— par Roland Sabra et Selim Lander —
un film de Matias Bize
Écran noir, souffles coupés, râles étouffés, cris échappés, ressorts qui grincent. Ecran blanc saisi de tremblements, de déchirements pour entrevoir, dans le désordre des draps, un morceau de chair, un ventre , un sein, une cuisse, le sien , la sienne. Cri. Un visage et puis un autre et se déroule le Générique de « En la cama » le film chilien de Matias Bize projeté ce vendredi 29 juin à l’Atrium.
De l’autre, ils ne savent pas même le nom, mais ils se connaissent au sens biblique du terme. Charnellement, intimement au plus proche d’eux-mêmes. Fantasme, assez masculin de la rencontre totale sans avoir à livrer quoi que ce soit de soi que Bertolucci avait déployé dans « Le dernier tango à Paris ». Un américain de passage rencontre lors d’une visite d’un appartement vide une jeune femme à la veille de son mariage. Une passion purement limitée au sexe se développe avec la volonté de ne rien vouloir savoir de l’autre. C’est donc ce même argument qui est repris par Matias Bize, avec infiniment moins de moyens bien sûr que son aîné et c’est donc dans la façon de le traiter que réside l’intérêt de la chose.
La justesse du propos tient dans le lent passage d’un langage de corps, un langage de grains de peaux, à un langage de mots et la description de l’inévitable perte qui résulte du désir de vouloir signifier la jouissance. Le corps de l’autre dont on jouit n’est qu’un corps morcelé, pas une seule séquence en 1h 25 de projection dans laquelle le corps de l’un des partenaires apparaisse en entier. L’innommable de la jouissance ne se laisse pas emprisonner dans les filets de la langue. L’objet du désir est un objet partiel qui déçoit, qui se dérobe dans l’instant même où il se donne.
Lui est habité par une culpabilité ancienne qu’il actualise à tout propos, une capote percée, une rupture, un départ. Enfant il a vu son jeune frère disparaître dans un hypermarché sans dire un mot pour l’éviter. Sans dire un mot il lui a fait l’amour, à elle.
Elle, est à la veille d’un mariage avec un homme violent qui l’aime dit-elle et qui la frappe de temps en temps mais qui surtout lui fait peur. Elle l’a rencontré, lui, dans une soirée et à décider de « se le faire » comme pour donner par avance des raisons à son futur mari.
Tout aurait pu en rester là mais voilà le dialogue des mots est plus engageant que le dialogue des corps et celui là se maîtrise davantage que celui-ci. Ils vont se livrer, se découvrir en se parlant bien plus qu’en se dénudant. Pourquoi? Pour les regrets à venir. Parce que bien sûr il n’y a pas d’amour heureux.
Le film n’a rien d’érotique et si les scènes de lit sont filmées de façon convenue sans beaucoup d’imagination, c’est que le propos du film porte sur l’impossible rencontre et sur l’art de faire son malheur plutôt que sur l’art de la bagatelle. Il en résulte quelques longueurs auxquelles l’intérêt du film résiste quand même.
Roland Sabra, le 29/06/07
Rencontres Cinéma 2007
En la cama
Libertinage à huit clos
par Selim Lander
Autre film, après Madeinusa, récompensé lors des dernières Rencontres du cinéma d’Amérique latine de Toulouse (prix du Public), En la cama participe au genre « brèves rencontres » : deux personnes qui ne se connaissaient pas vont nouer des relations d’autant plus intenses qu’elles seront sans lendemain. Après l’assouvissement du désir qui a fait se rejoindre les deux protagonistes, vient le temps de la conversation et tout dépend alors du talent du scénariste. Le thème, néanmoins, ne peut pas laisser indifférent. Le spectateur est mis en position de voyeur, non pas tant pour assister aux ébats des personnages que pour entendre dévoiler des secrets et méditer sur la complexité de la psyché humaine.
Il faut quand même faire un sort au côté physique : Disons que les deux jeunes acteurs sont suffisamment agréables à regarder (surtout le garçon, Gonzalo Valenzuela, type accompli du latin lover, ce qui ne signifie pas que la fille, Blanca Lewin, soit le moins du monde disgracieuse) et que Matias Bize, cinéaste chilien de 26 ans (déjà remarqué avec Sabado en 2003), écarte totalement la tentation pornographique. Les deux amants de rencontre font preuve d’une certaine retenue, une pudeur qui correspond assez bien à leur âge et à la situation plutôt insolite dans laquelle ils se trouvent. La nudité est réservée aux seuls épisodes sexuels, après quoi les amants enfilent des sous-vêtements pas particulièrement affriolants, ce qui leur permet, tout comme au spectateur, de se concentrer sur ce qui importe vraiment, à savoir les discours.
Bien que les dialogues de Julio Rojas n’évitent pas les poncifs du genre (qu’est-ce qu’on fait là ? pourquoi je raconte tout ça ? je t’aime moi non plus, etc.), le film apparaît comme une méditation convaincante sur la difficulté d’être dans un monde où l’individu, ayant perdu la plupart des repères religieux ou autre qui structuraient, jadis, les comportements, cherche désespérément le chemin de son « bien-être ». A l’opposé de Madeinusa, où la pression sociale et religieuse, rendait inévitables, de temps en temps, des explosions libératoires (et jaculatoires) vécues comme de purs moments de bonheur, les deux personnages de Julio Rojas pourront rester autant qu’ils voudront dans leur chambre de location, sans rien y trouver d’autre que les sensations édulcorées d’un plaisir physique qu’ils ont déjà connu ailleurs. L’impossibilité de transgresser quoi que ce soit, puisqu’il n’y a plus d’interdit, s’avère paralysante. Ainsi, si la jeune fille ne voit rien de mal dans le fait de « se tirer » un inconnu trois jours avant son mariage, c’est justement là ce qui lui fait mal. Car si tout est permis, où est en effet le plaisir ?
Selim Lander, Fort-de-France, 30 juillet 2007.