— Par Michèle Bigot —
M.E.S. et adaptation Mélanie Laurent
Théâtre du Gymnase, Marseille, création le 20/09/2016
Après une carrière cinématographique bien remplie, comme actrice et réalisatrice (rappelons le tout récent Demain qui est encore sur nos écrans), Mélanie Laurent arrive au théâtre avec l’adaptation et la mise en scène d’un roman de James Frey intitulé Le Dernier testament de Ben Zion Avrohom. Ce texte évoque la venue d’un nouveau Messie dans le New-York d’aujourd’hui, du nom de Ben. A l’instar de celui de Galilée, il doit faire face à toutes les formes de la misère humaine, et le XXIè siècle offre une large palette de possibilités : violence, racisme, solitude, chômage, drogue, cynisme généralisé, large territoire, propice aux miracles !
Lui aussi est juif, issu d’une famille orthodoxe convertie à l’évangélisme. Lui aussi aura à lutter contre le fanatisme et le dogmatisme de ces nouveaux pharisiens. Il a du pain sur la planche ! Un homme seul, fort de sa seule humanité face à la misère des corps et des cœurs !
On aura compris ce qui a attiré Mélanie Laurent dans ce texte, pour lequel elle avoue sa fascination. C’est la puissance de l’amour qu’elle entend exprimer sur le plateau.
Vaste programme ! Pour ce faire, elle a su s’entourer de comédiens remarquables et de techniciens-artistes de première envergure. Car la gageure est importante !
Le premier défi à relever, c’est celui de l’adaptation pour le plateau d’un texte romanesque. Avouons que c’est là sa grande faiblesse. Rien n’est plus délicat, et tout le monde ne s’appelle pas Julien Gosselin. Que faire de ce narrateur ? comment éviter qu’il ne vienne sur le front de scène nous raconter l’histoire, sans savoir quoi faire de ses bras ? C’est là qu’une vraie adaptation se serait imposée, quitte à pénétrer intimement dans le texte pour en adapter le régime énonciatif. Une pluralité de voix, portée par une pluralité de personnages et différents modes d’expression aurait été la bienvenue. La scène exige une variété d’événements dans la narration, sauf à opter pour une mise en scène à la C. Régy, totalement dépouillée, voisinant avec le silence, proche de l’incantation poétique. Mais avec la mise en scène choisie par M. Laurent, on se situe dans un entre-deux maladroit. La présence de la musique, aussi pertinente soit-elle, ne suffit pas à éviter la succession plate et l’enchaînement linéaire des scènes.
Les choses s’améliorent pourtant lorsque surviennent les narrateurs seconds, les personnages du drame qui en racontent un épisode. Il y a même de très beaux passages : à noter l’épisode de la chute de Ben depuis son échafaudage. Superbe utilisation de la vidéo ! Poignant et poétique à la fois. Disons tout de suite que la création lumière est exceptionnelle de part en part et qu’elle donne au spectacle sa dimension magique. On la doit à Philippe Berthommé, qui a fait ses preuves avec les plus grands. Il nous offre les tableaux les plus émouvants, ceux qui emportent la conviction sans aucune restriction. Il en va ainsi pour un second épisode, pourtant bien humble dans sa facture, mais totalement réussi : celui où Ben, le nouveau messie, incarcéré et menotté, se trouve en tête à tête avec son geôlier, et réussit, par la seule force de son empathie à arracher cet homme à sa profonde détresse. Scène essentielle et pourtant presque silencieuse et parfaitement économe en moyens. Mais la disposition du plateau et l’utilisation de la lumière est telle qu’elle en fait ressortir la pure humanité. Beau moment de pur théâtre !
Il reste à dire un mot sur le texte lui-même. Hélas, il n’échappe pas à une certaine naïveté. On aurait aimé qu’il ait davantage de force corrosive à évoquer la misère qui s’abat sur la cité. Au lieu que cette peinture sociale serve de prétexte à un discours lénifiant, inspiré de l’évangélisme, on serait en droit d’attendre un tableau virulent et acide. Il n’est pas évident que le discours le plus adapté à cette férocité sociale soit le prêche ! On a envie de répondre comme le fait Amos Oz dans son dernier roman, Judas : « aimer tout le monde, finalement c’est n’aimer personne ! ». Du coup, l’impression du spectateur face au dernier tableau est très partagée : ce tableau, où l’amour se répand sur le monde, comme les langues de feu de l’esprit saint sur la tête des apôtres à la Pentecôte, offre une image superbe, grâce à la création lumière et à la grande beauté de la comédienne-danseuse, Nancy Nkusi. Et en même temps, il agace vivement avec sa vision évangéliste béate…..
Michèle Bigot