Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole »…

..un outil d’apprentissage de haute qualité scientifique pour l’École haïtienne

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

Les élèves haïtiens, les enseignants, les directeurs d’écoles, les associations de parents d’élèves, les rédacteurs et éditeurs de manuels scolaires auront à leur disposition, dans un proche avenir il faut le souhaiter, l’un des meilleurs ouvrages produits par la lexicographie haïtienne depuis 1958 : il s’agit du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole ». Il a été élaboré en Haïti, il y a quelques années, par une équipe rédactionnelle dirigée par feu André Vilaire Chery et il a bénéficié de l’expertise des lexicographes oeuvrant au Creole Institute (Indiana University) sous la direction scientifique du linguiste-lexicographe Albert Valdman. La parution dans un proche avenir aux éditions ÉDITHA de cet outil d’apprentissage de haute qualité scientifique sera d’un apport considérable pour l’École haïtienne qui ne dispose toujours pas –quarante-cinq ans après le lancement de la réforme Bernard–, d’un dictionnaire bidirectionnel français-créole/créole-français et d’un dictionnaire unilingue créole élaborés selon la méthodologie de la lexicographie professionnelle.

Pourtant la lexicographie haïtienne, sur ses versants français et créole, a su produire au fil des ans des outils lexicographiques de grande qualité comme nous l’avons mis en lumière par l’analyse de plusieurs ouvrages lexicographiques (voir nos articles « Le ‘’Dictionnaire de l’écolier haïtien’’, un modèle de rigueur pour la lexicographie en Haïti », Le National, 31 août 2022, et « Lexicographie créole : revisiter le « Petit lexique créole haïtien utilisé dans le domaine de l’électricité » d’Henry Tourneux », Médiapart, 6 mars 2022). La parution entre 1958 et 2023 d’une dizaine d’ouvrages lexicographiques créoles de grande qualité atteste deux réalités dont il faut prendre toute la mesure. D’une part il existe en Haïti et en dehors d’Haïti des lexicographes compétents et, d’autre part, la lexicographie haïtienne s’est ancrée sur le socle de la méthodologie de la lexicographie professionnelle dès les travaux pionniers de Pradel Pompilus en 1958.

Ainsi, en ce qui a trait au lexique créole du linguiste Henry Tourneux, il est utile de rappeler qu’il a été élaboré en réponse à une demande de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti. Il a été rédigé à partir d’enquêtes de terrain réalisées dans la région de Saint-Marc en Haïti et il est paru en France dans les Cahiers du LACITO/1/CNRS, en juin 1986. Élaboré par le lexicographe André Vilaire Chery et son équipe et paru initialement chez Hachette-Deschamps/ÉDITHA en 1996, le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » figure depuis sa parution parmi les ouvrages de référence de nombre d’enseignants haïtiens en raison de ses grandes qualités lexicographiques. Nous en avons fait une présentation analytique détaillée dans l’article « Le ‘’Dictionnaire de l’écolier haïtien’’, un modèle de rigueur pour la lexicographie en Haïti » (Le National, 31 août 2022). Pour mémoire, il y a lieu de rappeler que le lexicographe André Vilaire Chery, ancien enseignant de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti, est l’auteur du remarquable « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti » (tomes 1 et 2, parus en 2000 et 2002 chez Édutex avec le concours du Bureau caraïbe de l’Agence universitaire de la Francophonie et de la FOKAL). Cet ouvrage a lui aussi fait l’objet d’un compte-rendu analytique publié en Haïti et en outremer (voir l’article « Le « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti » d’André Vilaire Chéry, un riche héritage », par Robert Berrouët-Oriol, Le National, 29 juillet 2022).

Le présent article fournit au lecteur, d’une part, une présentation analytique du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » et, d’autre part, il met en lumière le rôle des dictionnaires scolaires dans l’apprentissage conjoint de la langue (apprentissage du vocabulaire, de l’orthographe, de l’écriture et de la lecture) et de celui des savoirs et des connaissances en milieu scolaire. L’article se termine par une présentation générale de l’histoire des dictionnaires de langue en Occident, manière de montrer au lecteur haïtien que le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » se rattache à une grande tradition dictionnairique et à son histoire.

Histoire et rôle des dictionnaires scolaires

Le linguiste-terminologue Jean-Claude Boulanger nous fournit, dans un article à large spectre analytique, des repères de premier plan sur l’histoire des dictionnaires scolaires. Ainsi, « Les dictionnaires scolaires revendiquent de très lointaines origines. Ils sont étroitement liés à l’invention de l’écriture. Des recherches récentes les font remonter au IVe-IIIe millénaire avant J.-C. alors que les scribes mésopotamiens établissaient des listes lexicales tabulaires destinées à l’enseignement dans les eduba, c’est-à-dire dans les écoles où l’on formait les futurs scribes. La confection de ces catalogues de mots sur des supports d’argile avait déjà pour premier objectif de venir appuyer l’apprentissage de l’écriture et la connaissance de la langue. C’étaient des relevés de noms communs, de noms propres (proprionymes), de synonymes, de parties de mots, etc., tous éléments de base dans un cheminement scolaire. Pour apprendre l’écriture cunéiforme, les jeunes élèves recopiaient ces listes sur d’autres tablettes. Et on a retrouvé un nombre impressionnant de ces cahiers de devoirs en argile. Dans l’Europe du Moyen-Âge, on trouvera également des dictionnaires destinés à combler des besoins d’apprentissage non pas de la langue maternelle et quotidienne, mais du latin, la langue de l’intellect, de la religion et du pouvoir. Il faudra attendre la Renaissance pour que la production d’ouvrages sur le français prenne le pas sur les dictionnaires du latin et sur les glossaires bilingues. Il faudra patienter encore plus longtemps pour que le dictionnaire scolaire devienne un genre détaché. Les dictionnaires « portatifs » des siècles postérieurs à la Renaissance, notamment ceux du XVIIIe siècle, ne doivent pas être confondus avec les petits dictionnaires pour enfants ni avec les compilations élémentaires du XIXesiècle ayant le même gabarit. Les portatifs sont surtout des abrégés et des réductions de répertoires plus volumineux et plus grands que l’on pouvait transporter plus aisément. Ils répondent à des besoins de démocratisation du livre. Leurs prix baissent et leur maniabilité s’accroît. Le livre peut devenir accessible à un plus grand nombre de personnes. Un dictionnaire portatif n’est donc pas nécessairement un recueil de mots élaboré pour des élèves et à des fins pédagogiques. Ce n’est qu’accessoirement qu’il aura une vocation scolaire. Après 1820, les portatifs du type abrégé semblent en désaffection ». (…) « La science et l’industrie modernes du dictionnaire scolaire démarrent vraiment, en France, au milieu du XIXesiècle ». (…) La lexicographie scolaire se faufile en effet entre le grand dictionnaire philologique, culturel et conservateur d’Émile Littré et l’immense œuvre encyclopédique moderniste de Pierre Larousse lui-même ». (…) « Lorsque l’on évoque les dictionnaires pour l’école, trois idées surgissent à l’esprit : celle du « dictionnaire scolaire », celle du « dictionnaire pour enfants » et celle du « dictionnaire d’apprentissage ». « (…) Toutes ces idées sont en outre faussement placées dans un système d’opposition avec les dictionnaires généraux culturels pour adultes, alors que ces rapports sont plutôt de l’ordre de la gradation, de la hiérarchisation. « De manière générale, le dictionnaire pour enfants se définit contrastivement par rapport au dictionnaire pour adultes. » La subordination des premiers aux seconds ne rend pas justice au genre du dictionnaire scolaire, qui est loin d’être un genre secondaire ». « (…) Le dictionnaire scolaire est un ouvrage général monolingue —il existe aussi quelques bilingues— et monovolumaire conçu pour son utilisation dans l’enseignement primaire et secondaire. Le terme peut avoir un sens plus élargi, car, d’une part, on peut en étendre l’acception du côté de l’école maternelle et, d’autre part, du côté du début de la formation post-secondaire ou collégiale. On peut dire que ce type de répertoire couvre une fourchette d’âge qui s’étend de 5/6 ans jusqu’à 15/16 ans. Le Larousse mini débutants [LMiD] et le Robert scolaire [RS] sont des exemples applicables aux deux extrémités de cet empan. Le LMiD est identifié comme « le premier vrai dictionnaire[7] », l’adjectif premier étant entendu dans le sens chronologique par rapport aux étapes de la scolarisation des enfants. Son public cible est celui des jeunes enfants de 5/6 ans. Le RS s’adresse à des adolescents de 12 à 16 ans, c’est-à-dire aux élèves de tout le cycle du secondaire ». « (…) Le dictionnaire scolaire a une fonction avant tout d’ordre descriptif, la description étant le plus souvent renforcée par l’iconographie dont la présence est plus sensible dans les ouvrages à petite nomenclature. Les 1 065 mots de Mon Larousse en images [MLL] sont accompagnés de 887 tableaux et dessins. Le LMiD propose 500 illustrations pour un volume de 5 400 entrées. Son concurrent le Robert benjamin [RB] revendique une nomenclature de 6 000 mots et de 640 illustrations. Dans son édition de 1999, le Dictionnaire CEC jeunesse [DCECJ] répertorie 20 000 mots tandis qu’il n’offre que 250 illustrations. De fait, la quantité d’illustrations est inversement proportionnelle à la quantité de mots vedettes : plus la nomenclature croît, plus le nombre d’illustrations diminue. Le RS reste fidèle à la politique éditoriale des dictionnaires de langue du Robert qui ne proposent jamais d’iconostructure, sauf dans le Robert junior illustré [RJI], le Petit Robert des enfants [PRE]/Robert des jeunes [RJ] et dans le RB. À titre d’exemple, le nombre d’illustrations du RJI s’élève à 1 000, auxquelles s’ajoutent 35 planches thématiques ».

« Le dictionnaire scolaire a pour objectifs de sensibiliser les jeunes au vocabulaire et de les mettre à l’aise avec les mots. Il consigne le lexique vivant, dont une partie est déjà connue de la majorité des élèves, soit de manière active, parce que les jeunes locuteurs doivent s’exprimer, soit de manière passive, parce qu’ils doivent écouter et comprendre les autres ». « (…) Le terme dictionnaire scolaire est synonyme de dictionnaire pédagogique, ce dernier étant d’un emploi plus restreint dans la terminologie française » (source : Jean-Claude Boulanger, « Du côté de la petite histoire des dictionnaires scolaires modernes » paru dans « Aspects diachroniques du vocabulaire », par Danielle Candel et François Gaudin, Éditions des Universités de Rouen et du Havre, 2006. Pour une connaissance élargie de l’histoire des dictionnaires dénommés dictionnaires pédagogiques ou scolaires ou d’apprentissage, voir Chantal Lambrechts, « La conception éditoriale d’un dictionnaire pédagogique », Presses de l’Université de Montréal, 2005. Pour se familiariser avec la méthodologie d’élaboration des dictionnaires pour enfants apparus au début des années 1950, voir Micaela Rossi (Università degli Studi di Genova, Italia), « Dictionnaires pour enfants en langue française / L’accès au sens lexical ». Dans cette magistrale thèse de doctorat soutenue en 2001, l’auteure retrace l’histoire des dictionnaires pour enfants, elle analyse « la structure d’un dictionnaire scolaire », « la présentation et organisation de la nomenclature », « les pratiques définitionnelles dans les dictionnaires pour enfants », etc. De la même auteure, voir aussi l’article « Dictionnaires pour enfants et accès au sens lexical – Pour une réflexion métalexicologique » (euralex.org, 2004). Pour une approche plus ample des dictionnaires généralistes et des dictionnaires scolaires d’apprentissage, voir Jean Pruvost : « Les dictionnaires d’apprentissage monolingues de la langue française (1856-1999) -Problèmes et méthodes » (Les Dictionnaires de langue française. Dictionnaire d’apprentissage, dictionnaires spécialisés de la langue, dictionnaires de spécialité. Études de lexicologie, lexicographie et dictionnairique) – 4, Paris, Honoré Champion, collection « Bibliothèque de l’Institut de linguistique française », 2001 ; Jean Pruvost, « Les dictionnaires d’apprentissage du français langue maternelle : deux siècles de maturation et quelques paramètres distinctifs », Éla, Revue de didactologie des langues-culture, vocabulaires et dictionnaires en français langue maternelle et en français langue étrangère, 1999 / 116 ; Jean Pruvost, « Les dictionnaires d’apprentissage monolingues du français langue maternelle : l’histoire d’une métamorphose,
du sous-produit à l’heureux pragmatisme en passant par l’heuristique
 
», Euralex 2002 Proceedings ; Josette Rey-Debove : « Dictionnaires d’apprentissage : que dire aux enfants ? », Lexiques, Paris, Hachette, collection « Recherches et applications », 1989 ; René Lagane : « Les dictionnaires scolaires : enseignement de la langue maternelle », nan Franz Josef Hausmann, Oskar Reichmann, Herbert Emst Wiegand et Ladislav Zgusta (dir.), Dictionnaires. Encyclopédie internationale de lexicographie, II, Berlin/New York, Walter de Gruyter, 1990.)

Bref survol de la genèse du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole »

En dépit de ses difficultés structurelles et du faible pouvoir d’achat des familles haïtiennes, le marché du livre scolaire haïtien a évolué au cours des dernières années. Ses besoins se sont diversifiés et la demande d’outils lexicographiques (dictionnaires et lexiques) s’est précisée alors même que l’on observait l’arrivée de nouveaux éditeurs de manuels scolaires dans l’écosystème éducatif national.

Traditionnellement, les dictionnaires en usage dans le système éducatif haïtien (Le Larousse, Le Robert, Le Hachette) étaient importés de France et, tel que mentionné précédemment, au début des années 1990 il n’existait toujours pas en Haïti de dictionnaire bilingue bidirectionnel français-créole/créole-français ou unilingue créole élaboré selon la méthodologie de la lexicographie professionnelle. À cette époque, pour répondre à la nécessité de fournir aux élèves et aux enseignants haïtiens un outil lexicographique de qualité à prix abordable et destiné à supporter adéquatement l’apprentissage scolaire, les Éditions haïtiennes ÉDITHA, filiale de la Maison Henri Deschamps, ont entrepris l’élaboration d’un dictionnaire bidirectionnel français-créole/créole-français. Une équipe rédactionnelle a été mise sur pied aux Éditions haïtiennes ÉDITHA avec pour mandat d’élaborer, sous la direction du lexicographe André Vilaire Chery, le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole ». Aux Éditions Henri Deschamps/ÉDITHA, André Vilaire Chery avait auparavant dirigé les travaux ayant conduit à l’édition en 1996 du « Dictionnaire de l’écolier haïtien ». Ce dictionnaire a été réalisé avec la collaboration de cinq auteurs et il a bénéficié de la contribution d’une équipe de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti sous la direction du linguiste Pierre Vernet.

Fruit d’une inédite collaboration entre l’équipe dirigée par André Vilaire Chery aux Éditions haïtiennes ÉDITHA et celle d’Albert Valdman du Creole Institute (Indiana University), la rédaction du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » a été menée à terme en 2016 mais cette œuvre, innovante et originale dans le domaine de la dictionnairique français-créole, n’a pas encore été publiée en Haïti. Il faut prendre toute la mesure que plus de 2 millions d’écoliers haïtiens ne disposent toujours pas d’un dictionnaire bidirectionnel français-créole de qualité alors même que la Constitution de 1987 a consacré la co-officialité du créole et du français et que l’un des acquis de la réforme Bernard de 1979 demeure l’introduction du créole dans le dispositif didactique des écoles du pays.

Sur le plan de l’infrastructure rédactionnelle, il y a lieu de préciser que le maillage institutionnel entre l’éditeur, ÉDITHA, et la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti constitue à notre connaissance –dans le processus de fabrication du « Dictionnaire de l’écolier haïtien »–, une première et sans doute l’unique exemple dans la lexicographie haïtienne contemporaine (sur ses versants créole et français) où l’expertise d’une institution linguistique nationale a été mise à contribution par un éditeur du secteur privé disposant de sa propre équipe de rédaction. Parmi les 64 dictionnaires et 11 lexiques que nous avons répertoriés dans notre « Essai de typologie de la lexicographie créole de 1958 à 2022 » (Le National, 21 juillet 2022), seuls cinq ouvrages ont été élaborés dans un cadre institutionnel national, celui du Centre de linguistique appliquée qui deviendra plus tard la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti. Il s’agit du « Ti diksyonè kreyòl-franse » d’Henry Tourneux et Pierre Vernet (Éditions caraïbes, 1976), de « Éléments de lexicographie bilingue : lexique créole-français » d’Ernst Mirville (Biltin Institi lingistik apliké, 1979), du « Petit lexique créole haïtien utilisé dans le domaine de l’électricité » de Henry Tourneux (CNRS/Cahiers du Lacito, 1986), du « Dictionnaire préliminaire des fréquences de la langue créole haïtienne / Diksyonè lanvè lang kreyòl ayisyen » de Pierre Vernet et B. C. Freeman (Sant lengwistik aplike, Inivèsite Leta Ayiti), et du « Leksik elektwomekanik kreyòl, franse, angle, espayòl » de Pierre Vernet et H. Tourneux (dir.) publié sous le label Fakilte lengwistik aplike, Inivèsite Leta Ayiti en 2001.

Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole », un véritable dictionnaire scolaire bidirectionnel

Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » a été conçu pour répondre adéquatement à des besoins d’apprentissage réels, à la fois comme outil de référence et instrument d’apprentissage actif des savoirs et des connaissances dans la langue maternelle et dans la langue seconde des apprenants. Ce dictionnaire scolaire est donc le premier outil lexicographique du genre à avoir été conçu pour répondre aux besoins spécifiques de l’École haïtienne. Il possède tous les attributs de la dictionnairique moderne, ses rubriques lexicographiques, conçues selon un modèle unique comme nous l’exemplifions plus bas dans le présent article, sont concises et elles se consultent aisément.

La « Préface » du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » que nous reproduisons ici indique, sur des registres liés, que cet ouvrage a été élaboré en conformité avec la méthodologie de la lexicographie professionnelle. RAPPEL – Le socle conceptuel de la méthodologie de la lexicographie professionnelle comprend les séquences suivantes : (1) l’identification de l’ouvrage et de ses auteurs, le nom de l’éditeur et la date de publication ; (2) le projet éditorial, les destinataires visés et l’identification de la méthodologie d’élaboration du dictionnaire ; (3) l’établissement du corpus dictionnairique ; (4) la confection de la nomenclature et le nombre de termes retenus au terme de l’étude du corpus dictionnairique ; (5) le traitement des données lexicographiques présentées à la suite des « mots-vedettes » (les entrées classées en ordre alphabétique dans les rubriques, à savoir les définitions, les contextes définitoires et les notes illustratives). Le lecteur du présent

Le lecteur du présent article trouvera dans la « Préface » du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » des informations de première main sur la méthodologie d’élaboration de ce dictionnaire scolaire. Cette « Préface » s’énonce comme suit :

« Au terme de longues années de travail, les Éditions haïtiennes ÉDITHA sont heureuses de mettre à la disposition du public scolaire haïtien le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole ». Cet ouvrage de référence est destiné plus spécialement aux élèves des 2e et 3e cycles de l’École fondamentale. Il peut toutefois être consulté avec profit et plaisir par toute personne (élève ou non) s’intéressant aux lexiques (vocabulaires) respectifs de nos deux langues nationales. La fonction principale d’un dictionnaire bilingue (ou de traduction) est d’indiquer les équivalences des mots et des expressions entre deux langues différentes mises en rapport (ici : le créole et le français).

Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » se compose de deux parties, distinctes mais complémentaires. La première partie, kreyòl-fransè, traduit du créole vers le français. La seconde, français-créole, traduit du français vers le créole.

Le texte de la « Préface » mentionne explicitement que l’ouvrage procure « Une aide à la compréhension et à la production écrites » et il fournit un éclairage adéquat sur la méthodologie d’élaboration ainsi que le modèle de traitement de l’information lexicographique. Ainsi, « Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » fournira à l’élève une aide appréciable, tant en compréhension écrite qu’en production écrite. C’est un fait que l’élève haïtien utilise couramment deux langues à l’école : le créole (sa langue maternelle) et le français (l’autre langue nationale). Ces deux langues sont en perpétuel dialogue en salle de classe, et l’une vient régulièrement au secours de l’autre, et vice versa. Ainsi, le jeune apprenant haïtien pourra consulter utilement son dictionnaire pour trouver l’équivalent ou le sens qui lui fait défaut dans l’autre langue, que ce soit en lecture ou en production écrite (construire des phrases, rédiger un texte…). Chaque mot est traduit par un équivalent ou, selon le cas, par plusieurs, plus ou moins synonymes entre eux. Le dictionnaire offrira ainsi à l’élève une belle opportunité d’enrichir son vocabulaire et d’accroître ses capacités d’expression et de communication. Plus largement, la mise en service du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » servira efficacement de relais vers l’atteinte de l’objectif de « bilinguisme équilibré » préconisé par les programmes du ministère de l’Éducation nationale. Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » est, de ce fait, un irremplaçable outil de communication entre le créole et le français, et vice versa ; une vraie passerelle entre les deux langues. Pour des raisons faciles à comprendre, la partie créole-français a reçu cependant de plus amples développements que la partie français-créole (744 pages contre 420). Ce qui ne nuit cependant nullement à la « fermeture » du dictionnaire : chaque terme développé dans l’une des parties se retrouve dans l’autre. Près de 80 % environ des mots du créole haïtien sont issus du français. Si ce fait constitue, à coup sûr, un facteur d’appui pour l’élève, il peut aussi se révéler source d’erreurs, car souvent le mot, s’il a plus ou moins la même forme, n’a pas le même sens dans les deux langues. Par exemple : « derape » (kreyòl) n’est pas l’équivalent de « déraper » (français) ; « pilon » (kreyòl) ne se traduit pas par « pilon » en français. Ce dernier mot existe bien en français, mais avec un sens différent du créole. C’est pourquoi nous avons accordé dans l’ouvrage une grande attention aux aspects « différentiels » existant entre les deux lexiques. Dans cette même optique, nous avons fait une large place aux locutions figurées et expressions idiomatiques, lesquelles ne se traduisent pas mot pour mot d’une langue à l’autre et ne correspondent pas à une addition de la traduction particulière de chaque mot en particulier.

Ci-dessous quelques exemples :

depuis belle lurette depi iks tan, depi dikdantan

avoir la langue bien pendue gen bouch alèlè

montrer quelqu’un du doigt lonje dwèt jouda [li] sou yon moun

ne savoir ni lire ni écrire pa konn g a ga nan fèy malanga

Pour une meilleure compréhension, les mots du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » sont souvent illustrés d’exemples, suivis de leur traduction dans l’autre langue. Les exemples peuvent être soit des phrases complètes, soit des groupes de mots. Les verbes et les adjectifs figurent parmi les catégories grammaticales qui sont toujours illustrées. Les noms, eux, le sont seulement quand ils ont dans l’autre langue plusieurs sens ou équivalents différents. Les exemples remplissent alors une fonction distinctive. Ci-dessous un exemple :

observation n.f. 1 obsèvasyon L’observation de la nature. Obsèvasyon lanati. 2 obsèvasyon, remak Le professeur a fait ses observations dans la marge des devoirs. Mèt la mete remak li yo nan maj devwa yo. 3 obsèvasyon, respè, aplikasyon Le directeur a beaucoup insisté sur l’observation des consignes de sécurité. Direktè a mete aksan anpil sou respè konsiy sekirite yo.

Nous adressons nos plus chaleureux remerciements au professeur Albert Valdman d’Indiana University, qui a bien voulu mettre à notre disposition les données informatiques du « Haitian Creole-English Bilingual Dictionary ». C’est de cette base de données que nous avons tiré, pour l’essentiel, la nomenclature (c’est-à-dire la liste de mots) de notre propre dictionnaire. (…) ». (L’Éditeur)

Les critères méthodologiques que nous avons précédemment énumérés ont été rigoureusement mis en application par les rédacteurs du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » aux Éditions ÉDITHA. En effet, la « Préface » de cet ouvrage expose que les deux premiers critères ont été mis en application : (1) l’identification de l’ouvrage et de ses auteurs, le nom de l’éditeur et la date de publication ; (2) le projet éditorial, les destinataires visés et l’identification de la méthodologie d’élaboration du dictionnaire. Il s’agit d’un dictionnaire scolaire bilingue bidirectionnel kreyòl-fransè français-créole « destiné plus spécialement aux élèves des 2e et 3e cycles de l’École fondamentale ». Il en est de même des troisième et quatrième critères adéquatement appliqués : (3) l’établissement du corpus dictionnairique et (4) la confection de la nomenclature du dictionnaire et le nombre de termes retenus après l’étude du corpus dictionnairique. L’usager est adéquatement renseigné puisqu’il lui a été précisé que le corpus dictionnairique a été établi en amont par l’apport supplémentaire des données informatiques/lexicographiques du « Haitian Creole-English Bilingual Dictionary » élaboré par l’équipe rédactionnelle dirigée par le linguiste-lexicographe Albert Valdman au Creole Institute (Indiana University). La « Préface » en effet mentionne explicitement que « C’est de cette base de données que nous avons tiré, pour l’essentiel, la nomenclature (c’est-à-dire la liste de mots) de notre propre dictionnaire. (…) »

Nous avons effectué une présentation analytique de ce rigoureux dictionnaire d’Albert Valdman dans l’article « Lexicographie créole : revisiter le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » paru sur le site Fondas kreyòl le 1er février 2023. Le fait que le corpus dictionnairique et la confection de la nomenclature du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » aient bénéficié de l’apport des données informatiques/lexicographiques supplémentaires du « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » est incontestablement un critère de haute qualité scientifique : les rédacteurs du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » aux Éditions ÉDITHA, en plus d’appliquer les deux premiers critères que nous avons exposés, ont fait appel aux données lexicographiques fiables d’un dictionnaire aux assises scientifiques éprouvées, le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionary ». NOTE – Il s’agit là d’un procédé de maillage et d’enrichissement lexicographique connu en lexicographie professionnelle. Ainsi, le fameux « Dictionnaire des francophones » (DDF) accessible gratuitement depuis trois ans sur Internet et qui comprend 400 000 mots, a puisé lors de son élaboration à différentes sources réputées pour leur scientificité : « L’Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire », le « Dictionnaire des synonymes, des mots et expressions des français parlés dans le monde », le « Grand dictionnaire terminologique » de l’Office québécois de la langue française, l’ouvrage « Belgicismes – Inventaire des particularités lexicales du français en Belgique », le « Dictionnaire des régionalismes de France », la « Base de données lexicographiques panfrancophone » incluant le « Dictionnaire des belgicismes » et « FranceTerme ».

Le cinquième critère méthodologique a lui aussi été appliqué dans la fabrication du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » : il concerne le traitement ordonné –modélisé–, des données lexicographiques présentées à la suite des « mots-vedettes » (les « entrées » classées en ordre alphabétique dans les rubriques comprenant les définitions, les contextes définitoires et les notes illustratives). À l’analyse, il s’agit là de l’un des points forts de ce dictionnaire : le traitement des données lexicographiques est standardisé, il est effectué selon le même modèle présentatif et analytique tant pour la partie français-créole que pour la partie créole-français comme l’attestent les tableaux 1 et 2.

TABLEAU 1 – Échantillon de rubriques lexicographiques du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » pour les entrées « bien » et « rete »

[Entrée « bien », partie français-créole :]

bien n.m. byen • dire du bien de pale an byen de Ils ont dit du bien de toi. Yo pale de ou an byen. • faire du bien à quelqu’un fè yon moun byen Le sirop m’a fait beaucoup de bien, il a arrêté la grippe. Siwo a fè m byen anpil, li rete grip la. • faire du bien fè byen, fè lebyen Ils sont charitables, ils font du bien dans la communauté. Yo charitab, yo fè byen nan kominote a. • pour le bien de quelqu’un pou byen yon moun C’est pour notre bien qu’il nous donne ces conseils. Se pou byen nou l ap ban nou konsèy sa yo.

[Entrée « rete », partie créole-français :]

rete1 oswa ret I v. tr. arrêter, stopper Gadyen bi a rete chout la. Le gardien de but a arrêté le tir. II v.intr. rester M pran pòsyon pa m lan, sak rete a se pou ou. J’ai pris ma portion, ce qui reste est à toi. 2 s’arrêter Chofè a rete pou chanje yon kawotchou. Le chauffeur s’est arrêté pour remplacer un pneu. 3 demeurer, habiter Ki bò ou rete ? Où est-ce que tu habites ? III v. enp. [NOTE DE RBO / L‘abréviation v.enp est un abrégé de « vèb  enpèsonnèl », un verbe  dont  le  sujet est abstrait, par ex.: il pleut ».] 1 rester Rete sèlman de jou anvan Nwèl. Il reste seulement deux jours avant la Noël. 2 rester Sitiyasyon an toujou rete frajil. La situation reste toujours fragile. • rete bra kwaze (a) rester les bras croisés Lè l ap priye, li rete bra kwaze. Quand il prie, il reste les bras croisés (b) ne pas lever/remuer le petit doigt, ne rien faire Tout priye m priye l pou l ede m, li rete bra kwaze. J’ai eu beau le supplier de m’aider, il n’a pas levé le petit doigt. • rete je klè rester éveillé/-e Li rete je klè tout nuit lan akòz yon mal- tèt. Il est resté éveillé toute la nuit hier à cause d’un mal de tête. • rete nan wòl/limit [li] rester dans ses limites. •rete pou (a) être sur le point de Li tèlman gen dèt, rete l pou l pèdi tèt li Il a tellement de dettes qu’il est sur le point de perdre la tête. (b) il reste à Ou achte kay la, rete pou antre ladan. Tu as acheté la maison, il te reste à prendre logement. • san rete sans arrêt, sans cesse Pe ! Nou pale san rete ! Taisez- vous ! Vous parlez sans arrêt !

rete2 n. arrêt n.m., escale n.f. Mwen p ap rantre tou suit, m ap fè yon rete nan wout. Je ne rentre pas tout de suite, je vais faire un arrêt en route.

TABLEAU 2 – Échantillon de rubriques lexicographiques du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » pour les entrées « fou », « homme », « grangou » et « plein/-e »

[Entrée « fou », partie créole-français :]

fou 1 adj. 1 fou/folle Mesye sa a pèdi tèt li, li fou. Ce monsieur a perdu la tête, il est fou. 2 fou/fol, insensé/-e Ou vle fè tout wout sa a a pye ! Ou fou ? Tu veux faire tout ce trajet à pied ! Tu es fou ? • fè fou oswa rann fou rendre fou/folle Bri sa a enèvan, li ka rann yon moun fou ! Ce bruit est énervant, il peut vous rendre fou ! • fou pou fou/folle de, pas­sionné/-e de • moun fou/folle • zafè moun fou insensé/-e Ou vle fè tout wout sa a apye, se zafè moun fou ! Tu veux faire tout ce trajet à pied, c’est insensé !

[Entrée « homme », partie français-créole :]

homme n.m. 1 lòm L’homme n’est pas seulement un corps, il a aussi une âme. Lòm pa sèlman yon kò, li gen yon nanm tou. 2 gason L’homme et la femme se complètent dans une famille. Gason ak fi konplete youn lòt nan yon fanmi. 3 me­sye/msye, nèg Trois hommes sont assis dans la salle. Gen twa mesye ki chita nan sal la. 4 nèg, nonm Cet homme est vraiment mal élevé. Nonm sa a vrèman malelve. homme d’affaires òm d afè/òm dafè, biznismann homme d’État òm d Eta homme riche grannèg jeune homme jènjan/jenn­jan, jennonm.

[Entrée « plein/-e », partie français-créole :]

plein/-e adj. 1 foul, plen, ranpli La voiture est pleine, il n’y a plus de place. Machin nan foul, pa gen plas ankò. 2 [f.] plenn Cette chatte est pleine, elle va bientôt mettre bas. Chat sa a plenn, li pa lwen akouche. • plein/-e à craquer plen rabouch • (être) plein/-e de plen Son pantalon est plein de trous. Panta­lon l plen twou.

[Entrée « grangou », partie créole-français :]

grangou 2 n. 1 faim n.f. Li poko manje, li kòmanse santi grangou a. Il n’a pas en­core mangé, il commence à ressentir la faim. 2 faim n.f., famine n.f. Grangou ap fè ravaj nan rejyon sa a. La faim fait des ra­vages dans cette région. • grèv gran­gou gade grèv • mouri (anba) grangou mourir de faim, crever de faim • pase grangou [li] apaiser sa faim.

Éclairage analytique — Ces exemples de rubriques dictionnairiques illustrent bien l’orientation éditoriale et pédagogique de l’ouvrage ainsi que la méthodologie lexicographique qui en a guidé la rédaction. Le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » se distingue de ses prédécesseurs par une nomenclature (nombre d’entrées) plus ample et une microstructure (les renseignements fournis sur les « entrées ») plus détaillée : cela s’explique aisément du fait que ce dictionnaire a bénéficié de l’apport des données informatiques/lexicographiques supplémentaires du « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » d’Albert Valdman qui comprend 30 000 entrées et 26 000 sous-entrées. « Its nomenclature (the list of words) contains 30 000 headwords, many, especially verbs, with multiple senses, and about 26 000 subentries, multiword units or idiomatic expressions whose meanings cannot readily be derived from the individual meaning of the constituent words. Second, it provides the most developed microstructure (the content of individual articles) for headwords ». (« Sa nomenclature (la liste des mots) contient 30 000 mots-clés, dont beaucoup, en particulier les verbes, ont plusieurs sens, et environ 26 000 sous-entrées, des unités de plusieurs mots ou des expressions idiomatiques dont le sens ne peut pas être facilement dérivé du sens individuel des mots qui les composent. Deuxièmement, elle fournit la microstructure la plus développée (le contenu des articles individuels) pour les mots-clés ».) [Traduction : RBO] Cette information de premier plan est consignée à la page (i) du « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » d’Albert Valdman. NOTE — Élaboré par une équipe de rédacteurs sous la direction du linguiste-lexicographe Albert Valdman, le remarquable « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » (Creole Institute, Indiana University, 2007) demeure jusqu’à aujourd’hui le modèle de dictionnaire bilingue le plus abouti au plan de la méthodologie de la lexicographie professionnelle comme à celui du contenu des rubriques lexicographiques : à ce titre, il est LA RÉFÉRENCE ET LE MODÈLE qui doit guider l’ensemble de la production lexicographique créole contemporaine.

Pour l’entrée « bien » de la partie français-créole du dictionnaire, l’usager a accès aux quatre acceptions de ce terme, et ces acceptions sont suivies d’un énoncé en français éclairant chacune des significations, les énoncés étant eux-mêmes suivis d’une traduction créole. Ce dispositif de présentation de l’information lexicographique présente l’avantage de fournir à l’élève-usager des « contextes phrastiques » parfaitement grammaticaux et qui illustrent le fonctionnement morphosyntaxique habituel des termes. De la sorte, l’élève-usager accède à la fois au sens du terme et à son usage dans son environnement morphosyntaxique habituel. La mission pédagogique de ce dictionnaire se trouve de la sorte confirmée comme il est mentionné dans la « Préface » : « Pour une meilleure compréhension, les mots du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » sont souvent illustrés d’exemples, suivis de leur traduction dans l’autre langue. Les exemples peuvent être soit des phrases complètes, soit des groupes de mots ».

Alors même que dans nombre de rubriques du dictionnaire l’on accède aux différentes variantes d’une « entrée » portées par un efficace système de renvoi (par exemple afè, zafè), les diverses significations d’un terme sont adéquatement présentées par une numérotation différentielle comme dans rete1 oswa ret et rete2, qui sont définis aux sous-rubriques /I/ (verbe transitif), /II/ (verbe intransitif) et /III/ v. enp. 1 rester Rete. Pour tous les verbes et adjectifs, ainsi que pour les noms ayant plusieurs sens, des exemples illustratifs qui explicitent et illustrent les diverses significations sont fournis à l’élève-usager dans les deux langues, le français et le créole. L’exemple rete1 oswa ret et rete2 du tableau 1 est particulièrement éclairant et « confirmatif » de l’« identité » pédagogique du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » : l’étalement cumulatif de plusieurs « contextes phrastiques » parfaitement grammaticaux permet à l’élève-usager de s’approprier les différentes significations des termes dans leur environnement morphosyntaxique habituel. Ce faisant l’élève-usager bénéficie d’un double apport : sur le registre sémantique il apprend le sens/les sens d’un mot et il renforce sa maîtrise de la combinatoire grammaticale des mots entre eux. C’est aussi en cela que le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » est véritablement un dictionnaire scolaire pédagogique.

Au tableau 2, l’information lexicographique de l’entrée « homme » (partie français-créole) consigne les différentes acceptions du terme et l’élève-usager accède à une donnée qui recoupe le sens 4 : « homme » a pour équivalent générique, en créole haïtien, « nèg », « nonm ». Le locuteur créolophone dira tout naturellement « Nèg sa a se bon moun » (« Cette personne-là est une bonne personne »). Toujours au tableau 2, l’information lexicographique de l’entrée « grangou » (partie créole-français) atteste deux emplois du terme : l’emploi ayant le trait /+ humain/ puisque la « faim »/« grangou » est celle qui affecte un être humain. D’autre part, le sens 2 de « faim » renvoie à une généralité, celle de la « famine » touchant par exemple une région, un pays. La rubrique « grangou » est également enrichie de la forme verbale « mouri (anba) grangou » « mourir de faim », « crever de faim » et « pase grangou [li] » « apaiser sa faim ». L’élève-usager est ainsi introduit non seulement à deux significations du même terme, mais il apprend également à distinguer à l’aide de séquences illustratives parfaitement grammaticales deux fonctions distinctes couvertes par l’emploi de « grangou » /+ humain/ par opposition à une généralité, celle de la « famine » touchant une région. En cela encore le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » est un ouvrage pédagogique, il guide l’élève-usager en lui apprenant à distinguer le mode de fonctionnement du terme dans la chaîne parlée/écrite ainsi que la catégorisation grammaticale du terme : « grangou » dans son emploi substantif avec le trait /+ humain/ et « grangou » dans un environnement verbal « mouri (anba) grangou » « mourir de faim », « crever de faim ».

RAPPEL – Comme nous l’avons auparavant explicité dans le déroulé du présent article, « Le dictionnaire scolaire a pour objectifs de sensibiliser les jeunes au vocabulaire et de les mettre à l’aise avec les mots. Il consigne le lexique vivant, dont une partie est déjà connue de la majorité des élèves, soit de manière active, parce que les jeunes locuteurs doivent s’exprimer, soit de manière passive, parce qu’ils doivent écouter et comprendre les autres ». « (…) Le terme dictionnaire scolaire est synonyme de dictionnaire pédagogique, ce dernier étant d’un emploi plus restreint dans la terminologie française » (source : Jean-Claude Boulanger, « Du côté de la petite histoire des dictionnaires scolaires modernes » paru dans « Aspects diachroniques du vocabulaire », par Danielle Candel et François Gaudin, Éditions des Universités de Rouen et du Havre, 2006. Dans cette acception, le « dictionnaire scolaire » ou « dictionnaire pédagogique » est fondamentalement différent du « dictionnaire encyclopédique » qui s’adresse à des usagers différents et utilise un niveau de langue qui peut être qualifié d’« académique ». Le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française définit comme suit le « dictionnaire encyclopédique » : « Dictionnaire qui contient des informations de nature linguistique (sémantique, grammaticale, phonétique) et des informations de nature référentielle, c’est-à-dire relatives aux objets ». Le dictionnaire Le Robert éclaire la notion de « dictionnaire encyclopédique » par la définition de l’adjectif « encyclopédique » : « Qui embrasse l’ensemble des connaissances. De l’encyclopédie. Un dictionnaire encyclopédique, qui fait connaître les choses, les concepts (opposé à dictionnaire de langue) ».

Dans l’ensemble, le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » est appelé à jouer un rôle de premier plan dans la conduite (1) des différents futurs chantiers de la traduction créole et de la lexicographie créole, dans (2) la didactique du créole, dans (3) la didactisation du créole et (4) au titre d’un ouvrage de référence, dans la rédaction de manuels scolaires créoles de qualité. Les liens étroits entre la dictionnairique créole et la didactisation du créole sont examinés sous différents angles dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti » (ouvrage coordonné et co-écrit par Robert Berrouët-Oriol, Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021). Pour sa part, en ce qui a trait au futur dictionnaire unilingue créole, le linguiste-lexicographe Albert Valdman en circonscrit hautement la problématique : « Le handicap le plus difficile à surmonter dans l’élaboration d’un dictionnaire unilingue pour le CH [créole haïtien] est certainement l’absence d’un métalangage adéquat. Cette carence rend ardu tout effort de définition comparable à celle que l’on trouve dans les dictionnaires unilingues de langues pleinement standardisées et instrumentalisées. Le rédacteur se trouve obligé de suivre le modèle des dictionnaires pour jeunes qui rendent le sens des lexies par une approche concrète basée sur le jeu des synonymes et l’utilisation d’exemples illustratifs. C’est cette voie que devraient suivre les lexicographes prêts à affronter le défi de l’élaboration d’un dictionnaire unilingue, en particulier s’ils œuvrent dans une perspective pédagogique, tant dans l’enseignement de base que dans l’alphabétisation des adultes. (…) Au fur et à mesure que le CH [créole haïtien] est appelé à la rédaction d’une large gamme de textes, en particulier dans les domaines techniques, et à son emploi dans les cycles scolaires supérieurs, il se dotera d’un métalangage capable de traiter de concepts de plus en plus abstraits. Dans l’attente de cette évolution, la lexicographie bilingue peut préparer le terrain en affinant ses méthodes, en particulier quant à : 1 / la sélection de la nomenclature ; 2 / la description des variantes et le classement diatopique, diastratique et diaphasique des lexies ; et 3 / le choix des exemples illustratifs » (Albert Valdman, « Vers un dictionnaire scolaire bilingue pour le créole haïtien ? », revue La linguistique, 2005/1 (vol. 14) ; voir aussi un article précédent d’Albert Valdman, « L’évolution du lexique dans les créoles à base lexicale française » paru dans L’information grammaticale no 85, mars 2000). 

Les apports analytiques du linguiste Renauld Govain alimentent eux aussi une réflexion transversale capable d’enrichir la réflexion sur la dictionnairique créole. Ces apports analytiques sont consignés dans les articles suivants : (1) « Enseignement du créole à l’école en Haïti : entre pratiques didactiques, contextes linguistiques et réalités de terrain », in Frédéric Anciaux, Thomas Forissier et Lambert-Félix : voir Prudent (dir.), « Contextualisations didactiques. Approches théoriques », Paris, L’Harmattan, 2013 ; (2) « L’état des lieux du créole dans les établissements scolaires en Haïti », revue Contextes et didactiques, 4, 2014 ; (3) « Le créole haïtien : description et analyse » (sous la direction de Renauld Govain, Paris, Éditions L’Harmattan, 2018 ; (4) « Enseignement/apprentissage formel du créole à l’école en Haïti : un parcours à construire », revue Kreolistika, mars 2021 ; (5) « De l’expression vernaculaire à l’élaboration scientifique : le créole haïtien à l’épreuve des représentations méta-épilinguistiques » (revue Contextes et didactiques, 17 | 2021) ; (6) « Pour une didactique du créole langue maternelle », paru dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti », par Berrouët-Oriol et al., Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021.

Au chapitre 6 « La question de la (in)disponibilité des concepts en CH, un vrai faux problème » de son article « De l’expression vernaculaire à l’élaboration scientifique : le créole haïtien à l’épreuve des représentations méta-épilinguistiques » (revue Contextes et didactiques, 17 | 2021), Renauld Govain précise comme suit sa pensée au sujet « de la (in)disponibilité des concepts en CH. De bonnes âmes bien pensantes prétendent que le CH n’est pas apte à exprimer des réalités scientifiques parce que les concepts pour ce faire n’y existeraient pas. Il est évident que la langue accuse certaines limites à ce niveau parce que cette expérience n’y a guère encore été tentée dans tous les compartiments de la science. Pour considérer qu’une langue a des limites dans l’expression de tel type de réalité intellectuelle, on la compare à d’autres langues qui, elles, connaissent une longue tradition d’expression scientifique. Mais, cela ne veut pas dire que celle-là soit pauvre et celles-ci soient riches. Du point de vue de l’expression de réalités vernaculaires, une langue ne peut pas être considérée comme pauvre car elle permet à ses locuteurs de pouvoir tout exprimer ». Il ajoute, plus loin dans son propos, que « Lorsque les Haïtiens évoquent la non-disponibilité des concepts en CH, ils font davantage référence aux disciplines des sciences dites de base, telles les mathématiques, la médecine, la biologie, la physique, etc. Mais, si l’on devait vraiment parler d’indisponibilité de concepts en CH, cela se poserait aussi au niveau de l’enseignement des disciplines relevant de ce qu’on pourrait appeler les sciences situées telles l’histoire, la géographie, la sociologie, la climatologie, etc. qui parfois font appel à des concepts basés sur des expériences localement situées. Par exemple, on continue d’enseigner aux élèves haïtiens qu’il existe 4 saisons (le printemps, l’été, l’automne, l’hiver), alors que l’observation empirique de la climatologie haïtienne (ou caribéenne plus généralement) montre qu’il n’existe qu’une seule saison qu’on pourrait diviser en une période sèche (que les paysans haïtiens cultivateurs appellent généralement ‘lesèk’) et une période pluvieuse (qu’ils appellent généralement ‘lepli’). Il se pose dès lors le problème de la contextualisation didactique dont un ordre d’idées peut être donné à ce sujet dans R. Govain (2013). L’enseignement étant fait dans un contexte spécifique, il doit épouser les spécificités de ce contexte : « Notion à géométrie variable dont le sens précis varie selon la discipline à laquelle on l’applique, le contexte est à envisager sous diverses facettes : pédagogique, institutionnelle, éducative, (socio)linguistique, ethnique, économique, socioculturelle, écologique, politique… Toute situation scolaire en milieu plurilingue fait intervenir les notions de contexte et contextualisation » (Govain, 2013 : 23-53) ». Et l’on peut mettre en perspective ce que consigne Renauld Govain lorsqu’il expose que « La contextualisation didactique renvoie, quant à elle, à l’adéquation des réalités à la fois linguistiques, socioculturelles, écologiques en général et éducatives. Elle vise aussi la mise à contribution des différents éléments intervenant dans l’environnement d’enseignement / apprentissage qui est multiforme car formé d’acteurs aux identités et aux compétences linguistiques multiples et plurielles (parfois aux langues premières différentes), aux appartenances socio-ethniques différentes et diverses, etc. (Govain, 2013) ». Et le lien/liant entre la dictionnairique créole et la didactisation créole s’éclaire encore de la suite logique de son propos : « La langue, quelle qu’elle soit, est un moyen de communication, d’expression, de (re)présentation, inventé collectivement par les membres d’une communauté pour communiquer des idées, conceptualiser le monde, les objets et les expériences du monde. Toute langue naturelle est pourvue de ce potentiel lui permettant d’idéaliser des expériences abstraites, savantes. Donc, une langue qui n’aurait pas cette capacité de conceptualisation n’en serait pas une. De même, une idée, aussi abstraite soit-elle, qui n’est pas conceptualisée n’est pas communicable, une réalité scientifique qui n’est pas conceptualisable n’est pas partageable. Le concept a pour mission de modéliser cette idée abstraite (cette modélisation constituant le discours scientifique) afin de la communiquer à des locuteurs qui ne sont pas forcément des scientifiques dans le domaine concerné, même si les initiés au domaine peuvent y accéder plus ou moins facilement ».

L’édition prochaine du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole », une œuvre lexicographique de haute qualité scientifique destinée aux écoliers et aux enseignants haïtiens et également au grand public, est une nécessité de premier plan pour forger et moderniser les outils pédagogiques et didactiques dont a besoin le système éducatif national. Cet ouvrage saura contribuer remarquablement à la didactique et à la didactisation du créole dans l’optique de la consolidation de son institutionnalisation comme langue instrument et objet d’enseignement. Les Éditions haïtiennes ÉDITHA –en en faisant une priorité dans un environnement où, selon les statistiques de l’UNESCO et de l’UNICEF, environ 2 millions d’élèves sont scolarisés dans 17 000 écoles à travers le territoire national–, apporteront une contribution majeure à la modernisation de l’enseignement en Haïti. À cet égard, il faut souhaiter que la nouvelle direction du ministère de l’Éducation nationale saura elle aussi faire sienne l’impérieuse nécessité de doter l’École haïtienne d’instruments pédagogiques et didactiques de grande qualité dans les deux langues officielles d’Haïti, le créole et le français. Ainsi elle enverra à coup sûr un signal fort aux enseignants, aux directeurs d’écoles, aux associations de parents d’élèves et aux rédacteurs de manuels scolaires créoles et français en contribuant au financement de l’édition prochaine du « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole ».

DEUXIÈME PARTIE : INCURSION DANS L’HISTOIRE DES DICTIONNAIRES

Le réputé site « Musée virtuel des dictionnaires » consigne une présentation historique de la dictionnairique sous le titre « Les dictionnaires de la langue française : une histoire et une dynamique ». Le « Musée virtuel des dictionnaires » est un site géré par le laboratoire Lexiques, textes, discours, dictionnaires : Centre Jean Pruvost (EA 7518) de l’Université de Cergy-Pontoise. Sa vocation est de présenter une bibliographie des dictionnaires et des travaux s’y rapportant. Pour illustrer l’idée que le « Dictionnaire scolaire bilingue kreyòl-fransè français-créole » –qui s’inscrit dans le prolongement des travaux des pionniers Pradel Pompilus, Pierre Vernet, Henry Tourneux, Bryant Freeman, André Vilaire Chery tout en se rattachant à une grande tradition dictionnairique et à son histoire–, nous procédons à une incursion dans l’histoire des dictionnaires en Occident.

« I. Sur le plan historique 

« Des dictionnaires du grand siècle, pour la plupart des in folio, volumineux fleurant bon le vieux papier et le cuir, aux dictionnaires de la fin du XXe siècle et du XXIe siècle, de plus en plus souvent offerts sur supports électroniques, c’est-à-dire sur « disques optiques compacts » plus couramment appelés « cédéroms » (graphie prônée par l’Académie française), nous sommes indéniablement confrontés à la sensible évolution de fond et de forme d’un même produit, à la fois hautement symbolique et essentiellement pragmatique. S’il y a en moyenne, selon les statistiques, plus d’un dictionnaire par foyer, et si les dictionnaires font en quelque sorte partie du mobilier et du patrimoine, il n’en reste pas moins qu’ils restent très mal connus et dans leur diversité et dans leur histoire.

L’Antiquité et le Moyen Âge : la génèse des dictionnaires 

Qui a inventé les dictionnaires et quand ? Il serait en fait incongru de n’apporter qu’une seule réponse à pareille question… Faut-il par exemple considérer que la pierre de Rosette découverte lors de la campagne d’Égypte de Bonaparte constitue la première trace d’un dictionnaire plurilingue ?Sur ladite pierre figuraient en effet les mêmes informations transcrites en trois codes différents, les hiéroglyphes, le démotique et le grec. Mais si la confrontation des hiéroglyphes a permis en 1822 à Champollion de percer leur mystère, il ne serait pas très convaincant d’assimiler cette trace de plurilinguisme à un dictionnaire trilingue. Pas plus que de mentionner l’existence de dictionnaires chez les Grecs en évoquant les recueils de mots rares appartenant à un dialecte ou à un écrivain, par exemple Homère. En vérité, les conditions ne sont pas remplies pour faire aboutir le genre lexicographique. Même si le dictionnaire monolingue va prendre souche dans les répertoires plurilingues, qu’il s’agisse de l’Antiquité ou du Moyen Âge, les mots sont encore prisonniers des conceptions métaphysiques : on ne s’intéresse pas pleinement au langage pour lui-même mais à son essence divine. Ainsi, les Sommes du Moyen Âge, correspondent à des résumés des connaissances de l’époque – par exemple la Summa theologica de saint Thomas d’Aquin (1225-1273) – mais ne décrivent pas les mots. Y sont seulement transmis les concepts et les savoirs de l’époque, fortement teintés d’interprétation métaphysique. Les Étymologies (Etymologiae) d’Isidore de Séville (570-636), l’un des ouvrages fondateurs de la pensée médiévale, restent en réalité totalement imprégnées d’une pensée religieuse qui ne laisse presque aucune place aux considérations sur la langue.

Du Moyen Âge à la Renaissance : des gloses aux dictionnaires bilingues 
Le dictionnaire est un outil destiné à résoudre les questions que l’on se pose sur les mots, il représente d’une certaine manière notre premier outil didactique. Il ne serait pas totalement faux d’affirmer qu’il est né des difficultés rencontrées par les élèves.
En effet, les gloses – c’est-à-dire les remarques explicatives ajoutées brièvement en marge ou entre les lignes, destinées à commenter dans les ouvrages de grammaire latine ou d’enseignement du latin les passages difficiles – sont instaurées pour aider les clercs qui ne maîtrisent pas parfaitement le latin. Lorsque les gloses sont regroupées, on aboutit à un glossaire, le plus célèbre étant celui de Reichenau (VIIIe siècle) qui rassemblait un peu plus d’un millier de mots difficiles d’une vulgate de la Bible, avec leur traduction en un latin plus facile ou en langue romane.
Le dictionnaire bilingue, et à terme le dictionnaire monolingue, sont déjà là en germes. En vérité, traduire puis expliquer en ajoutant un commentaire lorsque la traduction se révèle insuffisante, c’est déjà forger les premières définitions.

Le XVIIe siècle : le grand siècle et la naissance d’une trinité lexicographique
Le grand siècle est celui des monarques absolus, et avec eux de la codification et de la régulation. Henri IV, Louis XIII et Louis XIV vont chacun à leur manière servir la langue française et l’instituer comme une grande langue internationale. Le bon roi Henri IV, sans le vouloir, incitera les « précieux » à se réunir dans des salons éloignés de la cour, trop rustre à leur goût, mais ce faisant, même si l’on a surtout retenu le ridicule des périphrases (les « belles mouvantes », les « chers souffrants »… pour les pieds et les mains), ces derniers ainsi que Malherbe vont affiner la langue, l’épurer, peut-être trop prétendront d’aucuns.
Sous Louis XIII, Richelieu fondera en 1635 l’Académie française, et Louis XIV rassemblera autour de lui, à Versailles, les écrivains qui poliront la langue et lui donneront cette tonalité classique et ce prestige littéraire international. Après le foisonnement lexical de la Renaissance, le Grand siècle représente une période de remise en ordre : Malherbe, au nom de la pureté, Vaugelas, au nom de l’usage, se chargent de normaliser la langue, avec l’aval du public.
Constatons au passage que lorsqu’un pays bénéficie d’une langue et d’un gouvernement forts, apparaissent généralement des répertoires monolingues qui donnent aux mots du code linguistique national leur sens précis, ce qui renforce la validité des textes officiels.
Au public de Corneille, Racine, Molière, aux contemporains instruits, bourgeois et nobles, correspondent à la fin du siècle trois dictionnaires de facture différente qui marquent la réelle naissance de la lexicographie de haute qualité : le dictionnaire de Richelet en 1680, celui de Furetière en 1690, et celui de l’Académie en 1694.
Tout d’abord, Pierre Richelet (1631-1694) publie en 1680 le premier dictionnaire monolingue de langue française, le Dictionnaire français contenant les mots et les choses (2 vol., in- 4°), dictionnaire destiné à « l’honnête homme ». Il y définit les mots en homme de goût et de raison, volontiers puriste. Il s’agit d’un dictionnaire descriptif du bel usage, avec des exemples choisis dans l’œuvre de Boileau, Molière, Pascal, Vaugelas, sans oublier les collaborateurs de Richelet, Patin et Bouhours qui n’hésitent pas à se citer, un bon moyen de passer à la postérité… Ce dictionnaire préfigure l’ouvrage de Littré et de Paul Robert : le grand dictionnaire de langue s’appuyant sur des citations d’auteurs est né.
Ensuite Antoine Furetière (1620-1688), esprit vif et volontiers railleur, est l’auteur du Dictionnaire Universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les Sciences et des Arts (2vol. ; in-folio). Ce n’est plus cette fois-ci le « bon usage » qui est mis en relief mais, comme il est annoncé dans la préface, « une infinité de choses ». Les traits d’Histoire, les curiosités de « l’histoire naturelle, de la physique expérimentale et de la pratique des Arts » l’emportent sur la citation des bons auteurs.
Furetière préfigure Pierre Larousse et le dictionnaire encyclopédique, ce dernier étant davantage centré sur les idées et les choses décrites par les mots que sur l’usage du mot dans la langue.
Enfin, paraît en 1694 la première édition du Dictionnaire de l’Académie française (2 vol., in-4°) se trouve ainsi accomplie l’une des tâches que s’était fixée l’Académie dès 1635 sous l’œil attentif de Richelieu. Ce dernier souhaitait vivement en effet que la France se dotât d’un dictionnaire à l’image de celui de l’Académie della Crusca fondée à Florence, dictionnaire illustrant la langue italienne dans une première édition en 1612 et une seconde en 1623.
Certes, la publication du dictionnaire de l’Académie, fort attendue, était bien tardive, mais à tout prendre, ce fut une chance pour la lexicographie, puisque le monopole du dictionnaire de l’Académie n’avait pu être conservé. En effet, publiés à Genève et en Hollande, mais destinés à tous les usagers de la langue française, les dictionnaires de Richelet et de Furetière avaient déjà eu l’heur de plaire au Roi. Une saine concurrence était désormais installée.
Le dictionnaire de l’Académie avait pâti, d’une part, de la mort en 1653 de son rédacteur talentueux, Vaugelas, et, d’autre part, d’un changement d’état de langue après ce premier élan, une reprise s’était donc révélée nécessaire à la fin du XVIIe siècle. Sans oublier le conflit qui opposa Furetière, académicien accusé d’avoir plagié le dictionnaire de l’Académie pour alimenter son propre dictionnaire. S’il est vrai que la formule initiale du dictionnaire de Furetière ne devait comprendre que des mots scientifiques, techniques, et que d’une certaine façon, en y introduisant les mots d’usage courant, il « doublait » l’Académie, la teneur même de ces articles était cependant bien différente. La première édition du dictionnaire de l’Académie n’eut pas le succès escompté parce que les mots y étaient regroupés en fonction des racines, et le public n’appréciait guère ce classement qui rassemblait des mots comme dette, débiter, redevance sous l’entrée devoir.
Cela étant, c’était une initiative pertinente sur le plan linguistique, trois siècles plus tard tous les linguistes salueraient Josette Rey-Debove pour avoir élaboré le Dictionnaire méthodique (1982) dans une dynamique analogue.

Le XVIIIe siècle : le siècle de l’encyclopédie
La première tâche des lexicographes du XVIIIe siècle fut d’abord de perfectionner les ouvrages existants.
En particulier, revint aux Jésuites de Trévoux le mérite de poursuivre la tâche entreprise par Furetière ; en effet dès 1704, les Pères Jésuites de cette petite ville située sur la Saône dans les Dombes publièrent un dictionnaire encyclopédique, le Dictionnaire Universel françois et latin, en enrichissant et en corrigeant idéologiquement la seconde édition du dictionnaire de Furetière, qui avait été reprise en 1702 par le protestant Basnage de Beauval, ce qui n’était évidemment pas du goût des Pères Jésuites. Ce furent d’abord trois volumes in-folio qui furent offerts en 1704, puis cinq en 1732, et huit en 1771. Fournir une information soutenue et combattre un certain nombre d’idées, tel était l’objectif. Et sur ce dernier point les Jésuites avaient fort à faire, puisque les jansénistes d’abord, les philosophes ensuite, leur portaient de rudes coups.
Par ailleurs, les différents dictionnaires de l’Académie apportaient leur lot de réformes utiles, simplifiant l’orthographe, en particulier dans la troisième édition (1740) avec l’Abbé d’Olivet.
Il faut enfin signaler à la veille de la Révolution, en 1788, la publication du Dictionaire critique de la langue française (3 vol., in-8°), avec un seul n, de l’Abbé Féraud, ouvrage qui connut peu de succès mais qui présente sans doute l’image la plus intéressante de la langue du moment, avec des points de vue critiques et la mention de la prononciation. Ce dictionnaire qui a influencé les lexicographes du XIXe siècle méritait bien la réédition qui vient d’en être faite depuis peu par les Presses de l’École Normale supérieure, sous la direction de Philippe Caron. Et, c’est le sort heureux des ouvrages majeurs, il fait actuellement l’objet d’une informatisation pour être sans doute bientôt publié sur cédérom.

La première moitié du XIXe siècle : les accumulateurs de mots
La Révolution française ne fut pas seulement politique, elle fut aussi linguistique.
À la société née de la Révolution a correspondu en effet un lexique plus large. Au-delà des mots issus des diverses réformes, par exemple celle du système métrique, des mots nouveaux se répandirent dans le commerce.
Les anglicismes commencèrent à s’incruster dans notre langue, en particulier dans les domaines techniques où l’Angleterre disposait d’une révolution industrielle d’avance.
Par ailleurs, la vague montante des romantiques fit déferler dans la littérature un vocabulaire abondant et coloré. Le mélange des mots de basse ou noble extraction, archaïques, classiques ou nouveaux, n’est plus un obstacle : les barrières volent en éclats sous la poussée de ces écrivains chevelus qui rompent avec la tradition. Et nécessairement, ce sang neuf allait générer un nouveau mouvement lexicographique.

De cette période de création lexicale, nous retiendrons notamment quelques dictionnaires réputés pour constituer avant tout des « accumulateurs » de mots, c’est-à-dire que, négligeant plus ou moins la définition et la précision dans l’information, ils se caractérisent d’abord par des nomenclatures pléthoriques.
L’ouvrage de Boiste en 1800, Le Dictionnaire Universel de la langue française (1 vol., in-4°), repris en 1829 avec le sous-titre de Pan-lexique par Charles Nodier, celui de Napoléon Landais en 1834, et enfin celui de Bescherelle en 1845, illustrent tout à fait cette tendance à ouvrir les nomenclatures au plus grand nombre de mots, sans pour autant être très pertinents quant aux définitions.

La seconde moitié du XIXe siècle : la linguistique historique

Littré (1801-1881) et Larousse (1817-1875)
Dès 1804, avec entre autres les publications de 
Franz Bopp, commençait l’aventure de la linguistique historique qui rapprochait les langues européennes du sanscrit, d’où la découverte progressive de la famille des langues indo-européennes, expliquant les parentés entre des langues apparemment aussi éloignées que le latin, l’allemand et le grec.
Mais c’est surtout au cours de la seconde moitié du XIXe siècle que s’installent en France les recherches étymologiques avec l’établissement des règles de phonétique historique.
Ajoutons à cela l’influence décisive d’
Auguste Comte qui publie entre 1830 et 1842 le Cours de philosophie positive. Fondée sur l’observation, l’étude positive des faits, et donc implicitement sur la recherche des causes historiques, cette philosophie s’adaptait parfaitement aux aspirations d’une nouvelle génération désormais plus sensible aux réalités scientifiques qu’aux rêveries enthousiastes.
Larousse et Littré en seront de fervents adeptes, et tous deux s’inscrivent sans hésiter dans le courant de la linguistique historique et comparative.

Littré naquit le 1er février 1801 à Paris, avec pour premier prénom Maximilien, prénom donné par son père en souvenir de Robespierre l’Incorruptible… L’enfant prometteur, entre une mère protestante et un père disciple de Voltaire, ne fut point baptisé, ce qui fit couler beaucoup d’encre lorsqu’il devint célèbre. Brillant élève, il se destine à la médecine, mais le médecin se métamorphose petit à petit en érudit en publiant notamment une traduction critique des œuvres d’Hippocrate. En 1840 lui est alors proposée une chaire d’Histoire médicale qu’il refuse, ne souhaitant guère le contact avec le public.
Émile Littré avait formé le projet dès 1841 de rédiger un dictionnaire étymologique qui serait publié chez son camarade de classe, Christophe Hachette, déjà devenu un éditeur éclairé. En fait, ce premier projet n’aboutira pas, il faut attendre 1859 pour que les premiers textes du 
Dictionnaire de la langue française (4 vol., in-4°) soient remis à Hachette, et 1872 pour que ce dictionnaire en quatre volumes qui fait une large part à l’histoire du mot soit achevé. Un Supplément publié en 1877 couronne l’ensemble.
Le dictionnaire de la langue française eut un franc succès auprès du public cultivé qui trouvait dans cet ouvrage une somme d’informations jusque-là inégalée quant à l’étymologie et à la filiation historique des sens d’un mot, le tout cautionné par de grands auteurs. Aussi prit-on rapidement l’habitude d’évoquer « le Littré » avec déférence, comme une autorité ; il devint même l’instrument indispensable de toute recherche sérieuse en langue française. Son prestige ne diminua guère au fil des années, ainsi, jusqu’à la publication du 
Dictionnaire de Paul Robert, presque un siècle après, Littré fut le plus souvent considéré comme la seule véritable référence des lettrés.
Alain Rey, dans un ouvrage explicite sur le lexicographe et son œuvre, met éloquemment en relief comment s’est installée la notoriété d’un dictionnaire qui, n’étant plus réédité, est devenu tout au long de la première moitié du XIXe siècle un ouvrage mythique. En fait, le dictionnaire de Littré était fondé sur l’idée darwinienne que la langue est un organisme qui connaît d’abord une croissance, et qui, en atteignant son apogée, commence à décliner. Pour Littré, comme pour nombre de linguistes de la fin du XIXe siècle, l’apogée se situait au XVIIe siècle. Aussi, son dictionnaire enregistre-t-il principalement la langue française comprise entre le XVIIe siècle et le début du XIXe. Les citations présentées ne sont jamais postérieures à 1830. É. Zola et la majeure partie de l’œuvre de V. Hugo n’y figurent pas.
Ajoutons à cet handicap que la conception des articles, avec parfois 40 sens qui se succèdent selon une filiation que Littré souhaite avant tout historique, positiviste, est loin d’être clarificatrice. Il n’en reste pas moins que l’ouvrage reste jusqu’à celui de Paul Robert d’une richesse foisonnante et méritait pleinement toute sa notoriété.

Le XXe siècle :

 

Les talentueux successeurs de P. Larousse

Au Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle devait succéder en 1904 les sept volumes in-quarto du Nouveau Larousse illustré, dirigé par Claude Augé, qui fut très largement répandu, avec des planches illustrées en couleurs et de nombreuses illustration au cœur des articles. Version singulièrement amincie du prédécesseur en 17 volumes, il méritait sa notoriété de par son homogénéité et la fiabilité des informations apportées.
En 1910 paraissait le 
Larousse pour tous en deux volumes, intitulé ensuite Larousse Universel en 1923, et Nouveau Larousse Universel en 1948. Il devait donner naissance au Larousse en trois volumes, le L3.
En 1933, était publié sous la direction de Paul Augé le dernier des six volumes du 
Larousse du XXe siècle (6vol. et un Supplément en 1953, in-4°), ouvrage particulièrement riche en biographies.
Mais c’est en 1963 que, sous la direction de Jean Dubois et avec le concours du grand linguiste 
Claude Dubois, était achevé le Grand Larousse Encyclopédique en dix volumes, plus de 10 000 pages, 450 000 acceptions, 22000 illustration. Assurément, un dictionnaire de grande classe correspondant aux trente glorieuses : pas moins de 700 spécialistes y participaient en effet, répartis en treize grandes disciplines dirigées par des secrétaires de rédaction responsables de l’homogénéité de l’ensemble.
On est en fait ici à l’aube du travail structuré à l’aide de l’ordinateur, cet ouvrage représentait la dernière étape avant l’aventure informatique, celle correspondant à la mise en fiche la plus efficace possible.
En 1985, dans la même dynamique était publié le 
Grand Dictionnaire Encyclopédique Larousse en dix volumes. Mais il s’agissait là de dictionnaires encyclopédiques, et si la description de la langue n’y était pas négligée, ces ouvrages privilégiaient naturellement l’information encyclopédique.
Les Éditions Larousse allaient donc également s’intéresser au dictionnaire de langue. Ainsi est publié en 1978 le 
Grand Larousse de la langue française, en 7 volumes, élaboré sous la direction de Louis GuilbertR. LaganeG. Niobey. Un dictionnaire Larousse sans illustration, uniquement consacré à la description des mots de notre langue, voilà qui rompait avec la tradition.
En fait, dès 1967, une première percée avait été faite avec le 
Dictionnaire français contemporain (le DFC) rédigé sous la direction de Jean Dubois, ouvrage en un volume, de format très réduit, avant tout destiné au public scolaire.
Ce petit dictionnaire, en décrivant le français en synchronie, avec un dégroupement des articles, en fonction de la distribution des mots dans la langue (plusieurs articles pour le mot « classe » au lieu d’un seul avec de nombreux sens différents) avait fait l’effet d’une révolution lexicographique.

Le Grand Larousse de la langue française s’inscrivait dans cette même perspective, moderniste, en ajoutant à la nomenclature des articles exclusivement consacrés à la linguistique. Hélas, ce bel outil élaboré avant l’informatisation, n’a pas eu la carrière qu’il méritait, il ne fut pas remis à jour.

Paul Robert, Alain Rey et Josette Rey-Debove


Paul Robert
 est né en 1910 en Algérie, dans une famille aisée, et il entreprend des études de droit qui le conduiront jusqu’à une thèse soutenue à la fin de la guerre, en 1945. Rien ne le prédestinait à la lexicographie, mais son affectation pendant la guerre au service du décodage, où il participe à l’élaboration d’un dictionnaire du chiffre, son contact apprécié avec la langue anglaise, ses premiers essais à titre personnel de mise en analogie des mots anglais puis des mots français, l’entraînent peu à peu à transformer son loisir en activité dévorante, au point de bientôt recruter des auxiliaires sur sa fortune personnelle pour faire aboutir le dictionnaire dont il rêve. En 1950, il apprend que le premier fascicule de son dictionnaire obtient le prix Saintour de l’Académie française. Dès lors, il n’a de cesse d’achever l’œuvre commencée et, en 1952 et 1953, il recrute pour l’aider deux collaborateurs d’excellence, Alain Rey et Josette Rey-Debove. Le 28 juin 1964, il achève le sixième et dernier tome du Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paul Robert offrait à la France un digne successeur du Littré avec des citations extraites d’un corpus littéraire plus récent, la Société qu’il avait fondée s’intitulait d’ailleurs la Société du Nouveau Littré. Quant au principe analogique qui était à l’origine du projet, s’il n’est pas négligeable, ce n’est pas lui qui déterminait le succès de l’entreprise, mais la qualité du travail définitoire. Les éditions Robert allaient s’installer dans le paysage lexicographique en s’illustrant par différents dictionnaires de grande qualité. En 1967, naissait d’abord le Petit Robert, le petit dictionnaire de langue manquant sur le marché et qui pouvait ainsi constituer le pendant du Petit Larousse illustré, dictionnaire encyclopédique. Après un Supplément (1971) ajouté au Dictionnaire alphabétique et analogique de Paul Robert, supplément qui installait A. Rey et J. Rey-Debove parmi les grands lexicographes connus, paraissait en 1985 le Grand Robert de la langue française dirigé par A. Rey.
À la fin du siècle, marqué par l’informatique, sont diffusés, en 1994, le 
cédérom correspondant au Grand Robert et, deux ans plus tard, celui correspondant au Petit Robert, outil précieux permettant de nombreux croisements d’information avec, pour la première fois, des mots sonorisés, près de 9000.
Enfin, signe patent d’une maison d’édition bien installée dans le paysage lexicographique, on assiste au cours de la dernière décennie du XXe siècle à la diversification des ouvrages en un ou deux volumes, qu’il s’agisse des dictionnaires pour enfants, des dictionnaires pour collégiens ou des dictionnaires de noms propres, sans oublier en 1992 le 
Dictionnaire historique de la langue française (2 vol., in-4°), synthèse des informations recueillies par les chercheurs de ce demi-siècle, et ouvrage qui renoue utilement avec un genre qu’avait tenté d’imposer l’Académie au XIXe siècle, sans succès.
Outre leur compétence de lexicographe et de dictionnariste, 
Josette Rey-Debove et Alain Rey nous ont offert par ailleurs d’importants ouvrages théoriques sur la lexicologie et la lexicographie. Ils auront indéniablement marqué la seconde moitié du siècle ».

Montréal, le 21 juin 2024