lipomes, angiomes, sarcomes, n’hésitant pas à s’attaquer aux cas les plus difficiles, voire désespérés. Mais à la différence de ses confrères, il fait preuve d’un souci esthétique hors du commun, cherchant à détériorer le moins possible les régions du corps opérées et apportant un soin méticuleux à reconstruire les parties délabrées, notamment par des greffes de cartilage et de peau quand cela est nécessaire. Il pratique également des opérations à finalité purement esthétique surtout pour des femmes d’un certain âge, quelquefois plus jeunes mais aussi pour des hommes : enlèvement de graisse abdominale, hypertrophie mammaire, redressement des seins, réfection du nez (rhinoplastie), effacement ou atténuation de cicatrices et autres marques disgracieuses, oreilles décollées…
Ainsi avant la guerre, le docteur Morestin n’est pas seulement un chirurgien aguerri mais c’est aussi un brillant précurseur et promoteur de la chirurgie esthétique : il publie plusieurs articles, détaillant les opérations qu’il a effectuées (et réussies). Mais réalisant que beaucoup de ses confrères ne voient pas d’un bon œil ses vues esthétiques avant-gardistes, il finit par rester quelque peu sur sa réserve et communique moins à ce sujet. En effet au début du 20ème siècle, Ils ne sont qu’une poignée de plasticiens dans le monde à exercer dans cette spécialité, qui n’est pas reconnue en tant que telle par la communauté médicale car jugée futile. Ce n’est pas l’avis des nombreux patients qui viennent voir en toute discrétion ces chirurgiens pour améliorer leur apparence physique : les plus connus sont Charles Miller à Chicago, Jacques Joseph à Berlin et Hippolyte Morestin à Paris qui formera quelques-uns de ses internes à ses méthodes et techniques opératoires. Certains de ses élèves – Raymond Passot, Suzanne Noël, Léon Dufourmentel, Maurice Virenque – deviendront de grands pionniers et maîtres de la chirurgie plastique et esthétique, sans oublier Thierry de Martel, important pionnier de la neurochirurgie en France.
Devenu une sommité médicale parisienne, Morestin aura l’occasion de retourner à trois reprises en Martinique où son talent opératoire fera merveille. Venant dans l’île en principe pour se reposer et (re)voir la famille, il est très rapidement sollicité de toutes parts : kystes, appendicites, tumeurs, problèmes articulaires, blessures… On vient le voir pour tout et n’importe quoi et il accepte de soigner les personnes les plus riches comme les plus humbles. Sa réputation fait rapidement le tour de l’île ; il y devient une véritable célébrité, dépassant largement son père en notoriété. On l’invite régulièrement, on lui offre de nombreux cadeaux. Malgré cette immense popularité, -ou peut-être à cause d’elle-, il se sent trop à l’étroit en Martinique où les perspectives d’évolution de carrière sont pour lui inexistantes. Il fait donc sans hésiter le choix de poursuivre ses activités dans la capitale ; Paris est véritablement sa ville d’adoption qu’il ne quitterait pour rien au monde. Mais la nostalgie de la Martinique demeure car il en parle quelquefois à certains confrères…
Une personnalité complexe et un caractère difficile
Hippolyte Morestin avant 1914 (extrait de la Gazette des hôpitaux du 15 février 1919) – Collection Bibliothèque interuniversitaire de santé Paris-Descartes
Tout semble sourire à Morestin dont la réussite professionnelle est éclatante : il exerce un métier qui est pour lui une véritable passion. On pourrait par conséquent penser que notre docteur est un homme épanoui, voire heureux. Il n’en est rien. Morestin a assurément sa part d’ombre, si l’on en juge par son caractère : un surprenant amalgame de grande gentillesse et de courtoisie, presque de timidité, mais aussi de dédain et de mépris, entrecoupé d’explosions de colères aussi brusques qu’incompréhensibles. Malgré ce comportement pour le moins déroutant, quelques personnes – condisciples, collègues, infirmières, élèves – lui trouvent de grandes qualités de cœur et s’attachent à lui. Il est en effet unanimement loué pour son dévouement auprès de ses malades, notamment les plus modestes avec qui il entretient parfois des liens pendant plusieurs années. Connu et reconnu professionnellement, Morestin a beaucoup de relations dans la bonne société parisienne, mais en vérité très peu d’amis. Pourtant certaines personnes l’admirent et la plupart de ses confrères lui vouent un profond respect. Quant aux femmes, nombreuses sont celles – y compris de sa patientèle – qui veulent se donner à lui, l’épouser et avoir des enfants. Mais il n’en a cure : vivre en couple ou fonder une famille n’est pas sa priorité. Seule la chirurgie l’intéresse. Il restera toute sa vie célibataire.
Ainsi Morestin est une personnalité pour le moins complexe et difficile à cerner. Il ne se consacre presqu’exclusivement qu’à son travail – ses seules distractions connues sont des balades à cheval mais aussi des autopsies et expériences sur des cadavres humains et d’animaux -. S’il est l’auteur prolifique de plusieurs centaines d’articles exclusivement médicaux, très peu de ses lettres personnelles, de témoignages indirects de sa famille et d’amis sont parvenus jusqu’à nous. On ne connaît donc pas ses opinions sur les événements de son temps, ses goûts, ses aspirations : il reste en grande partie une énigme sur le plan privé. Il est à souligner que ce caractère ombrageux a dû faire face à plusieurs décès familiaux. D’abord la mort en 1885 à Saint-Pierre en Martinique de sa petite sœur Marie-Marguerite à l’âge de trois ans (Morestin alors âgé de 15 ans se trouve à Paris) ; puis celle de son père en 1901 à Saint-Pierre, vraisemblablement de maladie soudaine dans l’exercice de ses fonctions ; enfin celle de son petit frère Léon (dentiste de profession) dans la capitale en 1912. On sait également que Morestin était parfois très affecté par les décès de ses patient(e)s : ce fut le cas lors de la mort brusque et incompréhensible d’une jeune fille suite à une anesthésie avant de pratiquer sur elle une intervention bénigne ; lui et son assistant, le futur écrivain Georges Duhamel, n’ont pas pu la réanimer malgré tous leurs efforts. Morestin en gardera une peur de l’anesthésie générale et privilégiera autant qu’il le peut les anesthésies locales. Mais surtout, à l’aube de ce nouveau siècle, c’est un événement tragique au retentissement mondial qui va définitivement le marquer : l’éruption de la montagne Pelée du 8 mai 1902 qui détruit la ville de Saint-Pierre et tue près de 30 000 personnes. Morestin, qui vit dans la Ville Lumière depuis près de vingt ans, est stupéfait et effaré par la nouvelle qui fait le tour du monde. Il apprend la mort de nombreux parents, mais aussi la perte de presque tous ses biens familiaux, dont la maison paternelle à Saint-Pierre. Ce sont aussi des souvenirs et des lieux qui l’attachaient à l’île natale qui disparaissent à tout jamais… Son grand ami, le Docteur Henri Bouquet (1867-1943) témoigne : « Morestin est un sombre, un inquiet je crois. En tout cas, il est souvent très désagréable, même pour un vieil ami. Mais il faut le lui pardonner. Le malheureux a perdu dans la catastrophe de la Montagne Pelée, à la Martinique, 21 personnes de sa famille, dont son frère Charles que j’ai beaucoup connu à Paris et qui était un brave garçon tout rond et un peu indolent, lequel avait une superbe situation d’avoué à la Martinique ».
A la lumière de ces événements, on peut comprendre pourquoi Morestin n’est pas une personne joviale mais un homme plutôt froid et taciturne, voire sinistre. En outre, sa santé n’est pas bonne car depuis qu’il est interne des hôpitaux, il a contracté la tuberculose, probablement une forme ganglionnaire. Morestin continuera pourtant à travailler et à soigner les autres sans se ménager lui-même. En 1913 – il est âgé de 43 ans -, il achète une concession au cimetière du Père-Lachaise. A ce moment, nul ne peut imaginer qu’un an plus tard, le spectre de la guerre va s’abattre sur l’Europe et bouleverser la vie de dizaines de millions de personnes dans le monde.
Le valeureux chirurgien des « gueules cassées » de la Grande Guerre
Morestin opérant (sans date) – Collection Union des blessés de la face et de la Tête (UBFT)
Lorsque la guerre éclate en août 1914, Hippolyte Morestin est chef de service ORL à l’hôpital Saint-Louis. C’est alors que commencent à arriver les premiers soldats grièvement blessés au visage. Mais personne ne se doute du cataclysme qui est en marche. Offensives à outrances, guerres de tranchées, bombardements et utilisation d’armes dévastatrices à un niveau jamais atteint, entraînent un raz-de-marée inédit de morts et de blessés, en particulier de soldats défigurés. Quelques semaines après le conflit, le Service de santé des armées se rend compte rapidement qu’il aura grand besoin de chirurgiens formés et spécialisés et qu’il doit se réorganiser dans l’urgence. C’est ainsi qu’en quelques mois se créent dans toute la France une dizaine des services spécialisés dans les blessures de la face, dont celui de l’hôpital militaire du Val-de-Grâce qui est le tout premier centre de chirurgie maxillo-faciale.
Un mois après le début des hostilités, Morestin vient d’avoir 45 ans. Etant donné ses fonctions, son état de santé et son âge, il aurait pu aisément faire en sorte de ne pas être mobilisé et de se contenter de participer à l’effort de guerre dans le civil. Néanmoins il est bel et bien incorporé, probablement à sa demande et par esprit patriotique. Mais ses débuts dans l’Armée sont pour le moins surprenants car il se retrouve simple soldat infirmier. Il est difficile d’expliquer une telle situation : absurdités administratives de l’époque, sous-évaluation et imprévision des besoins en personnel médical, mauvais caractère de Morestin, ignorance ou malveillance de l’agent en charge des affectations ? Toujours est-il que trois mois après son enrôlement, alors que les combats font rage et que le nombre de blessés augmente considérablement, Morestin voit enfin ses compétences de chirurgien utilisées à bon escient : le 28 décembre 1914, officiellement en campagne contre l’Allemagne, il est nommé médecin aide-major de 2ème classe au Val-de-Grâce pour y diriger le service de soins et de prothèses dans la Vème division des blessés de la face. Le 9 mars 1916, il est promu médecin-major de 1ère classe, son plus haut grade.
L’afflux de ces grands blessés – qui se dénomment eux-mêmes « les blessés de la trogne » et que les autres soldats appellent « les baveux » – mobilise dorénavant à temps plein Hippolyte Morestin. C’est principalement à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce mais aussi à l’hôpital Rothschild et à l’hôpital Saint-Louis qu’il se donne sans compter à reconstruire les visages atrocement déchiquetés de centaines, et bientôt de milliers de blessés. Dans une discipline qui n’en est qu’à ses balbutiements – la chirurgie cranio et maxillo-faciale -, le Dr Morestin fait assurément œuvre de pionnier et rapidement de maître incontesté.
Son expérience de chirurgien plastique et esthétique en temps de paix lui est précieuse : il expérimente, reprend et améliore techniques chirurgicales, modes opératoires et protocoles pour redonner un aspect présentable à des blessures considérées comme particulièrement monstrueuses mais qui, si spectaculaires et invalidantes soient-elles, sont rarement mortelles. Dans un contexte de patriotisme exacerbé, de propagande et de censure, où les horreurs de la guerre sont tantôt cachées, tantôt révélées pour dénoncer les exactions de l’ennemi, Morestin, l’homme qui répare les têtes meurtries, les mâchoires fracassées et les faces délabrées, devient l’un des chirurgiens les plus admirés de France. Véritable « chirurgien de l’impossible », il représente un élan et un espoir pour tous ceux qui participent à l’effort de guerre, tout en posant les jalons de la chirurgie réparatrice et esthétique moderne.
Soldat français blessé à la bouche et au menton (1916) – Collection bibliothèque Wellcome, Londres
« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir » […] « J’ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies. » Vingt-cinq ans avant ces mots d’Aimé Césaire dans Cahier d’un retour au pays natal (1939), ce chirurgien venu de Martinique soigne désormais ceux qui n’ont plus d’œil, de nez, de bouche, de visage. Il devient leur porte-voix, l’ultime recours des désespérés, des maudits du conflit, de ceux qu’on ne veut plus voir, véritables damnés de la guerre. Eux-mêmes ne pouvaient plus se regarder en face – on enlevait les miroirs dans les bâtiments hospitaliers où ils étaient admis. Il arrivait d’ailleurs que certains d’entre eux se suicident, ne supportant plus la douleur physique et morale.
Ardent défenseur des transplantations cartilagineuses pour refaire les nez, mâchoires, orbites, crânes et mentons, Morestin inaugure et perfectionne ce qu’il appelle les « autoplasties en jeu de patience », reconstitutions minutieuses et progressives du visage sans apport de tissus étrangers. Il devient également un expert en greffe adipeuse (graisseuse) pour remodeler les chairs (lèvres, joues, pommettes, front) prélevées sur d’autres parties du corps du blessé (front, bras, dos, ventre, fesses). La somme colossale de ses travaux dont il communique les méthodes et les résultats à la Société de chirurgie et à l’Académie de médecine, une personnalité hors du commun – un caractère bien trempé doublé d’un grand dévouement pour ses malades – accroissent sa notoriété qui franchit les frontières et va bien au-delà du milieu médical.
Avec l’aide précieuse de ses équipes de chirurgiens et infirmières dévoués, ce sont quelque 4 000 mutilés de la face à qui il prodiguera des soins durant les quatre années de guerre. Rythme incroyable, épuisant, surhumain qui suscitera l’admiration générale et contribuera à bâtir sa réputation de véritable sauveur et bienfaiteur des « gueules cassées ».
Soldats blessés au visage à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce (1915) – Collection Gallica / Bibliothèque nationale de France
Le « sculpteur de chair humaine » : Morestin glorifié par une presse dithyrambique
Le travail de Morestin, au demeurant ingrat et peu attrayant, n’est pas censé être connu en dehors du périmètre des couloirs des hôpitaux et des cercles des médecins et chirurgiens militaires. Pourtant il ne tarde pas à rencontrer un large écho non seulement auprès de la communauté médicale mais aussi du grand public : revues spécialisées et presse générale rapportent en effet ses opérations réparatrices et reconstructrices qui sont présentées comme de véritables prouesses. C’est ainsi que la notoriété de Morestin, déjà grande à Paris avant la guerre, devient immense. Dans Le Journal des débats politiques et littéraires du dimanche 8 août 1915, un nommé E. Cristini dans son article “Sculpteurs de chair humaine”, au titre révélateur, ne tarit pas d’éloges sur notre chirurgien :
“Venez à l’hôpital Rothschild, m’avait dit un interne de mes amis, et vous verrez les miracles réalisés par les docteurs Morestin et Tuffier. […] Il ne m’a pas été permis de rencontrer ni le docteur Morestin, ni le docteur Tuffier. Ces deux savants, dont la guerre a affirmé le génie opératoire confiné jusqu’alors au traitement réparateur des ravages du lupus et du cancer, sont irréductiblement réfractaires à la réclame. Ils ont horreur de l’interview et des interviewers, et me l’ont fait savoir par un de leurs internes auprès duquel, heureusement, ma curiosité trouva amplement de quoi se documenter. […]
« Avant, me dit ce dernier, avant de vous montrer les blessés dont le docteur Morestin a réparé la figure, voyez ces photographies prises à leur arrivée. Et l’interne me tendit l’image horrible d’un homme à qui il manquait la partie inférieure de la joue gauche, le menton, les lèvres, le nez. »
Cependant, et tandis qu’angoissé je contemplais l’horrifiante photographie, l’interne, d’un signe bref, avait fait approcher de nous un blessé, un convalescent qui se disposait à aller passer son après-midi au cinéma. Voici notre homme, me dit-il. Et, comme je ne comprenais pas, il ajouta souriant et amusé « Et oui, le blessé dont vous tenez la photo, l’homme qui nous est arrivé sans joue, sans mâchoire, sans menton, sans lèvres, sans nez. »
Je me demandais si l’aimable interne ne se payait pas ma tête à moi, car le sujet que j’avais devant mes yeux, encore qu’il portât sur sa figure les traces déjà atténuées de quelques cicatrices, de quelques points de suture, possédait, comme vous et moi, une joue gauche ressemblant à la joue droite, un menton parfaitement intact, des lèvres qui laissaient s’échapper un sourire plaisant, un nez d’une ligne irréprochable. Ce fut le blessé lui-même qui continua, en son langage de poilu : « Parfaitement, c’est moi ; les Boches avaient eu beau m’abîmer le portrait, le docteur leur a fait la nique. Il m’a fabriqué, comme vous le voyez, une g….. très potable. Je crois qu’il m’a même embelli et qu’on me trouvera plus chouette, là-bas au pays, lorsque j’y retournerai après la guerre.”
Soldat français grièvement blessé au bas du visage et au cou soigné par Morestin avant, pendant et après ses opérations (1916-1917) – Collection bibliothèque Wellcome, Londres
L’auteur de l’article n’est pas au bout de ses surprises et ne cache pas son admiration lorsque l’interne lui décrit l’état pitoyable du soldat à son arrivée à l’hôpital et les soins réalisés par Morestin :
« La photographie que voici ne peut vous donner qu’une faible idée de ce qu’était ce pauvre bougre quand on nous l’amena. Sa figure n’était encore qu’une plaie cependant, il respirait, les organes essentiels étaient intacts, et c’était là l’important. Lorsqu’après quelques jours de lavages et de pansements antiseptiques la cicatrisation des effroyables blessures fut à peu près terminée, le docteur Morestin commença son travail de sculpture humaine. La joue absente, il la remplaça par un morceau de la fesse, pris sur le sujet lui-même ; c’est avec la propre chair de ce dernier qu’il lui pétrit les lèvres. C’est avec une fausse côte enlevée également au blessé qu’il burina le nez et la carcasse du menton. La peau du nez, il la chercha sur le front ; celle du menton sur le ventre. Enfin, lorsque le blessé fut à peu près retapé et qu’il fut admis à contempler sa nouvelle physionomie, le docteur lui demanda s’il ne regrettait rien. En bon poilu, l’homme dit simplement : « ma moustache ». – « qu’à cela ne tienne », reprit le docteur, et sans même l’endormir il lui découpa sur le cuir chevelu de la nuque une petite bande qu’il lui greffa sur la lèvre supérieure. – « Je ne vous promets pas, mon garçon, que vous aurez une moustache aussi conquérante que celle que vous avez laissée là-bas dans la tranchée ; mais vous aurez tout de même du poil sur le menton. » Le brave poilu, conclut l’interne, aura sa moustache ; pour le moment, il est vrai, il suit la mode anglaise et se rase… »
A côté de ce véritable miracle dont je viens de vous dire si imparfaitement les étapes, le docteur Morestin en a réalisé d’autres. A l’hôpital Saint-Louis comme à l’hôpital Rothschild, on ne compte plus le nombre de blessés auxquels le merveilleux praticien a refait une partie du visage. Rien qu’à l’hôpital Rothschild, plus de trente convalescents peuvent aujourd’hui arborer fièrement le nez en chair et en os que leur a modelé le docteur Morestin. » Nous pourrons, me disait plaisamment un d’entre eux, faire plus que jamais le pied de nez aux boches ». […]
« Je sais maintenant que les docteurs Morestin et Tuffier ont ajouté à l’histoire de la chirurgie esthétique le plus beau et le plus émouvant des chapitres », conclut avec enthousiasme E. Cristini. Plusieurs autres journaux parisiens dont le Figaro relatent les remarquables succès obtenus par Morestin, notamment ses présentations de soldats blessés à l’Académie de médecine où il est ovationné. La légende du chirurgien prodige est en train de s’écrire…
Son travail de restauration faciale fait également l’objet de plusieurs articles de presse aux Etats-Unis. Sa renommée est-elle que l’on dira qu’Al Capone, le célèbre mafieux américain surnommé « Scarface » (le balafré), aurait voulu se faire soigner par lui. Mais ce n’est peut-être qu’une rumeur car le fameux gangster, à peine âgé de 20 ans quand Morestin meurt, n’évoque jamais le grand chirurgien dans ses mémoires en 1947.
Morestin opérant à l’hôpital Rothschild (date inconnue) – Collection privée Gwénola Balmelle
Les “gueules cassées” présentes à la signature du traité de paix de Versailles
« Quelle pensée touchante de faire participer ces héros à la consécration de la victoire qui a été achetée au prix de leur sang, et quelle tragique éloquence ont, dans ce décor de fête, leurs fronts bandés, leurs yeux éteints, leurs faces rongées ! … » (L’Œuvre, 29 juin 1919). « Ils se tiennent là, debout, témoins de la guerre, accusateurs et justiciers » (Le Petit Journal, même date). Après un peu plus de quatre ans de conflit, la guerre s’achève au grand soulagement général, avec l’Armistice du 11 novembre 1918. L’Europe est dévastée, ruinée ; elle a perdu des millions d’hommes et des millions d’autres sont handicapés et traumatisés pour le restant de leurs jours. La France est marquée à la fois par l’euphorie de la victoire et le deuil pour plusieurs millions de familles, tandis qu’une mystérieuse grippe provoquant fortes fièvres, courbatures, maux de tête et de très graves complications pulmonaires, tue silencieusement depuis plusieurs mois des millions de personnes dans le monde – et plusieurs dizaines de milliers en France. Même si celle que l’on appelle la grippe espagnole suscite l’inquiétude, elle ne semble pas trop marquer les esprits. On ne lui prête guère attention sans doute par manque d’information et de connaissance mais aussi parce que la guerre et ses conséquences sont davantage au cœur des préoccupations. En France, l’heure est désormais à « la Reconstruction ». Quant à Hippolyte Morestin, toujours mobilisé, il continue à soigner environ deux-cents patients au Val-de-Grâce.
Signature du traité de paix de Versailles à la galerie des glaces le 28 juin 1919 – Wikipédia
Alors que les négociations entre les puissances victorieuses (La France, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l’Italie) et l’Allemagne sont en cours, Georges Clémenceau, Président du Conseil, a l’idée de faire venir une délégation de mutilés faciaux pour la signature des futurs accords de paix à Versailles. Les motivations du Père de la Victoire sont sans ambiguïté : ces soldats mutilés seront le moyen symbolique de mettre l’Allemagne vaincue face à ses responsabilités dans cette guerre. Clémenceau, surnommé également Le Tigre, entend aussi rendre hommage à la souffrance et au sacrifice des soldats français. Aussi le gouverneur militaire de Paris demande-t-il à Morestin de choisir parmi ses opérés du Val-de-Grâce, plusieurs blessés de la face qui devront être présents à la cérémonie. Notre chirurgien s’adresse alors à Albert Jugon, l’un de ses plus anciens patients, et lui demande de choisir d’autres frères d’armes pour composer la future délégation. C’est ainsi que le 28 juin 1919, plusieurs soldats soignés par Morestin assisteront dans la Galerie des Glaces du château de Versailles à la signature du traité, mettant officiellement fin à la guerre et censé sceller la paix en Europe pour les décennies à venir… La présence de ceux que l’on n’appelle pas encore les “gueules cassées” à ce moment historique est remarquée. Les quotidiens parisiens s’en font l’écho : ” La délégation française s’avance à son tour. M. Clémenceau, plus jeune d’allure que jamais, commence par serrer la main aux dix-sept mutilés, puis signe d’un vif trait de plume.”, rapporte Le Journal des débats politiques et littéraires du 29 juin 1919.
“ Ces dix-sept mutilés sont français, anglais et américains« , selon le quotidien Le Journal, “ groupés derrière la table de signature, témoins tragiques de l’effroyable responsabilité des auteurs de la guerre …”
L’Excelsior du 29 juin relate aussi ce moment solennel : “ 2 h. 30, M. Clémenceau fait son entrée et, tout de suite, va serrer la main à une douzaine de soldats blessés admis dans la salle, les complimente et les remercie des sacrifices qu’ils ont faits à la patrie”.
Le journal La Lanterne précise : “ Dès 2 h. 15, M. Clemenceau, l’un des premiers, pénètre dans la salle. Dès son entrée, il aperçoit les délégations de mutilés et de blessés alliés qui ont été installées dans les embrasures de fenêtres. M. Clemenceau s’approche, leur tend la main, s’entretient affectueusement avec eux, les interrogeant tour à tour sur l’endroit où ils ont été blessés, sur les combats auxquels ils ont assisté”. Selon certaines sources, il se serait même permis avec eux la plaisanterie suivante : « Vous étiez dans un mauvais coin… Ça se voit ! »
Mais c’est le quotidien le Gaulois politique et littéraire qui est le plus disert, avec de forts accents lyriques et patriotiques : “ une scène brève, émouvante, spontanée, nous rappellera brusquement que la France héroïque, la France de Verdun, de la Marne, la France qui a souffert, qui a vaincu, qui est vengée, est ici. Dix mutilés de la guerre, dix mutilés de la face, témoignages vivants de la férocité Boche, sont venus assister à la signature, sur les instructions de M. Clémenceau. Ils sont là, ces humbles et glorieux poilus, dans leurs capotes de campagne, ornées de la médaille militaire et du ruban barré de palmes et constellé d’étoiles, modestement groupés dans les embrasures des fenêtres ; c’est vers eux que le Tigre se dirigera tout d’abord en entrant dans la salle. Les yeux brillants de joie, la main tendue, il les félicite, les interroge, évoque avec eux les grandes heures d’épreuve, les belles journées de victoire, puis affectueusement, doucement : – Merci, mes enfants, leur dit-il, c’est à vous que nous devons d’être ici aujourd’hui… Ce fut la première minute poignante de la journée.”
En leur montrant le traité de paix, Georges Clémenceau leur dira également : « Vous avez souffert, mais voici votre récompense ! » (Le Figaro, 29 juin 1919) Une photographie prise en studio montrant cinq de ces “gueules cassées”, côte à côte fixant l’objectif, les fera entrer dans la postérité : ils s’appellent Eugène Hébert, Henri Agogué, Pierre Richard, Albert Jugon et André Cavalier, tous anciens patients à Morestin.
Il est à signaler qu’un mutilé facial haut gradé est présent à la cérémonie de signature dont il ne verra rien – et pour cause ! “Mais quel est ce glorieux soldat qui, appuyé aux bras du général Alby, descend avec peine de son auto, les yeux morts, le visage ravagé par une affreuse blessure ? C’est Maunoury, vainqueur de l’Ourcq et sauveur de Paris.” (Le Figaro du 29 juin 1919). “ C’est le général Maunoury, dont le bandeau noir qui couvre la glorieuse cécité arrache aux spectateurs d’ardentes ovations”, indique la Lanterne. Le Gaulois politique et littéraire relate également sa venue remarquée : “arrive un autre de nos grands vainqueurs et l’un des plus glorieux blessés de la guerre : le général Maunoury, aveugle et la mâchoire fracassée. Le général Alby, chef d’état-major général de l’armée, l’aide à descendre et lui donne le bras. Une émotion vive secoue la foule, qui crie : “Vive Maunoury !”
A la sortie de la signature du traité à 15h. 45, Clémenceau est acclamé par de nombreux admirateurs. “Ceux-ci font également, aux mutilés de guerre qui sortent de la Galerie des Glaces, une enthousiaste ovation” (L’Excelsior du 29 juin 1919).
Malheureusement, Hippolyte Morestin ne vivra pas assez longtemps pour assister à cet événement…
Les mutilés de la face au château de Versailles le 28 juin 1919 (à gauche Albert Jugon) – Extrait du documentaire Apocalypse : la paix impossible 1918 -1926
Une disparition prématurée en pleine gloire peu après la fin de la guerre
Hippolyte Morestin décède le 12 février 1919 à son domicile, 1 Square Moncey – dans le 9ème arrondissement -, à peine trois mois après l’Armistice, et un peu plus de quatre mois avant la signature du traité de Versailles. Il n’assistera pas non plus au spectaculaire et mémorable défilé de la Victoire à Paris du 14 juillet 1919. Au moins un million de personne assistent à cette cérémonie à laquelle participent en tête de cortège un millier de mutilés de guerre, la plupart des amputés et sans doute plusieurs “gueules cassées”. Mais Morestin qui fit tant pour les défigurés de guerre n’est plus là. En effet, en cet hiver 1918-1919 marqué par une vague de froid et d’abondantes chutes de neige entre le 18 janvier et le 13 février 1919, notre chirurgien déjà de santé fragile (tuberculeux) et travaillant à la limite de ses forces, est terrassé par une infection respiratoire aigüe causée par le virus de la grippe espagnole qu’il a contracté quelques jours auparavant. Cette terrible pandémie causera entre 1918 et 1920 de 250 000 à 400 000 morts en France (selon les estimations actuelles) et quelque 50 millions de décès dans le monde, soit au moins deux fois plus que la Grande Guerre. La disparition de Morestin est un véritable choc : elle laisse des centaines de soldats en cours de traitement désemparés. Sitôt l’annonce de sa mort, les hommages unanimes et émus de ses confrères se multiplient dans les revues médicales et la presse parisienne : Le Figaro, l’Humanité, Le Temps, l’Excelsior, Le Journal…
Décès de Morestin dans la Presse médicale du 20 février 1919 – Collection bibliothèque interuniversitaire de santé Paris-Descartes
L’Echo de Paris du 13 février 1919 dans sa rubrique nécrologique écrit : “ Le docteur Hippolyte Morestin a succombé hier, dans sa 50ème année à peine, à une pneumonie. Professeur agrégé de la faculté, chirurgien de l’hôpital Saint-Louis et de l’hôpital du Val-de-Grâce, le docteur Morestin était un des maîtres les plus éminents de la chirurgie moderne et qui a contribué au premier chef aux progrès de la chirurgie réparatrice de la face. Il disparaît prématurément, relativement jeune et avant que d’avoir pu transmettre les résultats de ses recherches et de son expérience.”
A ses obsèques qui ont lieu le samedi 15 février, un immense cortège composé de personnel soignant et de nombreux soldats défigurés, – dont certains en pleurs –, l’accompagne de la chapelle du Val-de-Grâce dans un silence impressionnant jusqu’au cimetière du Père-Lachaise où a lieu l’inhumation. Une légende venait de s’éteindre ; les « gueules cassées » avaient perdu leur mentor.
Accablés par la disparition de Morestin, trois de ses patients, le colonel Yves Picot, Bienaimé Jourdain et Albert Jugon – qui était présent au traité de Versailles -, auront l’idée de créer en 1921 l’Union des Blessés de la Face et de la Tête (l’UBFT), « les gueules cassées », association d’entraide et de secours à ces mutilés de guerre. Afin de financer les soins et l’hébergement de ces anciens soldats qui se retrouvent souvent isolés et rejetés par la société, parfois par leur famille, et sans moyen de subsistance, nos trois amis organisent une tombola qui aura un tel succès qu’elle sera à l’origine de la création de la Loterie nationale, actuelle Française des jeux. L’UBFT, qui célèbre ses 100 ans d’existence en 2021, continue à œuvrer de nous jours dans des opérations de financement de recherche et de matériel médical, mais aussi dans des actions de solidarité envers les victimes de guerre et les blessés du visage, tout en entretenant le devoir de mémoire.
Ainsi s’achève le destin hors du commun du docteur Hippolyte Morestin, l’un des plus fameux chirurgiens français de la Belle Epoque et probablement du 20ème siècle. Au cœur de la tragédie sans précédent qu’a été la guerre 14-18, il s’est employé avec abnégation à redonner un visage à des personnes qui n’en avaient pour ainsi dire plus. Chirurgien d’exception, adulé de son vivant mais oublié après sa disparition, il n’aura guère eu le temps de profiter des premiers temps de paix ni de réaliser l’influence considérable qu’il exercera dans le monde médical, en particulier dans le domaine de la chirurgie plastique. Il laissera pour beaucoup le souvenir d’un médecin à la forte personnalité, qui consacra toute son énergie, sa science et son savoir-faire à redonner de l’espoir à ceux que la guerre avait mis au banc de l’humanité, posant ainsi les bases de la chirurgie esthétique moderne. Cette dernière connaîtra un essor prodigieux à partir de l’entre-deux-guerres jusqu’à nos jours. Mais ceci est une autre histoire…
Xavier Chevallier, conservateur en chef des bibliothèques
Buste de Morestin à Basse-Pointe : sculpture de Sébastien Langloÿs – Photo Marie-Agnès Suivant (2019)
Sincères remerciements aux personnes et institutions suivantes :
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M. Jean-François VINCENT, conservateur général des bibliothèques, directeur de la bibliothèque interuniversitaire de médecine Paris-Descartes
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M. Jérôme VAN WIJLAND, conservateur en chef des bibliothèques, directeur de la bibliothèque de l’Académie nationale de médecine de France
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Bibliothèque numérique Gallica, Bibliothèque nationale de France (BnF)
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Bibliothèque Wellcome, Londres
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Archives municipales de la ville de Paris
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Dr André EDOUARD, président de la Société martiniquaise d’histoire de la médecine (SMHM)
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Dr Eddy BRAFINE, ORL, vice-président de la Société martiniquaise d’histoire de la médecine
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M. Frantz VENTURA, ancien directeur du CHU de Martinique et Secrétaire de la Société martiniquaise d’histoire de la médecine
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Mme Gwénola BALMELLE, cinéaste, arrière-arrière- petite-nièce d’Hippolyte Morestin
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Professeur Yves CATONNE, chirurgien orthopédique, professeur des universités
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Dr Xavier RIAUD, chirurgien-dentiste et docteur en épistémologie, histoire des sciences et des techniques
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Docteur Bruno BOUTROUX, médecin généraliste à Autun
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M. Xavier TABBAGH, commissaire de 1ère classe, ancien conservateur du musée du Service de Santé des Armées du Val-de-Grâce
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Mme Michèle PERRISERE, conservateur en chef du patrimoine, responsable du musée du Service de Santé des Armées du Val-de-Grâce
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Général Humbert BOISSEAUX, médecin chef des services hors classe, ancien directeur de l’Ecole du Val-de-Grâce
- Lieutenant-colonel Vincent ARBARETIER, chef du département histoire et symbolique au Service historique de la Défense du château de Vincennes
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Major Jean-Charles SIGNORINO, gestion et politique du patrimoine, département histoire et symbolique au Service historique de la Défense du château de Vincennes
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Mme Martine LECUYER, ancienne conservatrice du cimetière du Père-Lachaise
- M. Olivier ROUSSEL, directeur général de l’Union des blessés de la face et de la tête (UBFT, « les gueules cassées ») et Mme Anne DOUTREMEPUICH, adjointe au directeur et chargée de communication à l’UBFT
- Mme Hélène SERVANT, conservatrice générale du patrimoine à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)
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Médecin en chef Pierre HAEN, chirurgien maxillo-facial à l’hôpital d’instruction des Armées Laveran
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Mme Marie-Thérèse CASIMIRIUS, maire de Basse-Pointe
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Mme Marie-Pierre BARANI, maire de Châbons
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M. Joseph MORESTIN-CADET, ancien commandant des sapeurs-pompiers de Châbons, arrière-petit-cousin d’Hippolyte Morestin
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MM. Thomas WAROQUIER (Paris), Hervé LAPLACE (Toulouse) et Sébastien LANGLOYS (Toulouse), artistes plasticiens
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Paul CHARLERY, ancien notaire, qui me fit découvrir Hippolyte Morestin en 2004.
Timbres à l’effigie de Morestin édités en 2020 par la Société martiniquaise d’histoire de la médecine et Fila-Poste